" La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais elle doit en prendre fidèlement sa part "[1]. Cette célèbre phrase de Michel Rocard illustre bien la dualité de la position française sur la crise des migrants : si une minorité de Français est prête à accueillir ceux-ci sur le territoire (46%), une majorité est cependant favorable à accepter leur venue dès lors que ce sont des Chrétiens d'Orient selon une enquête réalisée par l'IFOP pour La Vie[2]. En effet, 62% des citoyens français sont d'accord avec le fait que les Chrétiens d'Irak et de Syrie soient répartis dans les différents pays d'Europe et à ce que la France en accueille une partie d'après un autre sondage publié par l'IFOP et Atlantico[3]. Pourquoi cette différence d'attitude à l'égard de ces populations qui arrivent par dizaines de milliers sur les côtes grecques et italiennes ?
Une première explication pourrait résider dans l'identification d'une partie des Chrétiens français aux Chrétiens d'Orient, ce qui les inciterait à plus de solidarité. En effet, les Français catholiques se montrent davantage favorables à l'accueil des migrants chrétiens orientaux (66%) qu'à l'accueil des migrants de façon générale (40%). Les catholiques ont logiquement plus de bienveillance à l'égard de ceux qui sont de près ou de loin de la même famille religieuse. Mais cette solidarité interchrétienne n'explique pas tout pour comprendre l'écart de position de tous les Français sur la question des migrants chrétiens et des migrants au global. En effet, les " sans religion " vont dans le même sens et sont un peu plus favorables à l'arrivée des migrants sur le territoire français quand ils sont chrétiens (57%) que quand ils ne le sont pas forcément (51%). Plus étonnant encore, l'écart de position des sympathisants de gauche : ceux qu'on imaginait faire le moins de différence entre les peuples selon leur culture, leur religion ou leur origine sont 12 points de plus à accepter la venue des migrants chrétiens d'Orient (85%) qu'à accepter celle des migrants en général (73%).
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène. Tout d'abord, la médiatisation des massacres qui ont été perpétués contre les Chrétiens d'Orient a suscité une vive émotion chez les Français. L'empathie face à cette population persécutée dans certains pays a pu entraîner une position plus ouverte sur l'accueil de ces réfugiés. Ils sont ainsi plus identifiables que des migrants " lambda " dont l'histoire, souvent tout aussi tragique, est moins palpable. Ensuite, on peut supposer qu'il existe une proximité culturelle inconsciente chez les Français qui les rapproche des Chrétiens d'Orient. Qu'ils soient croyants ou non, les Français partagent avec les Chrétiens d'Orient un référentiel civilisationnel commun hérité de plus de 1 000 ans de chrétienté.
Les seuls réfractaires à l'accueil des migrants chrétiens sont les sympathisants Front National (77% d'opinion défavorable). Ils se montrent encore plus hostiles quand il s'agit de tous les migrants confondus (91% sont contre leur accueil). Pour de nombreux sympathisants FN, l'identité nationale prime sur toute appartenance transnationale chrétienne et ne justifie pas d'ouvrir les frontières spécifiquement à la communauté chrétienne d'Orient. On observe ici un véritable clivage entre la droite et l'extrême droite. Les sympathisants Les Républicains sont une majorité à se déclarer prêts à recevoir les migrants chrétiens d'Orient (63%). Tant que le FN se montrera défavorable à l'accueil des migrants chrétiens d'Orient, il sera sans doute difficile pour Marine Le Pen de grignoter des voix sur ce thème chez les sympathisants LR sans décevoir une partie de son électorat attachée à la fermeture stricte des frontières.
[1] https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-09-30-Rocard
[2] http://www.ifop.com/media/poll/3377-1-study_file.pdf
[3] http://www.ifop.fr/media/poll/3387-1-study_file.pdf