d'Alice Zeniter
Roman - pages
Éditions Flammarion - août 2015
Prix Renaudot lycéens - 2015
Émilie étudie la vie et l'œuvre de l'écrivain Galwin Donnell. C'est le sujet de sa thèse, c'est le thème des Journées d'étude autour de l'auteur, mort depuis quelques années, qui se déroulent sur l'île de Mirhalay, loin de tout. Franck, son amoureux, infirmier à Paris, la rejoint même s'il pressent déjà qu'Emilie se consacre presque exclusivement à son héros des lettres, et qu'il sera peut-être difficile d'attirer son attention, de renforcer leur amour.
Qu'il est difficile de résumer ce livre, tant il est brillant et assez original par sa forme. On peut penser de prime abord que ce sera ennuyeux, que les nombreuses évocations littéraires auront raison de notre assiduité mais ça n'est pas le cas, loin de là. Les chapitres alternent entre les journées vécues par Émilie qui potasse son intervention publique dans le cadre du colloque, les journées d'errance de Franck, qui suit sa copine ou se laisse entraîner par Jock, le gardien permanent de l'île, habitué à la solitude mais qui trouve en Franck une oreille de confiance. Il lui propose de lui apprendre certaines choses inédites de la vie insulaire, de l'envers du décor concernant l'écrivain adulé... Et puis certains chapitres reprennent des extraits des travaux réalisés par ceux qui ont étudiés Donnell. Et le tout est absolument bien ficelé, cette ambiance nous capte facilement d'autant que la plume d'Alice Zeniter est savoureuse. Que Donnell ait ou non existé, elle a fait de lui un personnage réel qui justifie que d'autres ont eu des vies qui en dépendent toujours. Extrait :"Elle comptait les vergetures et les plissements qui commençaient à parcourir son corps, à le redessiner, à le découper en territoires étrangers. Et elle pensais qu'elle arrivait à un âge où son physique la lâcherait petit à petit et que la société ne lui pardonnerait que si elle avait un certain nombre de grossesses et d'allaitements pour l'expliquer. Parce que la mère est sacrée, d'une manière ou d'une autre. Mais qui pardonnait aux thésardes de trente-cinq ans les rides presque fantomatiques que révélait leur décolleté lorsqu'elles mettaient une robe d'été pour boire des apéritifs en terrasse? Personne. Ni les hommes qui ne supportaient pas de constater l'obsolescence de leurs compagnes - à la fois terrifiés de réaliser que leur instinct de protection n'était d'aucune utilité face à la vieillesse et dégoûtés de voir le corps aimé devenir maison de sorcières -, ni les adolescentes que leur peau parfaite rendait cruelles et qui refusaient de se conforter à ce qu'elles seraient dans vingt ans. " Juste avant l'oubli parle aussi bien sûr d'un amour qui se délite, qui se retourne sur son propre effacement progressif. En conscience les choses se défont, les amoureux sont déçus des attentes inassouvies, des décalages de centres d'intérêt, des blessures de ce que l'on ne peut partager. C'est très bien évoqué, très délicat, pour retranscrire avec justesse cette sorte de saudade d'avant la fin officielle, cette tristesse qui vient juste avant l'oubli. C'est aussi l'histoire d'un autre homme, Jock, esclave ermite, serviteur isolé, un homme qui n'a pas choisi sa vie ni sa demeure et qui fustige le monde des privilégiés plaintifs des contraintes qu'ils s'imposent à eux-mêmes. L'écriture littéraire a aussi sa place importante, elle est toujours présente, lien entre les hommes d'élite, microcosme aveugle, mythes insensés. Juste avant l'oubli est un roman sur la solitude et sur le besoin du regard des autres. C'est même un livre à suspense, une véritable prouesse aux allures de roman noir, une histoire singulière portée par la froide ambiance des Hébrides.
L'avis de BookFalo Kill - Cannibales lecteurs
Extrait d'entretien - La Grande Librairie