Oui, votre forfait mobile vous coûte plus cher qu’ailleurs

Publié le 16 août 2016 par _nicolas @BranchezVous
Exclusif

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) vient de publier les résultats d’une étude portant sur les prix des services de télécommunication au Canada et à l’étranger. Préparez-vous à ne pas être surpris.

La firme Nordicity Group Limited (NGL) a récemment préparé pour le compte du CRTC une neuvième étude annuelle sur les prix de la téléphonie et de l’accès Internet. Ses principales conclusions, qui ont été rendues publiques le 11 août dernier, ont de quoi alimenter la grogne chez les geeks canadiens.

Les paramètres de l’étude

Les spécialistes de NGL ont comparé les prix moyens d’un ensemble de services dans six villes canadiennes (Montréal, Halifax, Toronto, Vancouver, Winnipeg et Regina) avec ceux de forfaits similaires disponibles dans des villes comparables aux États-Unis (Boston, Kansas City, Minneapolis et Seattle), ainsi que dans les grands centres de l’Australie (Sydney), au Royaume-Uni (Londres), en France (Paris), en Italie (Rome), au Japon (Tokyo) et en Allemagne (Berlin).

Tous ces prix ont été calculés en dollars canadiens, en fonction des taux de changes moyens de février 2016, et ajustés selon le revenu disponible des ménages et le coût de la vie dans les différentes villes couvertes par l’étude.

Mais tout cela ne nous empêche pas de remarquer quelques évidences gênantes pour les fournisseurs canadiens.

À la lecture de ces considérations méthodologiques, on constate que les comparaisons entre pays doivent être interprétées avec soin. Si les chiffres canadiens et américains reflètent un ensemble de marchés locaux comprenant de grands centres urbains et des villes de moyenne taille entourées de vastes régions rurales, ce n’est pas le cas ailleurs. Peut-être les prix en vigueur à Paris et à Berlin sont-ils représentatifs de ceux qu’il faudrait payer si on habitait à Dijon ou à Baden-Baden, mais cette étude ne peut ni le confirmer, ni le démentir.

NGL souligne aussi que les comparaisons sont sensibles aux fluctuations des taux de change et que les prix calculés ne représentent pas forcément toute la complexité des marchés nationaux, notamment en termes de qualité ou de disponibilité des services.

Mais tout cela ne nous empêche pas de remarquer quelques évidences gênantes pour les fournisseurs canadiens.

D’abord les bonnes nouvelles

Si vous avez encore une ligne téléphonique fixe – et seulement une ligne téléphonique fixe – il fait bon vivre au Canada. Youpi?

Pour ce que les auteurs de l’étude définissent comme un service de niveau 1, soit une consommation mensuelle de 400 minutes d’appels dont 40 minutes d’interurbains, seuls les fournisseurs du Japon et de la France offrent de meilleurs prix que ceux du Canada. Pour un service de niveau 3 (1 600 minutes dont 30% d’interurbains), le Canada se classe dans la bonne moyenne, avec des prix notamment 21,7% plus bas que chez nos voisins du sud.

Ceci dit, à moins que vous ne lisiez ce texte à l’aide d’un modem 56K de 1997 connecté à une machine à voyager dans le temps, une ligne téléphonique fixe constitue sans doute le dernier de vos soucis. Or, quand on se penche sur la situation qui prévaut dans les segments de marché technologiquement plus avancés, le portrait est beaucoup moins attrayant.

La mobilité a un prix

Dans le milieu des gyms, il y a un client que les entrepreneurs aiment par-dessus tout : celui qui paie son abonnement sans jamais se pointer pour se servir de l’équipement. Difficile, en effet, d’imaginer un client plus rentable que celui qui paie sans rien consommer. Dans l’industrie de la téléphonie cellulaire canadienne, il existe un client-chouchou semblable : celui qui ne se sert pas de son téléphone, ou presque.

En effet, pour une consommation de 150 minutes d’appels par mois et rien d’autre, le genre de forfait que l’on achète «strictement pour les urgences», le prix canadien moyen est de 41,08$ alors que le deuxième pays le plus dispendieux est l’Australie avec… 28,19$. Une véritable mine d’or pour les fournisseurs.

La consommation aussi

Pour un forfait de niveau 3 plus typique des besoins actuels, comprenant 1 200 minutes, la messagerie texte et 1 Go de données, les prix canadiens (74,67$) sont à peu près identiques aux prix américains (73$) et même moins chers que les prix japonais (89,72$). La différence avec ce qui est offert ailleurs est cependant saisissante : à Sydney, à Londres, à Paris et à Rome, on peut obtenir ce genre de forfait pour 30$ à 38$ par mois, soit moins que ce qu’il faut casquer au Canada pour 150 minutes toutes nues.

Si on isole la consommation de données mobiles du reste du forfait, l’Amérique du Nord et le Japon pourraient aussi bien se retrouver sur une autre planète que l’Europe et l’Australie.

Encore mieux : un gros forfait offrant appels et textos illimités et 5 Go de données coûte moins cher au Canada (96,55$) qu’aux États-Unis (117,33$), mais le prix qu’il faut payer à Londres (42,22$) dépasse encore à peine celui des 150 minutes faméliques du service de niveau 1 canadien (41,08$)!

D’autre part, on remarque que la différence entre le prix australien pour un forfait de 150 minutes et celui pour un forfait de niveau 3 est de moins de trois dollars par mois, soit 28,19$ contre 30,91$. À Londres, la hausse est de 9,29$. Au Canada? 33,55$, et je vous rappelle que le prix du forfait de base canadien est – de très loin – le plus élevé du lot.

Et si on isole la consommation de données par les ondes cellulaires du reste du forfait, l’Amérique du Nord et le Japon pourraient aussi bien se retrouver sur une autre planète que l’Europe et l’Australie. Par exemple, une consommation de 5 à 10 Go par mois coûte, en moyenne, 63,30$ au Canada, 76,93$ aux États-Unis et 73,74$ à Tokyo, mais seulement 29,67$ à Sydney, 21,71$ à Rome et un minuscule 21,07$ à Londres – littéralement moins du tiers du prix canadien.

Internet à large bande : un portrait embrouillé

L’étude de NGL présente également une comparaison des prix de l’accès Internet par connexion filaire, mais il est difficile d’en tirer des conclusions parce qu’on n’y considère que la vitesse de transmission sans tenir compte des limites mensuelles de consommation; que plusieurs des paniers de services échantillonnés n’existent pas partout; et que certains chiffres semblent difficiles à interpréter. Par exemple, au Japon, le prix d’une connexion de 41 à 100 Mbit/s serait moins élevé que celui d’une connexion de 10 à 15 Mbit/s. Prévalence de la fibre optique? Faible pénétration de la télévision par câble coaxial? Impossible à savoir.

Je me contenterai de deux observations générales. Dans les services de niveaux 1 et 2, qui correspondent à des vitesses de 15 Mbit/s ou moins, les prix canadiens sont relativement avantageux. Mais pour des vitesses plus élevées, c’est loin d’être le cas; si l’on dépasse 40 Mbit/s, seuls les services offerts aux États-Unis sont plus chers que les nôtres, et les limites de consommation mensuelle sont généralement plus généreuses au sud de la frontière qu’ici, ce qui peut expliquer la différence.

Services groupés : ça fait mal

Les gros consommateurs de services sont particulièrement défavorisés par les prix canadiens. Un Canadien qui s’abonne à un forfait de niveau 1 comprenant téléphonie filaire, téléphonie sans fil et Internet à large bande paiera plus cher que n’importe où ailleurs; 161,63$ contre 154,11$ à Tokyo, 141,40$ aux États-Unis, et même 67,19$ à Londres.

Ajoutez la télévision par câble ou par satellite et les prix canadiens (185,06$) deviennent un tout petit peu plus avantageux que les Américains (196,70$) ou que les Japonais (198,54$) mais démesurément trop chers par rapport à ce qui est offert aux Romains (81,91$), aux Parisiens (98,63$) et surtout aux Londoniens, qui paieront… moins cher que sans la télévision (65,27$) et se feront en quelque sorte payer pour profiter de la BBC. De quoi donner envie de déménager en Angleterre malgré le chaos du Brexit.

Conclusion

Si l’industrie canadienne des communications se compare surtout avec ses voisins du sud, ce qu’elle peut faire avantageusement, ce n’est pas sans raison. En général, les prix pour des services similaires sont comparables ou même plus abordables au Canada qu’aux États-Unis.

Et bien sûr, la densité de population n’est pas la même ici qu’en Europe ou au Japon, l’infrastructure nécessaire pour couvrir notre gigantesque territoire clairsemé coûte cher, et les mises en garde énoncées plus haut concernant la représentativité des prix calculés sur la base d’une seule ville dans un pays doivent être prises en considération.

Mais si, par exemple, le prix du service cellulaire de base ET la différence entre celui-ci et le prix du service de moyen de gamme sont tous les deux beaucoup plus élevés ici qu’en Australie, un pays à la démographie et à la géographie relativement similaires à la nôtre, il y a tout de même lieu de se questionner. La marge bénéficiaire avant impôts et amortissements qui atteint les 37% en moyenne dans l’industrie canadienne est une conséquence directe de sa politique de prix, qui est elle-même rendue possible par la très forte concentration du marché entre les mains de trois entreprises nationales – Bell, Rogers et TELUS – et d’une poignée d’opérateurs régionaux comme Vidéotron.

Or, tous les efforts pour tenter d’instaurer plus de compétition dans le marché, notamment sous l’ancien gouvernement conservateur, sont restés vains jusqu’ici et rien ne laisse présager un changement à court terme.

J’imagine que nous pouvons toujours nous consoler en nous disant que plus nos poches sont vides, plus il y reste de la place pour de nouveaux téléphones toujours plus gigantesques. Mais c’est une bien mince consolation.