La volonté de Maurice Pottecher (1887-1960), fils d'industriel vosgien, journaliste, écrivain, metteur en scène (et mari d'une actrice) est encore respectée à la lettre dans ce Théâtre du Peuple qu'il a fondé en 1892 dans une clairière de la propriété de ses parents, classé Monument Historique depuis 1976.
Dans ce premier article je vais, pour ceux qui l'ignore, retracer la fondation du théâtre, en donner les règles de création et la programmation de cette année. Je mettrai aussi l'accent sur la façon que l'on a de vivre le moment.
Pour terminer je parlerai de deux spectacles qui sont à l'affiche en ce moment, Macbêtes et Lady First. Demain sera consacré à Shakespeare avec Mon coeur pour un sonnet et Le Songe d'une nuit d'été.
On dit qu'il faut avoir, une fois dans sa vie, vécu l'expérience d'une soirée sur les bancs de bois de la salle mythique dont le fond de scène s'ouvre sur la forêt, qui devient alors partie intégrante du décor. C'est vrai, à ceci près que le virus sera immédiat et que l'on souhaitera participer au rituel les années suivantes.
Pour la beauté du site, l'amour du théâtre, la convivialité des rencontres, l'ambiance !
C'est pourtant un endroit assez perdu au fond d'une vallée qui intéresse a priori plus des randonneurs aoutiens ou les skieurs en hiver. Les hôtels y sont vastes et conçus pour accueillir les familles nombreuses et les groupes.
La météo y est variable et il est prudent, même en plein été, de prévoir la doudoune ... et le parapluie. Qu'importe, le public sera là. Prêt à suivre le programme en se réchauffant entre deux représentations d'un bol de soupe. Prêt aussi à lézarder dans un transat au premier rayon de soleil.
Et surtout disposé à vivre ensemble des moments de partage essentiels.
Un théâtre résolument populaire qui est aussi un Centre d'art et de création
Maurice Pottecher est l'instigateur de ce théâtre et sa mémoire est entretenue dans toute la petite ville de Bussang par un parcours installé en 2015 sur la commune.
L'oeil est davantage sollicité par la verdure et le sourire des bénévoles qui, à cet endroit, orientent vers le parking. L'usine avait été créée par le grand-père de Maurice pour y fabriquer des étrilles pour les chevaux, vendues dans le monde entier. Puis des couverts en fer battu. Son fils Benjamin a été maire de Bussang. Il améliora considérablement des conditions de travail de ses ouvriers, ce qui lui valut le surnom de Patron Rouge.
Il écrit pour l'occasion sa première pièce,Le diable marchand de goutte, un drame rural dénonçant les méfaits de l'alcoolisme. Deux mille personnes de toutes conditions assistent à l'unique représentation donnée en plein air. Le Théâtre du Peuple de Bussang était né, et il ne faillira pas pour présenter chaque été au moins une création originale rassemblant professionnels et amateurs (sauf les années de guerre).
Mort le 16 avril 1960, Maurice, que l'on surnommait le Padre, repose au fond du parc, dans la Clairière aux Abeilles et face au Théâtre, sous cette humble pierre, avec son épouse, Tante Camm, décédée trois ans plus tôt.
Une expérience humaine, artistique et festive
La route menant au théâtre est plutôt calme et bucolique. C'est une ancienne voie romaine qui fut route royale venant de Saint-Maurice. Ces quelques centaines de mètres que l'on effectue à pieds mettent en condition pour vivre un moment rare d'expérience humaine, artistique et néanmoins festive.Il y a eu d'autres expériences de théâtre populaire mais seul Bussang est resté et continue d'attirer un public nombreux et diversifié. C'est le fruit d'un travail au long cours, dont le but demeure de plaire et d'instruire en alternant les genres.
Bussang est à un carrefour entre Alsace, Lorraine et Franche-Comté. Aussi l'équipe propose tout au long de l'année aux trois régions des ateliers (gratuits et ouverts à tous), et des formes théâtrales singulières, dans l'esprit du Théâtre du Peuple, privilégiant la proximité, la rencontre et l'échange.
C'est aussi un lieu d'accueil pour ceux qui veulent venir répéter avec leur compagnie, organiser un séminaire, ou encore visiter la région avec leur association. Il peuvent louer la Popote (de septembre à mi-avril selon disponibilités), ancien relais de Poste qui avec 21 chambres double, 2 salles à manger, 1 salle de répétition ou de réunion et 1 cuisine professionnelle, devient un vrai lieu de vie.
En fait le Théâtre vit toute l'année, même si les Estivales sont d'une intensité particulière. Et désormais des Hivernales se déroulent à la soit-disant "morte" saison.
Les fondamentaux du Théâtre du Peuple Chaque metteur en scène convié à faire une création à Bussang doit satisfaire 4 éléments essentiels:
- proposer une oeuvre de qualité
- qui s'adresse au public le plus vase possible
- qui associe des amateurs et des professionnels
- dans un bâtiment théâtral d'exception
Macbêtes se joue les mercredis, jeudis, vendredis et samedis du 4 au 27 août à 18h30 et il s'agit de ce qu'on appelle le Théâtre d’objets. Le texte, écrit par Arthur Lefebvre, fait référence au Macbeth de Shakespeare. La pièce a été créé à Roubaix il y a 16 ans mais sa venue est légitime puisque Le songe d'une nuit d'été est donné dans la grande salle.
Il y a une voire deux raisons supplémentaires, nous confie Vincent Goethals. Claire Dancoisne, metteur en scène et scénographe est une vieille amie picarde, mais surtout qu'elle avait mis en scène les encombrants font leur cirque qui avait été un très grand succès sur la grande scène du théâtre du Peuple en 2012.
Les spectateurs ne semblent pas désarçonnés. Ils sont, comme toujours à Bussang a priori enthousiastes, et il suffit de saisir des bribes de conversation pour comprendre que ce sont malgré tout des avertis, qui n'ont rien à voir avec les spectateurs parisiens souvent plus en situation de se montrer que de venir assister à un spectacle.
Les comédiens portent un masque qui rigidifie leurs attitudes et pourtant on ressent parfois de la douceur quand résonne par exemple un air de valse. C'est peut-être l'actualité qui nous a marqués, mais les paroles résonnent curieusement et on se sent soudainement très concernés : Qu'on ferme les frontières et qu'on instaure le couvre-feu. Macbeth l'ordonne !
A 18h30 les mercredis, jeudis, vendredis et samedis du 4 au 27 août
Lady FirstPour les spectacles dans la grande salle le public est invité à rejoindre la file, à jardin ou à cour selon que leur numéro de place est pair ou impair. Car cette salle est numérotée même si tous les bancs sont équivalents, et il est conseillé d'apporter son coussin (ce n'est pas une plaisanterie, c'est d'ailleurs à ce détail qu'on reconnait les habitués, les novices peuvent acheter sur place l'objet millésimé).
Il faut voir la pièce comme une farce politique centrée sur une première dame d'un régime autoritaire en pleine révolution, et qui pourrait être n'importe où dans le monde, même s'il est situé dans un pays imaginaire du Moyen-Orient, me dit Sedef Ecer qui refuse (évidemment) de s'exprimer à propos de la Turquie, un pays qu'elle connait très bien et qui était le cadre de son précédent spectacle, A la périphérie.
Sedef Ecer a commencé en 2012, sous la forme d'une courte pièce de 10 minutes, écrite à l'invitation de Vincent pour Bussang, au moment ou Léa Trabelsi venait de quitter son palais de Carthage, ce qui était l'actualité à l'époque. et qui a été revue en 2015 pour le festival du Paris des Femmes. La pièce s'est allongée, s'appelle alors First Lady et est jouée avec une unique interprète, Agnès Jaoui. Le texte qui est donné à Bussang a été publié à l'Avant-scène théâtre.
Elle a repris la trame et l'a retravaillée pour en faire une tragédie farcesque, comme le lui demandait Vincent Goethals, en s'inspirant de plusieurs "premières dames" dont l'impératrice byzantine Théodora, Roxelane, favorite du sultan Soliman, Messaline, la mère de Britannicus, Frédégonde, Josephine, épouse de Napoléon, Marie-Antoinette, Eva Peron ... tellement de femmes ont utilisé les hommes de pouvoir pour gravir les échelons, et devenir star, comme on dirait aujourd'hui, d'où l'inversion du titre en Lady First.
L'auteure adulait le star-system dans son enfance et le goût de raconter des histoires lui est venu très tôt. Par contre elle n'a pas de réelles motivations féministes, ayant toujours évolué dans un milieu où la femme a autant droit à la parole que l'homme.
Nous sommes dans une république bananière dirigée par un vieux despote quelque part dans l’ancienne Mésopotamie. Alors que la Première Dame est en vacances dans le palais d’été, loin de la capitale et de son Président de mari, une résistance s’organise dans les rues et se propage. Tout le monde attend le discours du Président, mais il reste introuvable. Le Ministre de la Propagande, décide qu’on se contentera de la First Lady pour calmer le peuple. On embauche alors Yasmine, une journaliste locale spécialisée dans les kermesses, car on n’a rien d’autre sous la main.
La First Lady est en direct sur la chaîne nationale. Elle enjolive sa vie de femme, d’épouse de président et de mère. Elle parle de son combat pour les droits de l’homme, mais aussi de ses garde-robes et de son zoo qui abrite des animaux rares. Petit à petit, le vent tourne, la résistance se propage, ministres et conseillers changent de bord.
Au fur et à mesure que les dépêches arrivent, le discours de la Première Dame se transforme. De plus en plus seule, elle n’a plus qu’une obsession : partir en sauvant ses lingots, ses tableaux de maître, ses bijoux et ses dossiers compromettants. Impossible de trouver un pays qui veuille bien l’accueillir. Même le Falcon présidentiel est parti avec ses enfants qui, eux aussi, l’ont trahie.
Autour d’elle, ne restent plus que son chef de cabinet, Elish, son (sa) conseiller(ère) personnel(le), Gazal, les animaux de son zoo et cette jeune journaliste qui finira par se révéler toute autre...
C'est aussi une manière astucieuse de montrer un choeur antique avec modernité. La mise en scène colle à l'écriture en usant toutes les manières que nous avons de raconter des histoires, à coups de flash-backs, d'introspection et d'actions sur les réseaux sociaux.
Tous les acteurs sont excellents, amateurs comme professionnels. Et si le spectacle provoque quelques moues c'est surtout dans la frange du public qui, loin d'être populaire, se targue de savoir ce qui est in de ce qui ne l'est pas. Les autres ne boudent pas leur plaisir et je les ai même entendus dire qu'ils assisteraient bien à une seconde représentation.
Le revers de la médaille est qu'il contraint les comédiens à sans cesse monter et descendre, ce qui parfois devient lassant.
Ishtar (Anne-Claire) est la femme d'un dictateur qui vient de s'enfuir. Rien ne dit qu'elle en a été amoureuse. Elle est probablement trop autocentrée pour éprouver des sentiments. Elle s'est mariée pour le pouvoir, celui d'obtenir tout ce qu'elle souhaitait, sur le plan matériel. Jusque là elle a plutôt réussi même si sa soif est intarissable. Elle n'est pas une femme spéciale mais elle est tout de même un peu naïve. D'autres avant elles ont eu un parcours semblable de star fucker comme le dit Elish, (Bernard Bloch) un prédateur de bas-fond, homme-scorpion des légendes sumériennes. Et jusque là le scorpion et la hyène ont fait bon ménage.
Un autre personnage est son double, en creux, que l'on ne verra pas. Une femme qui fut son amie d'enfance et qui elle avait des rêves humanistes, la soeur de coeur de ma mère, dira Yasmine.(Angèle Baux Godard)
Enfin il y a Gazal, le/la conseillère, tour à tour confidente, dame de compagnie, coach et styliste à ses heures. Ghazal en persan cela signifie élégant et agile, et Sinan Bertrand assure une interprétation très juste même sans tomber dans le piège de la parodie que la farce pourrait vite induire.
Une farce baroque, certes, drôle souvent mais amère car, comme le souligne Yasmine à la fin : Il n'y a pas de révolution qui ne mange ses enfants.
Les deux femmes seront déçues. Ishtar la première puisqu'elle sera trahie par ses alliés. Ils ont fui depuis longtemps ou s'envoleront dans les airs (très belle idée du survol en hélicoptère au moment où le théâtre s'ouvre sur la forêt). Elle sera dévorée par les fauves qu'elle était fière d'exhiber sans son propre zoo. Yasmine parce que son souhait de jugement restera utopique. Il n'y aura pas de procès équitable et son incantation "pour que ça ne recommence pas ..." pourrait bien rester lettre morte.
A 20h30 les mercredis, jeudis, vendredis et samedis du 3 au 27 août
Après cette Lady First aux allures de Lady Macbeth demain sera consacré à Shakespeare avec Mon coeur pour un sonnet et Le Songe d'une nuit d'été.
40 rue du Théâtre - 88540 Bussang
Tél : +33 (0)3 29 61 62 47 - info@theatredupeuple.com
Billetterie : +33 (0)3 29 61 50 48
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Jean-Jacques Utz ou de Laurent Schneegans