Bien souvent portés par une poignée de passionnés, les fablabs disposent généralement de ressources financières modestes. La fermeture de l'Atelier de Beauvais en début d'année le montre, le business model d'un fablab est fragile.
Fablabs, makerspace, tiers lieux : les laboratoires de fabrication ouverts se sont multipliés en France ces dernières années. Pratiquement chaque métropole et chaque ville moyenne a vu naitre ce type d'initiatives. Bien souvent créés par quelques passionnés regroupés en association, parfois adossés à une université à un conseil régional ou une mairie, la survie financière d'un fablab n'a rien de simple et faire vivre dans la durée un tel lieu fait parfois figure de parcours du combattant.
Face au coût d'achat élevé des machines, le montant des adhésions, parfois dérisoire, et celui demandé à l'utilisation des machines ne permettent pas aux fablabs d'équilibrer leurs comptes. Les bénévoles doivent partir à la chasse aux subventions et multiplier les initiatives afin de développer leur parc machine ou tout simplement continuer d'exister.
La réduction des dépenses menace les fablabs
La question du financement reste posée comme l'exemple de Beauvais l'a récemment montré. Un changement de majorité a entrainé la fin des financements pour L'Atelier de Beauvais qui a du fermer ses portes en dépit d'un vrai succès en termes de fréquentation. Dans l'environnement actuel de réduction des dépenses des collectivités locales, les conseils régionaux, mairies et autres sources de financement habituelles des associations sont de plus en plus réticents à financer des projets de ce type sur la durée.
Les Fabriques du Ponant, fablab brestois, met aujourd'hui l'accent sur les animations réalisée dans les écoles afin de financer ses activités.
Romain Heller revient sur la création des Fabriques du Ponant dont il est régisseur, fablab créé à Brest : "La région Bretagne nous a accordé une subvention afin d'assurer nos investissements et notre fonctionnement, subvention versée sur 3 ans. La région nous a aussi trouvé un local de 500 m2 dans un lycée." Des conditions idéales pour un fablab et qui permettent à l'association de rémunérer 1,5 temps plein, chose rare dans ce secteur où le bénévolat est bien souvent de mise. Mais afin de diversifier leurs ressources, en marge du fablab lui-même, les membres des Fabriques du Ponant mettent aujourd'hui l'accent sur la médiation technique, notamment réaliser des démonstrations d'imprimantes 3D dans les écoles. A l'issue des 3 années de financement, le fablab sollicitera le conseil général mais n'exclut pas recourir à d'autre modes de financement si leur subvention n'était pas reconduite.
Le modèle communautaire et ses limites
Pour beaucoup de fablab, l'aventure démarre par des discussions entre makers qui décident tout simplement de mettre en commun leurs ressources personnelles. C'est le cas de la TyFab, l'atelier numérique brestois créé autour d'un verre suite à une réunion d'information à la Mairie sur le thème des fablabs. "Le projet s'est monté dans le sein de la Maison du Libre de Brest car un de leurs membres était présent et nous a proposé de nous accueillir. Nous n'avons même pas eu à monter d'association !" retrace Arthur Wolf, membre de ce fablab purement associatif. Chacun a apporté sa machine et le fablab a pu démarrer ses activités pratiquement sans subvention. Une structure ultra légère et ouverte mais qui présente aussi des inconvénients. Le fablab a déjà du déménager à 5 reprises et, pour acheter de nouvelles machines, ce sont les membres qui mettent la main à la poche : "Lorsqu'on décide d'acheter une machine, on se réuni entre particuliers et on achète à plusieurs la machine qui reste la propriété des membres. Nous l'avons fait pour une découpeuse laser et une fraiseuse cette année et ça a bien fonctionné."
Ce modèle, totalement informel, limite de facto les capacités d'achat du fablab :"Nous aurions aimé avoir des machines plus grosses, ce qui aurait sans doute été possible via des partenariats avec des entreprises ou des fonds publics mais, plus que l'investissement initial lui-même, le gros problème d'avoir des machines plus importantes, c'est l'espace nécessaire pour les installer." Si l'approche choisie par le TyFab ne permet pas au fablab de bénéficier de grosses ressources financières, ses membres ne manquent pas d'idées. Ainsi, ceux-ci discutent aujourd'hui de la mise en place d'un "passeport machines" qui permettrait aux adhérents des nombreux fablabs de la région Bretagne, notamment ceux de Lorient, Saint Brieuc, Rennes ou Auray d'avoir accès aux machines de chacun.
La tentation du financement participatif
Autre exemple d'approche communautaire, celle du fablab d'Albi, l'Innoprod. Crée en 2015, celui-ci à bénéficié d'un appel a projet de la part de la fondation Orange qui lui a permis d'acheter ses premières imprimantes 3D. Ce matériel a permis à ses membres de réaliser les premières animations dans les médiathèques de la ville ou lors d'événements. L'association de loi de 1901 crée, l'ACNE, bénéficie de locaux fournis gratuitement par la communauté d'agglomération. Si l'association a peu de frais, ses activités ne génèrent pas assez de financement pour investir dans de nouvelles machines, notamment des imprimantes 3D de plus grande taille et surtout une découpeuse laser, un équipement très prisé des makers.
Panoramique du fablab d'AlbiC'est la raison pour laquelle l'association a lancé une opération de crowdfunding afin de financer l'acquisition de sa première découpeuse. Le fablab d'Albi lance en octobre 2015 sa campagne sur le site Hulule afin de lever entre 5 000 € et 20 000 € pour acheter sa découpeuse. L'opération est un succès puisqu'un mois plus tard le premier palier est atteint avec 6 102 € collectés sur la plateforme. Un succès en apparence car Jérôme Viviès, secrétaire adjoint du fablab, souligne une limite de ce mode de financement : "Nous avons levé plus de 6 000 euros brut, c'est vrai, mais au final, lorsqu'on retire les frais ainsi que les contreparties accordées aux contributeurs, nous n'avons touché que 3 500 € net de cette campagne. Le succès était donc modeste et nous avons pris la décision de nous endetter pour acheter une découpeuse laser de grande taille, bien plus utile pour les adhérents, mais dont le cout était de 12 000 €." Ce membre de l'association le reconnait, financer l'activité d'un fablab reste compliqué et l'association met aujourd'hui l'accent sur les animations dans les quartiers pour financer ses activités.
Etre fablab associatif et entreprise commerciale, c'est possible
Pour Jérôme Viviès, les modèles à suivre, ce sont les fablab d'Amiens ou de Toulouse. Ce dernier, l'Artilect, est le pionnier des fablabs en France. Celui-ci compte entre 1 000 et 1200 membres et, sans doute portée par une région dont l'industrie et l'économie est particulièrement dynamique, est l'une des communautés de makers les plus dynamiques dans le pays. Mais outre le succès de l'association, ce que beaucoup de créateurs de fablabs envient au toulousain, c'est l'Artilect Lab, une structure crée à côté de l'association afin de répondre aux besoins des entreprises. "Notre fablab a des utilisateurs très variés, tant grand public que professionnels et nous faisions face à une demande croissante de professionnels qui souhaitent un accompagnement et être aidés dans leurs projets" explique Fanny Desbois, l'une des "FabConnectors" de l'association. "Il n'était bien évidemment pas pensable de demander à nos bénévoles de travailler pour des professionnels, c'est ainsi que, petit à petit, l'idée de créer une structure amenée à répondre aux besoins des professionnels s'est imposée."
Pionnier des fablabs français, l'Artilect de Toulouse s'est doté d'une structure entreprise afin de répondre aux demandes des entreprises et professionnels, une SAS qui bénéficie à l'association en finançant l'achat de nouvelles machines.Cette structure, l'Artilect Lab est une SAS dont la vocation est de répondre aux attentes des professionnels garde un lien fort avec le fablab associatif. "L'idée, c'est que la structure professionnelle puisse soutenir l'association et que l'on puisse mener des investissements en commun pour notre parc machine. L'association a son propre modèle, répond à de nombreux appels à projet et le but est de pouvoir y répondre et obtenir ainsi des financements via cette structure professionnelle." L'association compte aujourd'hui 5 temps plein et plusieurs postes à mi-temps. "L'Artilect Lab est en phase de lancement et nous sommes encore en mode startup pour le moment, mais l'objectif est d'être très rapidement à l'équilibre. Nous portons déjà des projets communs avec l'association, notamment sur la communication mais aussi le financement d'une première machine. Nous venons ainsi d'investir dans une fraiseuse numérique Shopbot, une machine qui intéresse tant nos adhérents que les industriels de la région" conclut Fanny Desbois.
TechShop veut imposer son modèle en France
Face à ces exemples, l'arrivée de l'américain TechShop en France détonne. Né en 2006 dans la Silicon Valley, ce fablab est aujourd'hui implanté dans 8 villes aux Etats-Unis et le discours de Mark Hatch, son CEO et co-fondateur, est assez différent de l'esprit associatif qui prévaut dans les fablabs français. L'objectif de TechShop est d'être leader auprès des makers, mais, avec un prix de 150 $ par mois, la cible semble plus être les créateurs de startup et porteurs de projets que les particuliers. La communication de l'américain met notamment en avant les succès commerciaux de ses makers, avec des produits tels que le système de paiement mobile Square ou l'étui pour iPad DODOcase qui ont été créés dans ses ateliers.
Le développement de relativement rapide de TechShop semble indiquer que ce modèle est profitable à l'échelle des Etats-Unis, mais peut-il l'être ailleurs ? Pour aborder les pays étrangers, TechShop a crée une structure en Irlande qui se charge de trouver un partenaire local pour porter le fablab dans chaque nouveau pays. Un partage des risques qui a permis à TechShop de s'implanter à Tokyo avec le soutien de Fujitsu, à Abu Dhabi avec Innovator, entité qui bénéficie de fonds des émirats pour promouvoir l'innovation, et en région parisienne avec Leroy-Merlin.
L'Américain TechShop s'est implanté en France, à Ivry sur Seine et bientôt à Lille via le soutien de Leroy-Merlin.A Ivry sur Seine, TechShop et les Ateliers Leroy Merlin offrent aux makers un espace de 2 000 m2 et plus de 150 machines et équipements. De quoi faire rêver beaucoup de responsables de fablabs associatifs, mais pour les adhérents ou plutôt abonnés au TechShop d'Ivry, cette richesse à un coût. L'abonnement le moins cher démarre à 50 € par mois, mais il ne donne accès aux machines que le matin et pendant les jours de semaine. Le forfait illimité est proposé de 180 € à 300 € par mois ce qui, de facto, le réserve qu'à de riches particuliers et surtout aux professionnels.
Un fablab 100% commercial est-il viable en France ?
Ce modèle est-il viable en France alors qu'aucun fablab communautaire ne parvient à financer son parc machine avec les seuls revenus liés aux adhérents ? TechShop et son partenaire Leroy Merlin semblent le croire puisque le second TechShop français sera inauguré à Lille au printemps 2017, en partenariat avec EuraTechnologies et l’Université Catholique de Lille.
Un fablab commercial semble en lice pour parvenir à l'équilibre financier le premier, c'est l'Usine IO. Ouvert en 2015 à Paris, à quelques pas du TechShop d'Ivry, cette structure a été financée par le trio Xavier Niel, Henri Seydoux et Jacques-Antoine Granjon mais Benjamin Carlu, son président et co-fondateur se défend d'être un fablab de plus : "Nous ne sommes pas en concurrence directe avec les fablabs. Notre modèle est plutôt l'accompagnement de porteur de projets de création de produits. Nous mettons à disposition de nos membres des moyens techniques mais aussi des experts ainsi qu'un réseau industriel pour aller jusqu'à la fabrication du produit."
Entreprise commerciale, l'Usine IO ne veut pas se poser en concurrente des fablabs classiques, mais comme accompagnateur de projets hardware.Ouvert le 1er octobre 2014, l'Usine IO a atteint la barre des 500 membres abonnés. Un succès car avec des abonnements à environ 200 euros par mois, on ne croise pas de bricoleurs du dimanche ou des cosplayeurs à la recherche d'une imprimante 3D ou d'une découpeuse laser dans les espaces design de l'Usine IO mais exclusivement les porteurs de projets. "C'est l'équivalent d'un abonnement à une salle de sport pour un ingénieur ou un inventeur" tempère Benjamin Carlu. "Alors qu'un fablab va permettre à une personne d'apprendre à utiliser une machine, de notre côté, nous sommes plutôt les coachs sportifs du porteur de projet hardware. A partir de son idée, nous allons l'aider à concevoir la roadmap de son projet, le mettre en relation avec les bons industriels qui vont l'aider à faire progresser son produit, depuis la fabrication des prototypes jusqu'au lancement de la série." Parmi les premiers produits commercialisés à avoir bénéficié de ce coaching, le compteur de "Like" Facebook Smiirl, la trottinette électrique ElectricMood ou, plus ambitieux, le robot voiturier de Stanley Robotics. Le modèle défendu par Benjamin Carlu semble porter ses fruits puisque le président de l'Usine IO affirme que l'entreprise est sur le point d'atteindre son point d'équilibre financier, 2 ans après sa création.