Pourquoi un manufacturier automobile voudrait-il fusionner avec un producteur d’énergie solaire? Pour transformer le marché de l’électricité et sauver le monde. Rien de moins.
En début de semaine, Tesla a annoncé être parvenue à une entente de principe pour faire l’acquisition de SolarCity, une entreprise spécialisée dans la production d’énergie solaire à domicile. La transaction s’effectuerait sur la base d’un échange d’actions (les actionnaires actuels de SolarCity recevraient 0,11 action de Tesla pour chaque action de SolarCity), et vaudrait 2,6 milliards de dollars selon le cours actuel des titres à la Bourse.
Ce n’est pas exactement une surprise. D’abord parce que les liens entre les deux entreprises sont bien connus : Elon Musk, le grand patron de Tesla, est aussi le président du conseil d’administration et l’actionnaire principal de SolarCity, dont le PDG est son cousin. Ensuite, parce que les batteries pour domiciles Powerwall de Tesla sont conçues pour emmagasiner l’énergie captée par des panneaux solaires pendant la journée et alimenter la maison la nuit, voire pour transformer chaque famille en une productrice d’énergie capable de revendre ses surplus à un éventuel réseau de distribution intelligent.
Mais surtout, parce que Musk a ouvertement annoncé ses intentions lorsqu’il a publié son nouveau plan directeur, Master Plan, Part Deux, sur le blogue de Tesla il y a quelques semaines.
Des intentions, comment dire… ambitieuses. Ce qui ne surprendra aucunement ceux qui connaissent le personnage.
Comment sauver le monde, une batterie à la fois
Dans son plan directeur, Elon Musk reconnaît que l’écosystème énergétique actuel basé sur les combustibles fossiles n’a que deux issues possibles : soit une catastrophe écologique causée par les changements climatiques, soit l’éventuel épuisement des ressources et «l’effondrement de la civilisation» selon ses termes.
Modélisation 3D de l’usine Gigafactory de Tesla.
La solution? Le passage le plus rapide possible aux énergies renouvelables. Avec l’ouverture récente de la première unité de production de son usine de batteries surnommée Gigafactory, Tesla est en mesure d’augmenter la production des batteries Powerwall; en absorbant formellement SolarCity, Musk veut «créer un produit intégré, formé d’une batterie et de panneaux sur le toit, qui fonctionne simplement et qui donne à l’individu le pouvoir de devenir son propre producteur d’énergie» – et ce, partout dans le monde.
Tesla veut développer la conduite autonome par intelligence artificielle jusqu’à ce qu’elle soit au moins dix fois plus sécuritaire que la conduite humaine.
Le reste du plan est tout aussi ambitieux. D’abord, Tesla compte envahir la plupart des segments du marché du transport routier, avec une camionnette, un VUS, un camion lourd et un petit bus autonome pour le transport en commun, que l’on appellerait comme un taxi à partir d’une application une fois rendu à l’arrêt.
Dans un deuxième temps, Tesla veut développer la conduite autonome par intelligence artificielle jusqu’à ce qu’elle soit au moins dix fois plus sécuritaire que la conduite humaine. À la clé : un algorithme d’apprentissage massivement parallèle, où chaque véhicule contribue à la connaissance de l’ensemble et bénéficie de l’expérience accumulée par tous ses semblables.
Pour un type qui disait, il n’y a pas si longtemps, craindre les conséquences néfastes de l’intelligence artificielle, voilà une prise de position bien téméraire!
Enfin, l’entreprise souhaite opérer des flottes de véhicules autonomes auxquelles les propriétaires de voitures Tesla pourraient louer leurs voitures et camions pendant les heures qu’ils passent au bureau ou quand ils partent en vacances. Il suffirait de rappeler son véhicule à soi lorsqu’on en aurait besoin ou de prévoir des plages horaires pendant lesquelles il nous serait réservé. Économie de partage, vous dites?
Et bien sûr, pour alimenter tous ces millions de véhicules électriques, il faudra des batteries et de l’énergie. La Gigafactory disposera, à terme, d’assez de capacité pour fournir en batteries 1,5 million de véhicules par année, et rien n’empêche d’en construire une autre au besoin. Bien entendu, on pourra recharger son véhicule chez soi à partir de son Powerwall, lui-même alimenté par des panneaux solaires SolarCity, installés sur le toit ou derrière la maison.
Si ça marche, ce sera grandiose.
Mais est-ce que ça va marcher?
Le plan de Musk peut échouer de mille manières différentes.
L’acquisition de SolarCity par Tesla, c’est la partie facile du plan.
Il faut encore obtenir l’approbation des actionnaires qui ne font pas déjà partie de la famille d’Elon Musk, mais disons qu’une bonne partie d’entre eux doivent avoir choisi d’acheter des titres de Tesla ou de SolarCity parce qu’ils lui font confiance alors il s’agit sans doute d’une formalité.
C’est après cette étape que ça se complique. En fait, le plan de Musk peut échouer de mille manières différentes :
- La production mondiale de lithium sera-t-elle suffisante pour alimenter une (ou dix) Gigafactory tournant à plein régime?
- Quel pourcentage de la population acceptera de renoncer à la conduite automobile au profit d’un ordinateur?
- Qui voudra louer sa voiture comme taxi robotisé en plein milieu de la journée, en espérant la retrouver propre et en bon état à la sortie du bureau?
- Comment le plan s’adaptera-t-il à la réalité des régions «solairement défavorisées» et à celle des villes densément peuplées où les tours de condos et les blocs d’appartements ne disposent pas d’assez d’espace pour installer des panneaux solaires en quantité adéquate?
- Les organismes de transport en commun se laisseront-ils séduire par des flottes de mini-autobus autonomes ou bien l’inertie et la peur des dépassements de coûts nous condamneront-elles à une éternité de gros autobus bondés du matin au soir?
Toutes ces questions incitent à la prudence. Mais il sera passionnant de voir comment Tesla tentera d’y répondre.