Il est un faucheur…
Il est un faucheur, c’est la mort,
Il fait les foins quand Dieu le veut ;
Vois-le fourbir sa faux,
Qu’elle brille en fauchant,
Car bientôt il te fauche,
Et tu le dois souffrir ;
Tu composeras sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Ce qui fleurit en ce jour d’hui,
Demain déjà sera fauché ;
Et vous, nobles narcisses,
Et vous, douces mélisses,
Liserons languissants,
Jacinthes des douleurs,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Nombres infinis, mille et cent,
Qui sous sa faux devrez périr !
Hélas ! roses et lis,
Basilics crépelus !
Même vous, fritillaires,
Ne serez épargnées :
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Et toi, véronique azurée,
Pavot rêveur, jaune, rouge ou blanc,
Renoncule, auricule,
Œillets étincelants ;
Et vous, nards, malvacées,
Qui n’attendrez long temps,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Tulipes des champs colorés,
Et toi, merveilleux floramour,
Et vous, de sang parentes,
Très rouges amarantes,
Vous, tendres violettes,
Pieuses camomilles,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Ô pied-d’alouette orgueilleux,
Ô coquelicots dans les blés,
Ô roses d’Adonis,
Et vous, sceaux de Salomon,
Et vous, bleuets bleutés,
Vous faut-il l’avertir ?
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Ne-m’oublie-pas, douce pensée,
Il sait bien ce que dit ton nom ;
Myrte des fiancées,
Abreuvé des soupirs,
Vous aussi, immortelles,
Il vous abattra toutes !
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Arme et trésor du vert printemps,
Sceptres d’or, corolles sans nombre,
Ô glaives et sagettes,
Ô lances et carreaux,
Crêtes, porte-drapeaux
D’innombrables ancêtres,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Joyau prairial du beau mai,
Couronne ornée et arrosée,
Cœurs qui vous enlacez,
Ô langues et flammèches,
Doigts auxquels on enfile
De ces brillants anneaux,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Corselets veloutés des roses,
Ô des lis voilettes soyeuses,
Séduisantes clochettes,
Hélices et aigrettes,
Ô grappes et calices,
Ô palmes et cornettes,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Conforte-toi, mon cœur, le temps
De la délivrance est venu !
Ô serpents et dragons,
Gueules frangées de dents,
Ô chevilles et cierges,
Les chiffres du martyre,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Ô peine intime, apprête-toi !
Le réconfort de ta parure,
Les soupirs qui embaument
Des calices amers,
Les vrilles d’espérance
Des chétives idées
Or composeront sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Avettes, laissez là les champs,
Tôt vos rayons seront brisés !
Et les fonts des délices,
Les regards, les soleils,
Ce miracle des astres
S’éteindront en ce temps
Et composeront sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Ô étoile et fleur, souffle et chair,
Peine, amour, temps, éternité,
Tressons cette couronne
Et lions cette gerbe !
Que nulle fleur ne manque !
Le Seigneur sur son aire
Comptera les grains un à un,
Garde-toi, belle fleurette !
Ce qui a mûri…
Ce qui a mûri en ces lignes
Et y sourit en sa supplique
Ne troublera pas l’enfant :
La simplicité l’aura semé,
La douleur l’aura parcouru,
Le languir l’aura porté ;
Et quand le champ sera fauché,
Pauvreté ira par les chaumes
Pour chercher de ces épis,
Amour, qui pour elle a péri,
Amour, qui comme elle est rené,
Amour, qui bien voudra d’elle ;
En ce temps, très seule et très humble,
Qu’elle aura su prier la nuit,
Égrenant grain après grain,
Lorsque le coq aura chanté,
L’œuvre d’amour, la peine enfuie
S’inscriront sur ce calvaire :
Ô étoile et fleur, souffle et chair,
Peine, amour, temps, éternité !
Clemens Brentano
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