#HuitrestriploidesPar Raphaëlle Maruchitch — Il est impossible de différencier à l’œil nu une huître classique d’une huître triploïde, d’où le débat sur leur étiquetage. Photo Jean-Daniel Sudres. Voyage gourmand.«Nous ne mangeons pas d’huîtres pour nous nourrir, mais par plaisir»,rappelle comme une évidence un ostréiculteur de l’île de Ré, en Charente-Maritime. Ces coquillages ont une réputation d’authenticité auprès du consommateur. Pourtant, comme pour bien d’autres élevages français, l’ostréiculture n’a plus rien de naturel. L’espèce que l’on déguste aujourd’hui, l’huître creuse japonaise, a été importée sur nos côtes dans les années 70. Par ailleurs, près de la moitié du naissain (les larves d’huîtres) élevé en France provient d’écloseries qui sélectionnent les mollusques, notamment en fonction de leur résistance aux agents pathogènes. Mais surtout, l’huître est un produit saisonnier : la majorité des consommateurs ne la dégustent que lors des mois en «r» (de septembre à avril), car le reste du temps, elle est en période de reproduction et produit sa semence, ce qui la rend laiteuse. C’est pour pallier cet inconvénient commercial que, depuis le début des années 2000, une autre catégorie d’huîtres s’est taillé une place de choix sur le marché français : «l’huître des quatre saisons».Comme son nom l’indique, on peut la consommer toute l’année, car elle ne produit pas de laitance. On l’a génétiquement modifiée pour que ses cellules comptent trois exemplaires de chaque chromosome, au lieu de deux. Tout comme les humains, une huître normale groupe ses chromosomes par paires - elle est «diploïde». Mais si l’on remplace les paires par des triplets, elle devient «triploïde» et stérile. Pour autant, on ne parle pas d’organisme génétiquement modifié (OGM), car on n’introduit pas dans l’huître de caractéristique nouvelle qu’elle ne possède pas à l’état naturel. L’huître triploïde est donc un OVM, un organisme vivant modifié. Et il n’existe pas de réglementation sur le sujet. Les triploïdes ne sont même pas signalées comme telles : l’étiquetage n’est pas obligatoire. Il est donc difficile de les suivre et de les quantifier, mais Philippe Maraval, directeur général du Comité national de la conchyliculture (CNC), estime qu’un petit quart du marché français est concerné : «Moins de la moitié des professionnels ont recours couramment aux écloseries, et sur cette partie-là, moins de la moitié ont recours aux triploïdes.»Le premier brevet qui a mené à la production de ces huîtres est américain et date de 1995. Il a été exploité dans l’Hexagone par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), avant que cet organisme dépendant des ministères de l’Environnement et de la Recherche ne développe sa propre méthode de production des triploïdes. Pour obtenir une huître à trois jeux de chromosomes, c’est simple : il faut marier une huître normale, diploïde, avec une huître à quatre jeux de chromosomes, dite tétraploïde. Les tétraploïdes sont des «supermâles», eux aussi obtenus par manipulation génétique. Depuis le dépôt de son propre brevet en 2007 et jusqu’à aujourd’hui, l’Ifremer crée ses géniteurs tétraploïdes et vend ensuite des naissains triploïdes aux ostréiculteurs.