Dumont cherchait une servante honnête.
Pierre Landais, paysan sec et bête,
Se dit : '' J' vas li envoyer not' fille Olivia
Ça s' rait p't être bon,
C'te place chez maît' Dumont.
Il est veuf, et il a d'quoi.''
Olivia était une gaillarde
Pas froussarde
Aux grosses joues,
Aux cheveux roux
En chignon
Et à la poitrine abondante.
-" T'iras chez Jean Dumont,
T' proposer comme servante
Et tu f'ras,
Tout c' qu'il t' commandera. "
Olivia restant le regard benêt,
Sa mère lui fit mettre un bonnet
Et elles partirent trouver Dumont.
L'homme avait cinquante ans environ.
Il était riche, jovial, bourru,
Grand, fort et ventru.
Il criait, buvait du cidre, du vin
Et passait pour être un chaud lapin.
Il reçut les deux femmes Landais
Alors qu'il prenait son café.
Se renversant sur son siège, il demanda :
-" Vous voulez quoi ? "
-" C'est not' fille Olivia...
Qu'elle f'rait ben votre servante."
Dumont considéra la postulante :
" Quel âge qu'elle a ?" -"Vingt et un an. "
-" Par mois, j' li donnerai vingt francs
J' l'attends demain
Pour faire ma soupe du matin. "
Le lendemain, comme Olivia
Nettoyait la cuisine, Dumont la héla :
-" Qu'il n'y ait pas d'malentendu.
T'es ma servante. Rin d' pu.
T'entends, soubrette ? "
-" Oui, not' maît'. "
-" T'as le chaudron.
Chacun sa place. J'ai l'salon. "
-" Oui, not' maît'. "
-" Va à ton ouvrage, soubrette ! "
À midi, Olivia servait son patron,
Un fricot qui sentait bon.
Soudain, Dumont se mit à hurler :
-" J'aime pas être seul à manger.
Tu vas t' mett' là
Ou tu fous le camp si tu veux pas.
Va chercher t' nassiette et ton verre. "
Epouvantée, Olivia apporta son couvert,
Prit un verre dans le buffet
Et s'assit
Face à lui.
À la fin du repas,
La servante n'apporta
Qu'une seule tasse de café.
Pris de colère, Dumont grogna :
-" Eh bien, et pour toi, Olivia ? "
-" J' n'en prends point. "
-" Pourquoi qu' t'en prends point ? " -" j' l'aime point. "
Dumont éclata :
-" J' prends point mon café tout seul, Olivia.
Si tu n'veux pas boire avec mé,
Tu vas foutre le camp, nom de Dié ! "
Elle alla chercher une tasse,
Se rassit, prit une goulée,
Fit la grimace
Mais Dumont la força à tout avaler.
Ensuite, on but un verre de rincette,
Puis le second du pousse-rincette,
Et le troisième, dit du coup de pied-au-cul.
Alors, Maître Dumont, détendu,
Lui ordonna :
-" Maintenant,
Va-t'en
Faire la vaisselle, Olivia ! "
Après diner, elle dut jouer une partie
De dominos. Puis Dumont l'envoya au lit.
À peine était-elle sous les draps,
Qu'en vociférant, il l'appela.
Elle répondit : " Me v'là..."
-" Veux-tu v'nir, nom de Dieu !
J'aime pas coucher seul, nom de d'là !
Si tu veux pas, fous le camp, vain dieu ! "
Et Dumont la prit par le bras :
-" Allez viens et plus vite que ça ! "
Six mois plus tard, le père Landais
Regardant le ventre de sa fille Olivia,
Lui dit : -" T'es grosse ! " -" J'sais pas. "
-" Quéques soirs vous auriez pas mêlé
Vos sabots, tous deux ? "
-" Ben, oui, i' s' disait amoureux. "
Landais se leva d'un bond
Et courut chez Dumont
Pour causer de l'affaire.
...Au début de l'hiver
Maître Dumont épousait
Olivia Landais.
*En Normandie, on appelle un paysan-propriétaire : ''maître''.