La Camargue au grand angle
Trente degrés à l'ombre.C'est parti pour douze bornes de rando avec La Moustache.Sur la digue quasi rectiligne qui mène de Saintes Maries de la Mer jusqu'au phare de la Gacholle, l'ombre est rare. Elle se limite à hauteur de brin d'herbe, ou plutôt, à hauteur de la lande éparse qui tente vaillamment de planter ses racines dans un sol aride et minéral, digne d'un décor de Mad Max. Un vent sec venu de la terre balaye les étendues neigeuses des salins et se charge en cristaux de sel, irritant les muqueuses, piquant la peau déjà brûlée par le soleil. Le vent cependant allège la chaleur insupportable. Quant au soleil, tenter de s'en protéger en se couvrant la tête ne suffit pas. La réverbération insidieuse du sol prend en traitre. Malgré chapeau et crème, les UV l'emportent et le rouge est de mise.Douze bornes sous un cagnard d'août, hurlant sa force au bleu électrique d'un ciel abasourdi. La mer au sud, le delta du Rhône au nord. La fine bande de terre surélevée trace une frontière éclatante. Une tentative de délimitation humaine entre deux monde qui cohabitent dans un équilibre fragile, une tentative de compréhension du baiser amoureux entre eau salée et eau douce.Le vent blanc se fout des hommes.Le soleil aussi.La digue aussi est tannée, balayé, asséchée.
Deux kilomètres avant le phare, notre destination, la route de caillasses blanches cède à un revêtement sombre, dur, pas vraiment du bitume mais tout aussi brûlant et raide sous la semelle. Ces deux derniers kilomètres fatiguent le corps déjà abruti de chaleur et usé par le sel. Enfin, nous atteignons les bâtiments.Il n'y a pas de bateaux qui risquent l'échouage. Les randonneurs un peu fou, peinent à trainer leurs pieds alourdis. Nous sommes les seuls marcheurs à tenter l'aventure, les autres vacanciers croisés préfèrent tous le vélo. Après une collation légère et de l'eau en quantité insuffisante pour étancher notre soif infini, nous attaquons le chemin du retour. Le soleil de l’après-midi s'installe plus joyeux et impérieux que celui du matin.
On entendrait presque la terre se craqueler sous la fuite éperdue de l'eau qui s'échappe dans l'atmosphère. On pourrait presque entendre le crissement timide de la cristallisation lente du sel qui se dépose sur les berges à mesure que l'eau s'envole vers les nuages. La mort par asphyxie des crevettes et des crabes, quand l'eau devient saumâtre. Génocide silencieuse de crustacé. On entendrait presque dans son funeste sillage, les algues pousser. Dans leur croissance incontrôlable, elles font rougir les flaques agonisantes.
Mais le tohu-bohu du vent couvre tout.Oiseaux, insectes, cailloux sous nos semelles.Le vent salé cautérise leur voix. Ici, quand le mistral prend la parole, les hommes se taisent. La mer retient son souffle lointain.Et nous, sur nos deux pattes, nous avançons péniblement, épuisé mais heureux, repus de cet horizon rayé de vert-jaune, d'ocre et de blanc, de bleu profond et insondable.
Carte de la randonnée en fin d'article, après les photo : 24 km d'après google maps, 26 d'après l'office du tourisme.
Copyright : Marianne Ciaudo