Magazine Journal intime

La fête du sport

Par Evainlondon

Jamais je ne me suis sentie autant en décalage avec mon pays d’accueil.

Il est 10 heures du matin, je patauge dans la gadoue en escarpins, et je suis censée m’enthousiasmer devant des mioches de 4 ans en train de faire « du saut en longueur ». Dans la boue.

Bienvenue au Sports Day.

Tout a commencé il y a quelques jours. Mes capacités d’anticipation étant proches de zéro (au bout de dix ans à Londres, je suis encore du genre à sortir sans parapluie), je n’avais prêté qu’une distraite attention (comprendre : aucune) à la ligne « juin : fête du sport, date à confirmer » dans le calendrier scolaire de MiniPrincesse, pourtant fièrement affiché sur le réfrigérateur familial. Il y a quelques jours donc, papotant avec une autre maman française lors de la récupération des enfants, j’ai donc appris avec stupeur que la présence des parents à la fête du sport (« Sports Day ») était O-BLI-GA-TOIRE. Pas obligatoire au sens « vous encourez amende et peine de prison en cas d’absence » (ces sanctions s’appliquant en cas d’absence des enfants hors vacances scolaires, mais c’est une autre histoire). Non, obligatoire au sens de « vous serez éternellement marqués du sceau du mauvais parent si vous n’assistez pas à cette grand-messe sportive qu’est la fête du sport de l’école anglaise ».

Et n’oublie pas de dire à ton mari de poser sa journée, complète Valérie, narquoise.

  Les pères viennent aussi ?!

Il est de notoriété publique que les pères, EUX, ont mieux à faire que de s’occuper de leurs mômes en semaine et ne s’absentent de leur travail qu’en cas d’événement majeur. La dernière fois que j’ai vu un père, d’ailleurs, c’était au concours d’entrée des enfants de trois ans.

  Hors de question que je me tape des courses en sac et des gamins en train de pleurer sous la pluie, décrète Prince, inébranlable. Mais libre à toi de te dévouer, ajoute-t-il, goguenard.

Vision prophétique s’il en est.

Le jour J

7h30 : je pars au bureau sous une pluie battante. C’est sûr, avec ce temps, ils vont annuler.

8h30 : aucune nouvelle de l’école.

8h45 : toujours aucun mail de l’école. C’est mauvais signe. La pluie, en revanche, est plus forte que jamais. Je pense au léger imperméable noir que j’ai fourré dans la sacoche de MiniPrincesse ce matin, en songeant qu’il ne fera pas le poids devant le déluge qui s’abat sur Londres.

9h30 : aucune envie de quitter mon bureau.

9h40 : si je ne pars dans deux minutes, je vais être en retard.

9h50 : je suis en retard.

10h10 : j’ai fini par localiser le stade local dans lequel, cela va sans dire, je n’avais bien évidemment jamais mis les pieds. Au loin, j’aperçois de nombreux êtres de petite taille, tous en imperméable noir. Vive l’uniforme anglais.  

10h13 : j’arrive juste à temps pour voir MiniPrincesse effectuer un saut en longueur triomphal dans la boue. Et juste à temps pour lui dire de remettre sa capuche.

10h15 : il y a des pères, c’est officiel. Un rapide calcul m’indique cependant que tous les parents de l’école ne sont pas présents, loin de là. Je me garderai bien sûr d’en informer Prince ce soir.

10h18 : « Remets ta capuche, MiniPrincesse » (troisième fois)

10h25 : l’emballement unanime devant un mystérieux relais àen cerceau me laisse perplexe. Je cherche la maman française.

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Au moins, elle a sa capuche

10h35 : Valérie m’adresse un clin d’œil complice devant les « You’re the best ! » et autres « Come on, you can do better than that (allez, tu peux faire mieux que ça ! ») du couple (oui, les deux sont là) à côté de nous.

10h50 : « Remets ta capuche, MiniPrincesse » (dix-huitième fois)

11h : pause pipi. J’observe avec une admiration non dissimulée la maîtresse de MiniPrincesse emmener aux toilettes une trentaine d’enfants trempés jusqu’aux os (mais MiniPrincesse a encore sur le crâne quelques cheveux secs).

11h10 : la pluie est plus forte que jamais. Je pars à la recherche de la directrice pour voir s’il y a moyen de négocier de ramener MiniPrincesse à la maison à midi, comme semblent l’indiquer certaines rumeurs (principalement diffusées par les parents étrangers).

11h12 : je me vois opposer une fin de non-recevoir par la directrice. Je crois qu’elle n’a même pas compris pourquoi la question se posait.

11h45 : succession de courses autour du stade, par groupes de quatre. Les pères se voient offrir le beau rôle, à savoir la distribution de médailles. MiniPrincesse arrive systématiquement quatrième. Je n’en verse pas moins une petite larme (ou peut-être est-ce le vent qui me fait pleurer) en la voyant courir à toutes (petites) jambes.

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11h50 : je repense au bon vieux temps où c’était moi qui enchaînais péniblement les tours de stade. Sans une opportune dispense médicale, je crois bien que le sport m’aurait coûté ma mention très bien au bac.

12h05 : le papa d’un petit camarade de classe de MiniPrincesse me demande si elle fait partie de l’équipe des rouges ou de l’équipe des verts. Je ne savais pas qu’il y avait des équipes.

12h30 : fin des festivités pour la matinée. Les gamins qui ne se sont pas goinfrés de chips et de beignets (en libre-service toute la matinée) déballent avec entrain leur pique-nique. Les parents profitent d’une légère accalmie (traduire : le déluge s’est transformé en crachin) pour sortir la sempiternelle couverture de pique-nique et le panier qui va avec. Je rejoins MiniPrincesse pour un agréable casse-croûte champêtre.

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Vision bucolique

12h50 : je vois avec inquiétude un groupe de mamans se rapprocher de moi pour savoir si je participerai à la course en sacs des mamans (suivie, bien sûr, de la course des papas, de celle des grands-parents et de celle des tout-petits)

12h52 : une urgence au bureau. Je fais des adieux précipités à MiniPrincesse et traîne pour la dernière fois mes escarpins dans la gadoue.

Il paraît que c’est l’équipe des jaunes qui a gagné.

Je ne savais même pas qu’il y avait une équipe des jaunes.


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