Plusieurs textes de l’ensemble titré ainsi ont été publiés en revue, qu’on ne retrouve pas pour la plupart dans ce recueil. Tellement l’ensemble inédit déborde encore la partie éditée. Chez Jean-Paul Klée, tout est surdimensionné, gigantesque, hugolien. La dédicace devient éventuellement un texte supplémentaire. On a beaucoup écrit sur sa graphie si particulière, une façon de dompter ou domestiquer l’écriture et d’infléchir l’orthographe pour mieux s’approprier la langue, on pourra ajouter aujourd’hui une tendance à tourner le lexique à sa main avec des mots « kléeïsés » de cette manière : mortalerie, j’y ai glouti (pour englouti), berlué (pour héberlué), moribondre, angélie, ils ramureront… La syntaxe mue ; les classes de mots bougent jusqu’aux conjugaisons, avec l’infinitif devenu joker des autres modes… Tant et si bien que l’on lit du Klée (le Klée) forcément avec un œil accommodé autrement que pour n’importe quel poète. Il faut être habitué, presque éduqué pour le lire. Et l’avoir aussi pratiqué depuis longue date.
Ses thèmes de prédilection reviennent bien sûr : entre autres une pornographie précieuse et douce, Louis XV et l’Alsace, le super ordinateur, l’amitié-Larizza, cet auteur pour lequel il professe un amour chaste et pur et plein. Ou encore la mort, toujours tapie au bord de ses lignes, les regrets Gallimard éternels… Il sait se surnommer lui-même joliment : le ji.pé.ka branleur d’arcs-en-ciel…
Nébuleux, Jean-Paul Klée est un buvard du quotidien, il est capable d’être inspiré aussi bien par ses souvenirs nombreux, sa ville Strasbourg, chevillée à ses tripes, les faits d’actualité du moment (le scooter du président), que ses voisins de café à tout moment d’écriture qui font irruption ras le texte, pas inopinément du tout… Et surtout du fait de son extraordinaire imagination où le merveilleux le dispute à la malice.
L’écume m’a
ébloui auréolé
d’un gloria sulfuré dont j’ai
si longuement rêvé !...
Un des aspects les plus attendrissants demeure cette surprise continuelle, permanente, infinie, de son propre flot d’écriture, ainsi ces deux vers :
Comment possible c’est (je ne le
sée) d’écrire TANT ?...
Le poète se fait historiographe de son œuvre. Jubilation, bonheur de ne jamais sentir tari ce miel couler au bout de son stylo. La poésie qui perle, suinte, ruisselle à toute heure du jour, transformant sa vie en enchantement permanent
& lentement l’écriture m’a
encerclé…
Jacques Morin
Jean-Paul Klée, cœur qui comme le mien ir / a décoloré parmi les fleurs, Les Vanneaux,
15 €.