Les éditions Terre de Brume ont publié , il y a quelques mois,
« Gens du Connemara », un recueil de textes de Patrick Pearse, inédits
en français. Rencontre avec Frédéric Collemare, le traducteur en
français des ces écrits méconnus.
“Gens du Connemara”, recueil de textes de Patrick
Pearse vient de paraitre aux Éditions Terre de Brume. Vous en êtes le
traducteur en français, comment définiriez-vous cet ouvrage ?
« Gens du Connemara » regroupe les deux recueils de nouvelles publiés par Patrick Pearse.
Iosagan, le premier d’entre eux , est un recueil dont le thème
principal est la vie enfantine. Ces histoires simples sont dessinées
avec un charme délicat et reflètent de façon assez inhabituelle à
l’époque ce que peuvent penser les enfants. Il décrit de manière lyrique
les paysages du Connemara et il affectionne particulièrement peindre
les habitants de cette région. Toutes ces histoires se passent dans les
environs du hameau fictif de Rosnageeragh, en réalité Ros Muc, que
Pearse visita pour la première fois en 1903 et où il acheta un cottage.
Pearse considère le Connemara comme un paradis pastoral, un paysage
sacré où Jésus peut apparaitre sous les atours d’un enfant. La
communauté est soudée, elle craint Dieu, le prêtre catholique est
toujours prêt à offrir ses conseils et l’apaisement, même un personnage
qui n’a pas assisté à la messe depuis soixante ans est considéré avec
respect et avec courtoisie. Cette idéalisation n’est pas le reflet de la
réalité, mais elle démontre l’aspiration à un meilleur futur. La vision
romantique de Ros Muc reflète un usage stratégique de l’idéalisation
afin d’inspirer les lecteurs qui vivent ailleurs.
Dans ces histoires , les femmes sont nées pour être mères, tandis que
les garçons le sont pour être aimés et révérés. Elles peuvent être
aussi lues comme une tentative de Pearse de transposer sa propre enfance
urbaine au coeur du Connemara gaélique et investir son moi d’adulte de
toute l’autorité spirituelle qu’il associe à cette région.
Le cottage de Ros Muc (Connemara) où Patrick Pearse aimait se retirer pour écrire.
La mère, le deuxième recueil de ce volume, se situe également au
Connemara, mais ici Pearse insiste sur la vie des adultes, vie qui peut
s’avérer rude et éprouvante. Comme l’indique le titre, la maternité est
une préoccupation centrale de ce recueil. Certaines histoires insistent
sur le fait que les femmes sont destinées, par dessus tout, à être
aidantes. Il suggère aussi que la maternité peut-être une via dolorosa.
Les femmes dans Iosagan étaient capables, en pleine santé, s’occupant
sans se plaindre des taches domestiques. Dans La mère, elles sont
indigentes, souvent pathétiques, des personnages dont la vie n’est pas
seulement définie par la maternité mais aussi détruite par elle.
L’idéalisme premier de Pearse est assombri par la réalisation croissante
que le mode de vie gaélique n’a jamais été parfait et ne pourra pas
survivre aisément dans le monde moderne. Un grand sens de la
dépossession règne dans toutes ces pages, et l’idéal se confronte à la
réalité. Pearse y concède que la vie peut y être austère, voire désolée.
Il end hommage à la volonté inébranlable des habitants du Connemara.
Pour lui, le principal coupable de cet état de fait est le statut
colonial de l’Irlande, l’injustice officielle et l’indifférence
anglaises. Il critique également le Catholicisme, lors de la scène
finale de La pleureuse, où la mère de Coilin répond à la tentative de
déclaration de guerre de son époux aux soldats anglais en annonçant
qu’il est l’heure du Rosaire. Ici, la dévotion religieuse est présentée
comme étant une esquive au devoir moral et comme une réponse
inappropriée à une injustice généralisée. Dans Le Dearg-daol, Pearse
critique l’institution catholique rigide et bigote, l’exact opposé des
inclinations naturelles de la communauté.
Patrick Pearse
On connait Patrick Pearse le révolutionnaire, le militant, l’éducateur, le poète: que révèlent
de plus ces textes ?
Dans ces textes , le côté froid et sombre de la personnalité de
Pearse décrit par certains de ses détracteurs et par lui-même dans une
lettre étonnante qu’il s’est adressée s’efface totalement: ils révèlent
la face rêveuse et mélancolique, cette empathie qu’il éprouve devant les
souffrances et les rêves des femmes et des enfants du Gaeltacht. Il s’y
dévoile également la psyché d’un homme beaucoup plus complexe qu’on ne
le pensait, écartelé entre le réel et l’imaginaire, un passé révolu et
un avenir non encore formé.
Après avoir fréquenté Pearse à travers ses textes, que représente pour vous Patrick Pearse et
qu’avez-vous découvert que vous ne connaissiez pas encore ?
Patrick Pearse demeure l’une des figures les plus complexes et
énigmatiques de l’histoire de l’Irlande moderne: le champion de tout ce
qui est irlandais et gaélique dont le père était anglais; le défenseur
du sacrifice sanglant qui ne pouvait supporter la souffrance humaine et
animale; un homme timide et gauche lors des rencontres formelles en
société, mais qui pouvait soulever une foule avec ses mots et gagner les
cœurs et la dévotion leur vie durant des enfants dont il s’occupait.
L’on ne pourra sans doute jamais comprendre Pearse, mais il est
peut-être préférable de se rappeler les mots de son ancien étudiant et
premier biographe Desmond Ryan: « Pearse n’a jamais été une légende,
c’était un homme. »
Frédéric Collemare
Plus globalement, pour vous, quel rôle a véritablement
joué P Pearse dans l’indépendance de l’Irlande ? Et que représente-t-il
encore aujourd’hui ?
Pearse a été une figure profondément révérée dans les premières
années de l’Etat Irlandais et elle fut promue en tant qu’incarnation des
espoirs et des idéaux de cette nation nouvellement née. Des politiques
ont tenté de se présenter comme leur successeur et son nom était
fréquemment évoqué à la chambre du Dail afin d’ajouter une légitimité à
une opinion particulière. Il est devenu de loin la figure la plus
proéminente lors de la célébration du 50èmeanniversaire de la Révolte.
Son profil d’icone, qu’il privilégia des sa jeunesse du fait d’un très
important strabisme, devint l’un des symboles les plus identifiables de
la Révolte et sa réputation a éclipsé celle de la plupart des autres
signataires de la Proclamation. Il fut en effet la voix qui réveilla la
conscience irlandaise après l’engourdissement provoqué par la promesse
d’un Home Rule. Il a réussi à réunir les milices nationalistes et les
milices ouvrières du Jaurès irlandais, Joseph Connolly: il est
maintenant certain que le texte de la Proclamation de la République que
Pearse lira sur les marches de la Grande-Poste de Dublin a été composé
de concert par les deux tribuns. Pearse devait posséder un charisme
extraordinaire pour rallier un Connolly qui n’appréciait pas le sens du
sacrifice sanglant du Poète. Connolly deviendra plus jusqu’au-boutiste
que Pearse, qui , dans un étrange mouvement de balancier, sera effrayé
et écœuré par tout ce sang civil versé.
Les détracteurs de « l’Archange de la République irlandaise », selon
la belle formule de Pierre Joannon, lui ont reproché entre autres
d’avoir déclenché une révolte à une période de l’histoire inappropriée,
des milliers de soldats irlandais meurent dans la Somme au même moment,
et surtout de ne l’avoir pas assez préparée. L’horreur des bombardements
aveugles détruisant tous les immeubles sans épargner le moins du monde
les civils de Dublin, trois mille morts écrasés entre les deux camps,
lui fait signer l’acte de reddition; De Valera, futur président de la
République irlandaise, refusera de se rendre et ses hommes reprendront
leur poste, avant de briser leurs armes ;Clarke, autre signataire était
aussi partisan de la lutte à outrance: Pearse n’était pas le jusqu’au-
boutiste fanatique que l’on a bien voulu faire croire.
Propos recueillis par Jacques-Yves Le Touze