Sylvie et Jérôme vivent dans le Paris des années 60. Psychosociologues tous les deux, ils enchaînent les missions sans réellement se poser. Ils ont un petit appartement, une vie tout à fait correcte, mais cela ne leur suffit pas. A force de regarder tous les objets qui les entourent, ils imaginent en avoir plus, d’autres, plus luxueux, différents. Eternels insatisfaits, ils se désespèrent de ne pouvoir acheter au vrai prix les vêtements les plus élégants. En attendant, en jeunes intellectuels parisiens, ils se complaisent dans les idéologies et causes plutôt que de vraiment faire avancer leur situation comme ils le voudraient.
Ce qui pour moi ressort de cette courte lecture-écoute, c’est cette impression d’enlisement, d’immobilisme dans lequel les deux héros se trouvent. Force est de constater qu’à la fin du livre, ils n’ont guère avancé. Malgré leur départ pour Sfax, une ville de Tunisie qui leur promet nouvel emploi, nouvel environnement et nouveaux enjeux, ils ne font que retomber dans leur même ennui. Même s’ils cherchent à se convaincre que leur vie est avant tout légère et que leur nourriture intellectuelle et militante leur suffit, ils finissent toujours par rêver de nouveaux objets, nouveaux vêtements, nouveaux voyages. Lancinant, porté par un imparfait permanent qui appuie cette lenteur, par un pluriel permanent qui empêche d’individualiser les personnages, par une importance démesurée accordée à l’énumération de tous les objets, et leur texture, leur facture, leur couleur, le ton achève de transformer ce roman en long constat d’inaction et d’insatisfaction. Heureusement, il est court, donc la longueur ne se sent pas, plutôt ce drôle de rythme sans relief qui est celui des protagonistes.
En cela, on ne peut que constater la modernité de cette fable. Ironiquement sous-titrée “une histoire des années soixante”, ce roman pourrait tout à fait décrire la vie de jeunes actifs d’aujourd’hui, fascinés par tout ce qu’ils n’ont pas tout en affichant un feint détachement qui leur permet de refaire le monde, et incapables de vraiment trouver du contentement dans ce qu’ils obtiennent. Le constat est amer, assez pessimiste, et je ne m’y suis pas du tout reconnue et heureusement!
Enorme point fort: la lecture de Raphaël Personnaz. Sur un roman qui traite, finalement, de l’ennui, une lecture fade pourrait tout gâcher. Il n’en est rien. Sa voix bien posée et dynamique module à la perfection les quelques nuances de ce texte si particulier. Là encore, il parvient à lui donner la vie et la modernité qu’il mérite.
La note de Mélu:
Une jolie découverte!
Un mot sur l’auteur: Georges Perec (1936-1982) est un écrivain français, membre de l’OuLiPo, connu notamment pour ses mots croisés dont il était virtuose. Il est lauréat du Prix Renaudot pour Les Choses ou encore pour son palindrome, La Disparition, écrit sans la lettre –e-. D’autres livres de Georges Perec sur Ma Bouquinerie: