Nola Darling ou exposé sur une relation polyandriqueC'est le film qui a réellement lancé la carrière de Spike Lee. En effet, le succès de ce film lui a permis de trouver des financements pour les grands projets qui allaient suivre : Do the right thing, Jungle Fever, Malcolm X, etc. Disons qu'à Hollywood, si tu n'es pas le fils de Kirk Douglas, tu as plutôt intérêt en tant que réalisateur a prouvé ta capacité à faire des films rentables. Ce qu'il fit. Pourtant Nola Darling est un film singulier. Cela reste un film d'art et d'essai. Une jeune femme au coeur des années 80 fait tourner la tête et le coeur de trois hommes : un esthète égocentrique et maniaque, un chômeur en questionnement permanent et un homme fort, plutôt patient. On ne compte pas la lesbienne éconduite. Nola est franche, adorable et sincère avec ses trois hommes qui n'ignorent pas les autres prétendants et d'ailleurs n'hésitent pas s'étalonner. On ne peut reprocher qu'une chose à Nola : son incapacité à choisir. Naturellement, tout cela va voler en éclats. D'une certaine manière, on retrouve la même trame dans le fabuleux Do the right thing. Car si avec Nola Darling inverse les rôles et se risque à présenter une nouvelle vision du monde, il montre que les conservatismes les plus durs ne sont pas l'expression des plus extrémistes. Ici l'arme de destruction massive va être le viol.
Get on the bus. Connaissez-vous ce film? Après l'avoir revu, je pense que c'est le meilleur de Spike Lee. Pourtant le sujet est assez simple. Une quinzaine d'afro-américains prennent un bus pour traverser tous les États Unis afin de participer à la fameuse marche d'un million d'hommes initiée par Louis Farrakhan, pendant la présidence Clinton. Il n'y a que des hommes. Le symbole est fort. Et ils vont apprendre à se connaître avec des profils très différents. Jeunes, vieux, père, fils, couples homosexuels, célibataire, octavon, noirs ébène. Le huis clos du bus imposé la nécessité d'un dialogue difficile, franc, complexe. La symbolique du bus dans les mouvements des droits civiques n'est pas neutre pour qui connaît l'histoire de ces combats. Stanley Nelson a fait un très un très beau documentaire sur le sujet. C'est un des films les plus optimistes de Spike Lee. Je ne sais pas s'il se sentait proche de Farrakhan, mais le sujet fut trop fort pour qu'il ne laisse en suspens. Les acteurs sont très bons. On retrouve quelques figures récurrentes de filmographie du cinéaste de Brooklyn et de grandes figures comme Albert Hall, Charles S Dutton et un très touchant Ossie Davis. Des hommes noirs parlent à des hommes noirs. On sous-estime la portée de ce dialogue si on ne comprend pas l'impact et l'héritage de 4 siècles d'esclavage sur les hommes de cette communauté.
The Very black show Spike Lee est un artiste. Avant tout. Et il a expérimenté plusieurs manières de filmer, de capter l'image. En 2000, il s'essaie à la caméra numérique. Je ne suis pas un expert des techniques du cinéma. Je ne m'aventurerai donc pas dans des analyses alambiquées. Mais il est certain que Bamboozled détonne techniquement. Et cela n'est pas anodin sur un film qui est une critique en règle de l'entertainment américain et la triste représentation dont les afro-américains ont fait l'objet dans cet univers marqué par l'esclavage puis la ségrégation raciale. Bamboozled pose de nombreuses questions. La première est celle des choix de contenus d'un créateur dans un environnement où il n'a pas la maîtrise du porte-monnaie. Pierre Delacroix qui crée des programmes disruptifs pour la chaine de télé se fait piéger à son propre jeu. Cherchant à se faire licencier avec un programme caricatural, raciste qui selon entendement ne survivrait pas au pilote, il est surpris l'intérêt marqué de son manager et de la chaîne. La seconde question est celle des artistes tenus pieds et poings liés par un entertainment qui décide au final au service d'un consommateur qui paie et qui est blanc. En écrivant cet article, je pense à un concert de R Kelly, très bon artiste de rythme and blues des années 90 à Bercy. Alors que la prestation
Spike Lee copyright Thomas Rome
de l'artiste afro américain était simplement exceptionnelle, en dehors de quelques déhanchés très suggestifs, cela restait attrayant. Puis au travers d'ombres chinoises, de manière sur-réelle, R-Kelly et ses danseuses se mirent à faire les singes sur trapèze. La scène fut tellement choquante pour le modeste militant que mon amie et moi sortîmes sur le champ, outrés. Je me suis longtemps posé la question de cet incident... Et Spike Lee analyse cette réalité économique par la chute de Delacroix - incarné par un excellent Damon Wayans - et celle des artistes Sleep-and-Eat et son compère, cette forme de prostitution à laquelle se livre certains créateurs issus de minorités économiquement faibles. Le terme est fort mais c'est de cela dont il est véritablement question. Le père de Pierless (prénom initial de Pierre Delacroix) ne s'est jamais compromis. L'alcool et la frustration ont achevé de lui enlever le peu de fierté qui lui restait. Naturellement, chez Spike Lee tout se termine par une explosion nucléaire. Ici, c'est un fratricide.Avec un ami, on questionnait l'indépendance de Spike Lee. Pour moi la question n'a pas de sens. Spike Lee réussit à raconter des histoires et à les faire partager à un grand public sans compromettre son discours en y ajoutant sa patte d'artiste. Y-a-t-il meilleure réussite ? Je l'ignore, mais je pense que ce mec n'a pas trop de difficultés à se mirer dans une glace. Il a fait ce qui est juste.