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Shine a Light, de Martin Scorsese

Par Jean-Jacques Nuel

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Le dernier film de Scorsese relève a priori du genre documentaire : la captation d'un concert des Rolling Stones au Beacon Theater de New York, lors de leur tournée The Bigger Band en 2006. Invités par Bill Clinton dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, les Stones veulent bien partager ce combat de sa fondation, comme ils ont toujours aimé se prêter aux comédies sociales, avec une distance ironique et polie : ils saluent bien volontiers Bill et Hillary, la maman de Hillary et les trente invités des Clinton, sous le regard amusé de Scorsese.

Le début du film est original et nerveux, il traite des préparatifs du concert, oppose les soucis et les angoisses du cinéaste, cherchant à placer au mieux ses caméras sans gêner les musiciens ni le public, cherchant à obtenir une impossible liste des chansons programmées, et la sérénité de Jagger, qui répète dans sa chambre d'hôtel et ne veut rien communiquer.

Puis le concert, présenté par Bill Clinton (« C'est mon cadeau d'anniversaire, de présenter les Rolling Stones ! ») commence, et le film devient alors un sublime documentaire : le rendu d'une performance musicale et scénique éblouissante.

Car le concert du meilleur groupe de rock au monde est filmé par un immense cinéaste, qui a toujours adoré les Stones, utilisant certaines de leurs chansons dans ses films, et qui tenait depuis longtemps à leur rendre cet hommage. Les moyens techniques sont à la hauteur : 16 caméras sur scène et dans la salle dont une sur grue et les meilleurs chefs opérateurs ont été recrutés. Scorsese parvient totalement à rendre l'essentiel des Stones : leur énergie, cette même énergie avec laquelle ils ont traversé le temps (les temps) et que l'âge n'éteint pas. Mick Jagger, Keith Richards, Charlie Watts et Ronnie Wood en leurs oeuvres. Jagger se trémousse, se déhanche, arpente la scène, pousse des cris d'orfraie, fait des grimaces, courant durant deux heures après l'éternelle jeunesse, tandis que ses partenaires affichent leur flegme, leur maîtrise décontractée et les beaux stigmates de leur âge.

Le concert est savamment dosé dans le rythme et la progression, alternant les grands classiques (Brown Sugar, Satisfaction, Jumping Jack flash, As tears go by, ...), des chansons peu connues, et trois magnifiques duos avec Christina Aguilera, Buddy Guy, Jack White. Quelques images d'archives viennent entrecouper le show, essentiellement des interviews accordées par les membres du groupe à leurs débuts. Ainsi, cette question posée au jeune Mick : « Vous vous produisez depuis déjà deux ans. Combien de temps comptez-vous tenir encore ? » Et Mick de répondre : « Oh, peut-être bien encore un an. »

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Si le film ne peut remplacer le vécu du spectateur, la transe d'une présence physique au concert, il nous apporte autre chose d'unique : une sorte de don d'ubiquité, les caméras ne laissant rien échapper de tout ce qui est notable et nous restituant une réalité vue à la fois en gros plan et sous tous les angles. On voit ainsi les moments de complicité entre Keith et Ron, Keith donnant son mediator à un spectateur ou sa guitare à Buddy Guy, Charlie lançant ses baguettes dans la salle à la fin du concert... on est sur la scène et dans la scène.

Aucune tentative de Scorsese pour expliquer le mythe de ce groupe, les raisons de leur succès et de leur permanence, le film est pur spectacle, la magie et le rythme des images épousant et renforçant celles de la musique. Les Stones, c'est une matière musicale, une perfection brute, un rock rugueux, essentiel, réduit à ses fondamentaux, une énergie subsistante après 40 ans de carrière, un rapport unique avec le public. Keith Richards, à qui l'on demande à quoi il pense sur scène, répond qu'il ne pense à rien, il ressent. C'est exactement ce qui arrive au spectateur, sous un déluge de bonheur visuel et sonore.

Shine a Light, de Martin Scorsese, avec les Rolling Stones, 2 h 02, sorti en avril 2008.


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