Katiba, roman de Jean-Christophe Ruffin, de l'Académie française

Par Mpbernet

Jean-Christophe Rufin sait de quoi il parle.

Médecin de formation, il a beaucoup travaillé dans l’humanitaire et fait carrière dans la diplomatie, notamment en Afrique, tout en poursuivant avec brio une carrière d’écrivain qui lui ouvre les portes de l’Académie française. Profondément marqué par le tragique assassinat de touristes français en Mauritanie en 2008, il en a tiré le début de ce roman d’aventures que l’on peut rattacher au genre « espionnage ».

L’action se déroule après l’élection de Barack Obama – que l’auteur ne semble pas porter dans son cœur – mais avant l’élimination de Ben Laden – dans l’immensité du désert saharien qui s’étend de la Mauritanie à la pointe du Tchad, à travers le Mali et le sud algérien, cet espace du Sahel sans frontières matérielles sillonné par les caravanes, les trafiquants de drogue et d’armes, les cellules terroristes  plus ou moins autonomes ou qui font allégeance à AQMI et se financent par les prises d’otages, les services secrets publics et privés qui combattent ces « katibas » islamistes …

On y retrouve le travail des agences de renseignements – telle « Providence » déjà mise en scène dans « Le Parfum d’Adam » - et l’action d’un jeune couple de diplomates lancés dans la création d’un consulat de France à Nouadhibou, pratiquement sans aucun moyen (je me souviens à ce propos des récits de ma marraine, épouse de l’ambassadeur de France à N’Djamena à la fin des années 60 et de ses prouesses d’organisation dans ce secteur éloigné de tout …).

Les héros sont séduisants : la belle franco-algérienne Jasmine tiraillée entre deux mondes, le jeune médecin formé aux techniques des services secrets, le canado-ukrainien Dimitri, Kader, le jeune chef de troupe algérien rebelle et mystérieux. L’intrigue s’avère naturellement très embrouillée, les manipulations à géographie variable, et, incontournable, l’idylle un peu superflue. Cependant, elle prend place dans la construction du récit, et c’est sans doute la loi du genre. On est loin, cependant, du style SAS comme « Panique à Bamako » qui se plaçait dans le même contexte politique, mais qui m’avait aussi beaucoup appris sur le sujet.

Ce qui accroche et fait tout l’intérêt du roman – mais pas autant que l’émotion éprouvée lors de la lecture du « Collier rouge » - c’est le style particulièrement fluide de l’auteur et l'étincelance de ses descriptions. La dernière scène qui se passe dans le salon de l’horloge du Ministère des Affaires Etrangères est époustouflante de réalisme. Et on ne peut que constater que, près de sept ans après l'écriture de cet ouvrage, la situation politique est toujours d’une aussi brûlante actualité : prises d’otages, groupes de combattants islamistes fanatisés, attentats suicides … l’histoire contée ici est prémonitoire, hélas.

Cette lecture très romanesque fournit quelques petites clés pour comprendre ce qui se passe de nos jours dans cette partie charnière de l’Afrique.

Katiba, roman de Jean-Christophe Rufin, publié chez Flammarion en 2010, 391 p., 20 € et en format poche chez Folio, 464 p., 8,20€