Le labyrinthe du silence - 8/10

Par Aelezig

Un film de Giulio Ricciarelli (2014 - Allemagne) avec Alexander Fehling, André Szymanski, Friederike Becht

Passionnant.

L'histoire : Francfort, Allemagne, 1958. Johann, jeune procureur, débute sa carrière en gérant des petits dossiers d'infractions mineures. Alors qu'il discute dans le hall avec des collègues et des supérieurs, ils sont interpellés par un journaliste qui dénonce la présence, en tant que professeur, d'un ancien bourreau d'Auschwitz. Peut-on laisser un tel personnage enseigner à la jeune génération ? Mais tout le monde baisse le nez. Les plus vieux parce qu'ils n'ont pas envie de remuer ce si lourd passé, les plus jeunes, comme Johann, par ignorance totale du sujet, et par déférence envers ses pairs plus âgés. Intrigué, il récupère néanmoins l'article du journaliste dans une corbeille, puis le contacte... et découvre l'horreur des exactions commises, le nombre sidérant de victimes, et le silence qui règne sur l'Allemagne quant aux criminels. Il décide de se consacrer à une large investigation sur Auschwitz...

Mon avis : Voici un film découvert un peu par hasard, au gré de mes feuilletages de revues... Je n'en avais jamais entendu parler et je tombe sur une excellente critique, donc je tente. 

Je savais qu'après la Seconde guerre mondiale, peu d'Allemands connaissaient la véritable histoire des camps de concentration. On leur disait qu'il s'agissait de camps de travail où les juifs et les prisonniers de toutes sortes participaient à l'effort de guerre. Après la chute des nazis, la parole ne se libère pas pour autant : ceux qui ont participé fuient le pays ou se cachent ou se taisent ; les victimes rescapées elles-mêmes ne parlent pas, trop de peur, trop d'angoisse, le sentiment de culpabilité (pourquoi ai-je survécu, moi, et pas ma femme, mes fils...), l'effroi aussi quand on voit dans le regard de l'autre qu'il ne vous croit pas... Il y a eu le procès de Nuremberg, on a puni quelques uns des criminels, et l'Allemagne pense que l'affaire est close.

Le pays se reconstruit petit à petit mais des journalistes et des hommes de loi courageux tentent de briser l'omertà, de lever le couvercle de la boîte de Pandore et d'affronter le passé, même si c'est pour découvrir que votre père ou votre grand-père était un assassin. 

Voici ce que le film raconte. C'est édifiant, captivant comme un thriller, bouleversant et magnifiquement interprété, surtout par ce magnifique Alexander Fehling, croisement de Robert Redford, Sam Shepard et Owen Wilson.

Pour une première réalisation, en outre, chapeau bas, Monsieur Ricciarelli (réalisateur italien, installé en Allemagne) ! Encore aujourd'hui, le sujet reste audacieux : l'Allemagne pense avoir fini de panser ses plaies et affiche sa prospérité avec un poil d'arrogance parfois. Le passé est le passé, n'en parlons plus. Je suis d'accord. Mais il est bon de temps en temps de faire ce travail de mémoire. D'autant que l'on voit partout en Europe ressurgir des mouvements qui font peur... 

Et ça interroge aussi : faut-il laisser les cadavres dans le placard ? peut-on pardonner l'indicible à ses parents ? doit-on dénoncer ? Les réactions des personnages autour de Johann divergent entre stupéfaction, déni, anéantissement. Les regards épouvantés de la secrétaire qui tape les témoignages des victimes en disent long... La difficulté de ces jeunes et moins jeunes, héritiers d'un cauchemar, est par ailleurs fort bien illustrée par la romance entre Johann et Marlene : il fait son enquête, qui dévore ses jours et ses nuits ; elle est dans le "futur" et monte son entreprise, ne souhaitant pas s'attarder sur ce qui s'est passé.

L'histoire est vraie, on l'appelle "le procès Auschwitz" mais le personnage du jeune procureur est un mélange de plusieurs, dont leur chef de file, Fritz Bauer.