Qu'il était drôle, Pavigné !
Avec ses jambes d'araignée,
Son petit corps, ses longs bras
Ses cheveux rouges et gras.
Clown naturel,
Il savait à peine lire,
Mais possédait l'art de faire rire
Les paysans auxquels
Il jouait des rôles
Simples et drôles.
Les filles ne lui résistaient point.
Il les entrainait dans un coin,
Les chatouillait, les pressait...
Elles se tordaient.
Il les renversait.
Toutes y passaient.
L'été dernier, il s'engagea pour la moisson
À Cormeilles, chez maître Caron.
Trois semaines durant,
Le sacripant
Régala son auditoire
De facéties jubilatoires.
Le jour, il liait le blé
À grands gestes endiablés.
La nuit, dans le grenier, il s'ingéniait
À câliner les femmes et les cajoler.
Puis il détalait à quatre pattes.
Les paysannes éclataient de rire
Et lui jetaient leurs savates.
Le dernier jour des moissons, Pavigné,
Tel un satyre,
Gambillait, grimaçait, chantait
Au milieu des femmes dépeignées,
Vautrées sur le char qui cahotait.
Il voulut faire une galipette
Mais il rata son coup,
Tomba de la charrette,
Heurta une roue
Et s'aplatit dans le fossé.
On lui toucha la jambe, il beugla.
On le mit debout, il s'affala.
-" Il a une patte cassée,
Fit Sauveur,
Faut prévenir le docteur. "
À l'hôpital,
Pavigné fut royal.
À la religieuse qui le pansait,
Il clignait de l'œil, retroussait son nez...
Ses voisins de lits se pliaient de rire.
Même la Supérieure venait se divertir.
Pour elle, il trouvait des blagues inédites.
Puis il se fit dévot, prosélyte,
Parla du bon Dieu sans badiner,
Alluma les cierges, remplit le bénitier...
Une sœur lui ayant appris des cantiques,
Il se mit à louer d'une voix angélique
La Vierge Marie,
Les séraphins et le Saint Esprit.
La Supérieure lui donnait le ton
Et il chantait les répons.
Le dimanche, il servait la messe.
Ses manières firent florès :
La chapelle
De l'hospice s'emplissait.
Les fidèles
De la paroisse désertaient !
À sa totale guérison
La Supérieure lui fit don
De vingt-cinq francs.
C'était d' l'argent !
Il s'arrêta dans un café,
Se fit servir un guignolet
Puis un second...
Après un jeûne aussi long,
Son palais se sentait cajolé.
Tout gai, il s'en est allé
En quête d'un lieu de délices
Qu'il trouva à midi.
Une femme de service lui dit :
" C'est l'heure de fermeture officielle. "
Il la fit rire, sortit son escarcelle,
La soudoya, réclama et attendit.
La porte d'une chambre s'ouvrit.
Une fille parut, grasse et rouge.
Pavigné s'écroula sur le lit du bouge.
D'un coup d'œil sûr, elle lui dit :
-" T'as pas honte, à c't'heure-ci ? "
-" De quoi, princesse ? "
-" Mais de déranger une hôtesse
Avant sa soupe, espèce de zouave !"
-" Y a pas d'heure pour les braves. "
-" Y a pas d'heures non p'us,
Vieux pot, pour ceux qu'ont bu !"
-" J' suis pas un pot, et j' suis pas saoul. "
-" Pas saoul ? "
-" Non, pas saoul. "
"Tu peux seulement pas tenir debout ! "
Fâché, Pavigné se dressa :
-" Même, que j'danserais la polka. "
Elle le frappa à l'estomac.
Il trébucha, fit une pirouette,
Et tomba,
Entrainant dans son élan
La cruche d'eau et la cuvette.
Il eut des cris si perçants
Que toute la maisonnée accourut.
On voulut
Le relever
Mais Pavigné s'écroulait.
" Dire qu'on vient de me réparer
Mon aut' jambe ! Bien vrai ! "
On alla chercher le médecin. :
"C'est encore vous, espèce de sac à vin !"
-" Oui, m'sieu. " -" Qu'avez-vous ? "
-" L'aut' que la femelle m'a cassé itou. "
-" Menez-le à l'hôpital, d'où il sort d'ailleurs. "
Quand Pavigné arriva à l'hospice des sœurs.
La Supérieure l'accueillit : " Cette fois,
Vous avez quoi ? "
-" L'aut' jambe cassée, ma sœur. "
-" Encore un char de paille, farceur ? "
-" Non, mais vous allez trouver la chose cocasse
C'était encore une paillasse ! "
La Supérieure n'a jamais su
Que cet accident
Etait du
À son bienfait d'argent.