Audrey tautou - interview - "eternite"

Par Aelezig

Source : Marie-Claire - Juillet 2016

Etrange dans sa façon d'appréhender une brillante carrière, entre coups de projecteur soudains et longs silences énigmatiques, la comédienne agite bien des questions. Eternité, son nouveau film, sera le prétexte de l'entendre mettre son coeur à nu avec délicatesse et de faire des aveux au sourire d'oiseau solaire.

"Bonjour Monsieur Gaignault, c'est Mademoiselle Tautou." Ainsi débute, de cette façon délicieusement obsolète, ma rencontre téléphonique avec la comédienne, invisible pour cause de deuil. Paulette, sa bien-aimée grand-mère maternelle, s'est éteinte la veille de la prise de vues, et bien qu'elle ait tenu à assurer le shooting, l'héroïne d'Eternité* a préféré répondre à nos questions quelques jours plus tard. Lorsque la vie, envers et contre tout, a repris le dessus, malgré le chagrin, à fleur de peau chez cette adepte des fines attaches familiale. Audrey Tautou a trouvé, dans ce beau film sensible et terrible sur un siècle de lignées de femmes parfois durement meurtries, un écho particulier à sa propre histoire, où la féminité se transmet avec ses secrets, ses douleurs, ses peines, ses plaisirs. Et malgré tout ses joies remuant toute vie ou presque. A la façon du petit rire d'oiseau aigu et mélodieux de la comédienne, ponctuant ça et là ses confidences à la sincérité émouvante.

Avez-vous, pour bâtir le personnage de Valentine, emprunté des traits de caractère des femmes de votre famille ?

Non, même si j'ai forcément pensé à mes origines et à mes modèles de femmes que sont ma mère et mes grands-mères. Ce qui m'intéressait dans le personnage, c'était traverser une vie de femme, avec ses épreuves de deuils et son inévitable course vers la déchéance physique, l'âge aidant.

Il ya quelque chose de troublant dans cette concomitance entre la disparition de votre grand-mère et la promotion d'Eternité, où vous êtes, à la fin, une mamie paisible attendant la mort...

Oui, et ça m'a même assez choquée. Vous êtes le premier journal auquel j'ai accordé une séance de photos et une interview, et c'est arrivé. C'est un film que j'avais vraiment à coeur de montrer à ma grand-mère, parce que j'avais envie qu'elle me voie à son âge. C'est un regret fort, mais comme les regrets ne servent à rien, je vais vite le faire disparaître.

Que représentait-elle pour vous ?

Enormément. J'ai toujours eu des relations privilégiées avec mes grands-mères : Amélie, décédée il y a quelques années, et Paulette, et je sais que ça a participé à mon désir de faire ce film. Paulette me racontait la difficulté de vieillir, de sentir son corps se fragiliser, son autonomie diminuer.

dans Eternité

Elle vous a encouragée à devenir comédienne ?

Non, personne ne m'a encouragée parce que c'est arrivé si vite que je n'ai pas eu le temps d'avoir peur.

Mais lorsque vous retournez chez vous, à Montluçon, vous êtes toujours la petite  Audrey, ou une actrice de cinéma un peu intimidante ?

Non, peut-être à mes débuts, mais aujourd'hui, il n'y a pas plus de curiosité que pour mes frères et soeurs. Je ne suis pas entourée par une cour.

Valentine, pour revenir à votre personnage, est une femme qui a beaucoup de force en elle et qui reste digne en toute occasion. Y arrivez-vous aussi ?

Conserver une force de vie pareille après tant de deuils demande un courage fou. En serais-je capable ? Dans mon métier, je me suis toujours sentie forte pour préserver ma liberté et conserver mon "entièreté". Dans les rapports humains, je peux me sentir plus fragile, plus vulnérable.

Vous tournez avec parcimonie. On se demande parfois ce que vous devenez.

C'est vrai. On me le reproche parfois en me mettant en garde contre le risque d'oubli, mais je n'arrive pas à accepter des projets qui ne m'enthousiasment pas. Un film doit m'apporter quelque chose de nouveau, sinon je n'y vais pas. Eternité, je l'ai attendu longtemps. J'avais la sensation que je ne pouvais pas passer à côté.

Tapis rouge avec Gilles Lellouche

Le film soulève la question de nos trajectoires qui, soudain, peuvent se briser ou changer de route. Y pensez-vous souvent ?

Oui, je crois aux grand rendez-vous. Tout est une question de carrefour et de la route qu'on décide d'emprunter à un moment ou à un autre. On construit sa vie. Je ne crois pas du tout à la providence.

Pourtant, à vos débuts, vous avez hésité...

Je ne voyais pas pourquoi je pourrais en faire mon métier. Je pensais que les chances de vivre du cinéma étaient trop minces. J'avais cette lucidité et un manque de confiance en moi qui perdure d'ailleurs.

Ah bon ?

Ca ne s'améliore pas. Le doute et moi on s'entend bien. Pas dans mes choix de rôles, qui se font de manière très instinctive, mais par rapport à mon itinéraire personnel. J'ai un cerveau qui tourne trop. Du coup, j'aime prendre de la distance par rapport à la vie, son fonctionnement, ses règles établies. Tout ceci reste caché derrière mes paupières.

Jolie expression.

Je me dis parfois que je vais trop loin dans la façon d'être à côté des règles. Dans mon métier, on n'aime pas trop les gens qui sortent du cadre, ce que j'ai l'impression d'être parfois. On me dit que je devrais faire plus attention, mais bon...

Cannes 2014

Un jour, pour vous définir en un mot, vous avez répondu "sauvage". C'est toujours vrai ?

Je suis assez solitaire. Je ne suis pas bien dans des situations mondaines. Comme un petit animal : d'abord j'observe, ensuite j'apprivoise, et enfin je me laisse apprivoiser. Mon coeur est alors grand ouvert.

Vous avez de bons amis dans la profession ?

Oui, mais peu : Julie Depardieu et Edouard Baer.

Vous êtes quand même assez secrète...

Je fais attention à ceux à qui je m'adresse. Je fuis les émissions de télé où votre actualité est un prétexte pour parler de votre vie privée. Je suis une discrète.

Je vais justement être indiscret... Heureuse côté coeur ?

Oui, très. Pour l'instant je n'ai pas à me plaindre.

dans La délicatesse

La maternité est-elle d'actualité ?

Ca l'a toujours été. Aujourd'hui, l'âge venant, je suis plus impatiente. J'attends juste que la nature veuille bien se décider à être généreuse. Nous verrons bien... Je suis entourée de beaucoup d'enfants et, venant d'une famille nombreuse, c'est quelque chose qui résonne en moi depuis toujours.

Vous allez avoir 40 ans en août. Un chiffre rond que vous prenez comment ?

Ca ne m'angoisse pas, mais ça ne me réjouit pas, mais alors pas du tout ! Pour moi, c'est comme dans le dernier spectacle de Florence Foresti : la porte d'entrée vers les maladies, la ménopause, la dégénérescence inexorable, le flétrissement. A partir de 40 ans, on commence à descendre du mauvais côté.

Ca se combat, non ?

Bof. C'est perdu d'avance, et j ne me lancerai jamais dans toute forme de retouche, quelle qu'elle soit. D'ailleurs, je ne vois pas comment je pourrais, vu le peu d'intérêt que je porte à moi-même.

Vraiment ? Vous êtes sérieuse ?

Ah oui, vraiment ! Je ne suis pas du genre à prendre soin de moi. Je ne fais rien de particulier pour, en tout cas. Je dois me faire un gommage tous les deux ans, et encore...

Pour des millions de gens vous restez Amélie Poulain. Ca vous agace ou ça vous indiffère ?

Ni l'un ni l'autre. Je suis heureuse que certains gardent ce film dans leur coeur et le fassent voir à leurs enfants, qui me regardent avec des yeux émerveillés alors qu'ils n'étaient pas nés lorsqu'il est sorti. Je le vois vraiment comme un cadeau. Ce film, c'est mon tube. J'en ai, quoi !

Que faites-vous lorsque vous ne tournez pas ?

De la photographie, depuis des années. Un projet personnel qui me tient à coeur et que j'espère voir aboutir bientôt. Ce sont des autoportraits sous forme de mise en scène. Pour l'instant je n'ai rien montré. Je n'arrive pas à franchir le pas.

Est-ce une façon pour vous d'essayer de comprendre qui vous êtes ?

Oh non ! Vous savez, je ne cherche pas tant que ça à savoir qui je suis.

Qu'aimeriez-vous poser comme question à Audrey Tautou si vous étiez à ma place ?

Compte tenu de la situation particulière dans laquelle je me trouve, je poserais cette question : "Croyez-vous que lorsqu'on meurt on retrouve les gens qu'on aime ?"

dans Thérèse Desqueyroux

Et vous répondriez ?

Oui !

Qu'est-ce qui peut vous empêcher de dormir ?

Les grains de sable et des soucis plus gros.

Qu'est-ce qui vous empêcherait un jour de sourire ?

Sur la longueur, rien. Je suis une pragmatique, pas forcément optimiste, mais j'affronte. Il y a une phrase de Nelson Mandela qui me correspond : "Dans la vie, je ne perds jamais, soit je gagne, soit j'apprends."

* de Tran Anh Hung, avec aussi Mélanie Laurent, Bérénice Bejo, sortie le 7 septembre.