Juillet 2016. Les médias du monde entier sont de nouveau le théâtre de querelles West/Swift. Un duel puéril et interminable qui fait les choux gras de la presse depuis sept ans. Après que le rappeur, interprète de Stronger ait grimpé sur la scène des MTV Video Music Awards, pour écourter la remise de prix de Taylor Swift, qui était à ce moment-là récompensée par le prix de la « Meilleure Vidéo Féminine », pour son clip You Belong to Me. Depuis 2009, l’image est désormais culte, et ce nouveau paradigme du petit chaperon rouge se faisant manger par le grand méchant loup s’est vraisemblablement fait une place dans la pop culture. Depuis la fin du mois de juin, après le buzz engendré par la diffusion polémique du clip Famous, Kanye West laisse écrire une page de plus dans son conflit avec la chanteuse country, idole des jeunes. D’abord par les paroles incendiaires du morceau envers la starlette : « Je pense que moi et Taylor pourrions encore baiser / Pourquoi ? J’ai rendu cette p*te célèbre / J’ai rendu cette p*te célèbre ». Des phrases que les médias s’enflamment à faire rejaillir en long en large et en travers, et qui cohabitent d’ailleurs avec d’autres propos cinglants : « Pour toutes les meufs qui se sont faites baisées par Kanye West / Si vous les voyez dans la rue donnez leurs le bonjour de Kanye / Pourquoi ? Elles ont la rages de ne pas être célèbre / Elles ont la rage d’être toujours inconnues ».
À gauche : Kanye West interrompt la remise de prix de Taylor Swift lors des MTV Video Music Awards, en 2009 ; À droite : Taylor Swift sacre son disque 1989, « Album de l'année », pendant la 58ème cérémonie des Grammy Awards, en février 2016.
Ce n’est en effet un secret pour personne, Kanye West n’est pas à prendre avec des pincettes, et c’est à la fin du mois dernier que lui et sa femme au corps de bouteille d’Orangina écrivent ensemble un énième chapitre au « Taylor Swift bullying ». En effet, Madame Kardashian, symbole invétérée du buzz – « break the Internet » - et de l’ère du « big booty », décrète avoir posté une vidéo de son mari en pleine conversation avec Taylor Swift, et ainsi enregistré la conversation téléphonique qui y est mise en exergue. Le but de cette manigance ? Prouver au monde entier que Taylor Swift, affectée par les paroles qui la mentionnent dans Famous, était bel et bien d’accord pour valider les dires de la chanson à son sujet, avant même qu’elle soit diffusée. Un stratagème qui laisse perplexe, puisque la vidéo en question ne confirme pas une approbation totale de la part de la chanteuse, quant à toutes, les paroles à son propos figurant dans le morceau. Un désaccord que Taylor Swift a d’ailleurs ouvertement évoqué sur les réseaux sociaux, expliquant que les manèges de Kim Kardashian pour défendre son mari ne prouvent en aucun cas un entier consentement de sa part quant aux paroles du single Famous. Les dés sont alors lancés, et les médias s’amusent à hisser les deux camps l’un contre l’autre. Sur Internet, on parle alors de « Team Kim & Kanye » et de « Team Taylor ». En bons inspecteurs avides de buzz, les médias du globe entier pointent du doigt une éventuelle stratégie marketing pour promouvoir le dernier single de Monsieur West, Famous. Simple hypothèse de commère cupide ou spéculation plausible ? Véridique ou pas, le parallèle entre la pluie de ragots qui coule depuis fin juillet et le supposé message du clip de Famous est tentant.
Taylor Swift, Jay-Z, Kanye West et Kim Kardashian aux Grammy Awards, en février 2015.
En effet, la planète médiatique – ou la planète, tout simplement – est de nouveau assaillie par les images du trio visible dans la vidéo de Famous, la triade Kanye West/Kim Kardashian/ Taylor Swift, qui est d’ailleurs le point central – au sens propre – de l’image phare, relayée en masse, du clip de la chanson – l’étalage de célébrités sur cet immense lit. Il est finalement bienvenu de dire des commérages observés fin juillet, qu’ils ne sont qu’une pompeuse illustration de ce que signifie aujourd’hui l’hypermédiatisation people. À l’heure où nos visages sont tous (ou presque) aspirés par nos écrans, qu’il s’agisse de ceux des iPhone – le gadget phare et semblant presqu’indispensable inventé par Monsieur Jobs -, de nos ordinateurs, nos tablettes, etc. Nous revoilà une fois de plus, plongés dans le flot de ragots et autres images infatigables dont le couple vedette West/Kardashian et la « teen idol » Taylor Swift sont les protagonistes. N’est-ce pas un bon exemple pour illustrer la pluie de théories qui a suivi la parution du clip Famous ? Vidéo illustrant le single extrait de l’opus The Life of Pablo, septième album du rappeur, sorti trois ans après son Yeezus, dévoilé en 2013. À l’heure actuelle, il n’existe pas d’ « interprétation officielle » de ce clip, qui s’étend sur dix longues minutes et qu’on pourrait ainsi, presqu’appeler un court-métrage. En revanche, une chose certaine est à relever : les internautes et médias internationaux s’accordent à dire du clip qu’il s’apparente à une métaphore de l’hypermédiatisation que suscitent les célébrités. Qu’il est un miroir sur le paysage gossip et web présent, qui est indéniablement, considérablement alimenté par le quotidien surexposé de nos amies les stars. À la sortie de la fameuse vidéo, en juin dernier, les questions pleuvent : « Les célébrités montrées dans le clip sont-elles les vraies ? » ; « Si oui, comment auraient-elles accepté de participer à un tel projet ? » ; et surtout : « Quel est le sens de cette vidéo, qui s’étend longuement sur dix minutes ? ».
Ce que m’évoque le clip de Famous
Captures du clip Famous.
[cliquez sur l'image ci-dessus pour visionner la vidéo dans sa version non-censurée]
Le « clip-court-métrage » du rappeur aussi adulé que détesté, s’ouvre sur une image quasiment idyllique d’un ciel au bleu impeccable, et aux nuages rosés qui rappelleraient presque l’Olympe de la mythologie grecque. Une image pouvant sembler anodine, mais qui peut s’avérer, en vérité, très parlante. Puisque nous sommes dans une époque, où la pluie de stratégies médiatiques autour des célébrités est inépuisable et pose question. Nous sommes au cœur d’une époque, où il est de bon ton de rendre public le quotidien des vedettes, et où il est presque favorable – médiatiquement parlant -, de faire du plus anodin un objet de divertissement. Penchons-nous franchement sur la chose, objectivement – le plus objectivement possible du moins : en quoi est-il spectaculaire de dévoiler au grand jour les corps celluliteux des lolitas de la pop sur la plage ? En quoi est-il hystérisant de voir les couples les plus célèbres du monde se séparer ? En quoi est-il jubilatoire de pondre une chronique sur les visages défigurés par la chirurgie esthétique et les maquillages dénigrants ? J’en passe et des meilleures. Les moindres faits et gestes des célébrités font l’objet d’un potin, voire même parfois, d’un véritable soap opera. En accumulant les décennies à observer les stars, nous sommes invités à nous demander si nous ne les avons pas déshumanisées. D’où ma comparaison tordue – une fois n’est pas coutume - avec l’Olympe. En effet, le circuit médiatique incroyablement lucratif dont font objet les célébrités nous amène à nous demander si, inconsciemment peut-être, nous ne sommes pas les acteurs de la déshumanisation des vedettes. L’acharnement établi autour de la moindre photo, aussi anecdotique soit-elle – « Monica Bellucci se régale au restaurant », par exemple – n’est-il pas significatif d’une propension de notre part à hisser au rang « d’inhumain » ce qui est humain ? Et ainsi à quelque part, « diviniser » ce qui n’a pas lieu d’être « divinisé ».
Couvertures américaines des magazines People et OK!, ainsi que d'un numéro de Closer (France).
C’est probablement ce que Kanye West a voulu dénoncer dans sa vidéo. Nous spectateurs, qui sommes à l’afflue (pour certains), mais surtout majoritairement témoins de la moindre tranche de vie people, assistons ainsi quelque peu à notre « procès ». Au procès de ce que les ricains aiment appeler le « public eye ». Ainsi, Mister Kanye nous pousse dans nos retranchements : « Vous qui êtes témoins du moindre de nos faits et gestes, s’adresse-t-il à nous en tant que célébrité, et s’exprimant finalement au nom de ses amis de cet Olympe « made in 2016 » ; jusqu’où comptez-vous aller ? Vous qui nous observez rompre, craquer, et même boire et manger pour ne citer que ça, en somme, agir comme tout être humain qui se respecte : jusqu’où considérerez-vous notre existence comme un théâtre ? ». Pour confronter l’œil du public, le rappeur a l’idée de génie de faire figurer douze personnalités dans une situation des plus lambdas (le sommeil) et dans leur plus simple appareil (pour les ramener à leur condition humaine aux yeux du public ?). Y figurent alors : les controversés George W. Bush et Donald Trump, l’impératrice modeuse Anna Wintour, Rihanna et son ex-boyfriend Chris Brown, la fameuse Taylor Swift, lui-même et sa bimbo, son ex-girlfriend Amber Rose, son beau-père désormais devenue femme Caitlyn Jenner, Ray J et Bill Cosby. Après le fameux plan des cieux, succède deux longues minutes ponctuées par un extrait de la chanson Famous, qui se voit alors écourté par un silence gênant. En filmant les corps presque cadavériques de cette meute people, la caméra nous immisce jusqu’au bout du voyeurisme du « public eye ». Est même simulé sur quelques unes des douze statues de cire, des mouvements caractéristiques du sommeil. On aperçoit d’ailleurs et par exemple, la parfaite réplique d’Amber Rose mimer une respiration, endormie. Pendant plusieurs longues minutes, la caméra continue donc de survoler les corps nus de ces personnalités connues de tous, nous plongeant dans un malaise difficilement évitable. Nous donnant ainsi la sensation de ne pas avoir à être là, dans cette scène. À observer ces stars dormir, et nues qui plus est.
En haut : Jennifer Lopez, Cameron Diaz, Mariah Carey, Eva Longoria ; en bas : Miley Cyrus, Tom Cruise, Katie Holmes, Justin Timberlake.
S’enchaîne ensuite à cette séquence filmée voyeuriste, des remerciements manifestés à toutes les vedettes représentées dans la vidéo, pour quoi donc ? Mais pour être « famous », tiens ! Le tout dans une police façon jeu vidéo rétro, années 90. Fait suite à ce passage typographié, un traveling panoramique et presque mural sur la fresque michelangelesque où sont alignées les dites douze célébrités. Et ce avant que le clip de Famous ne s’achève sur un Kanye West fixant la caméra - « Je vous ai eus ! », puis un plan fixe, avec cette lumière pourpre et rosâtre, qui irradie de manière statique sur le Father Stretch My Hands de Kanye. S’agit-il d’un clin d’œil à la « la deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin », symbole du pays imaginaire dans Peter Pan ? Peut-être. Le parallèle est une fois de plus tentant. Quand on se remémore qu’Hollywood est une inépuisable usine à rêves, dont les vedettes sont les acteurs, et ce dans tous les sens du terme. Dans cette mise à nu – est-ce d’ailleurs une métaphore de la mise à nu médiatique qu’établissent les médias quant à la vie privée des stars ? -, Kanye West ramène le regard du public à la vérité nue (et c’est le cas de le dire) : les vedettes, qui soi-disant magnifient tout, sont aussi humaines que nous spectateurs, et font bel et bien partie du commun des mortels. Avec Famous, West pose une mise en scène ainsi qu’une vision « spectaculaires », de quelque chose d’intime et d’on ne peut plus anodin : le sommeil. Mais l’artiste aurait pu illustrer sa démarche autrement, il aurait très bien pu représenter ces mêmes douze vedettes entrain de manger, tout simplement. De boire. Ou pour pousser le trash à son paroxysme : il aurait pu les montrer sur la cuvette de leurs toilettes. Fort heureusement pour nos amis d’Hollywood, aucun cliché de cette ultime intimité n’a déjà été dévoilé. En revanche, il est très facile de trouver des clichés de stars, mangeant au restaurant, ou se désaltérant après un footing. Ce sont des images auxquelles bon nombre d’entre nous avons déjà été confrontés. L’idée du sommeil est donc bien plus frappante, car elle est synonyme d’une intimité intouchable. Les stars bénéficiant encore de la liberté de pouvoir dormir, sans être prises en photo ; confronter le public à cette figuration est donc bien plus percutant et évocateur. Ainsi, en réunissant ces douze personnages incontournables, dans une imagerie directement empruntée au Sleep du peintre américain Vincent Desiderio, réalisé en 2008, Kanye West confronte son public à une vérité presqu’oubliée : les personnages célèbres sont tout bêtement, humains.
Les acteurs de l’évasion : ma version de Famous, ou le discours d’un « non-star »
En juin dernier, à la sortie du clip Famous, le monde a été assailli une fois de plus, par le cyclone Kanye West. La diffusion de son clip controversé a provoqué un déballage médiatique massif et conséquent, notamment – et comme il est de coutume aujourd’hui – sur nos écrasants réseaux sociaux. Ainsi, Facebook et Twitter ont dénigré leur bleu impeccable pour des images couleur chair, devenant alors des temples de la nudité people. Pendant plusieurs jours, le bébé de Mark Zuckerberg et ses cousins ont mitraillé les internautes de cette fresque botticellienne moderne. Impossible d’échapper au dernier buzz signé Kanye. Sur mon compte Facebook, le fil d’actualité regorgeait de cette fameuse image alignant douze célébrités, de l’ex-président américain Bush à Bill Cosby. J’ai alors vu cette image m’interloquer, me captiver, me choquer en pensant qu’il s’agissait d’abord des véritables célébrités, puis rapidement : me fasciner. Elle fut, elle est, pour moi une parfaite synthèse métaphorique de l’importante ampleur de la stratégie du buzz aujourd’hui, de l’hypermédiatisation des stars et de l’intérêt infatigable qu’elles suscitent, quoi qu’elles fassent.
Les acteurs de l’évasion dans l'une des ses deux versions, ci-dessus : celle retouchée numériquement.
Comme vous le savez, depuis deux ans désormais, j’ai une passion dévorante pour la culture hollywoodienne et le show-business. Et vraisemblablement, c’est peut-être dans un élan compulsif que je me suis emparé de pinceaux, crayons, encres et autres ustensiles pour représenter dix célébrités. Qui à l’origine, devaient être accompagnées de deux supplémentaires : Cher et Michael Douglas. Figurent alors sur mon dessin, baptisé Les acteurs de l’évasion – que je n’aurai pas la prétention de qualifier d’ « œuvre » : la légendaire Liza Minnelli, l’inimitable Madonna, son ex-mari, le teigneux Sean Penn, l’éternel éphèbe Johnny Depp et son ex-conquête : l’indémodable Kate Moss ; l’excentrique Karl Lagerfeld, la sanguine Naomi Campbell, la modeuse Sarah Jessica Parker, et pour finir, le couple désormais mythique qui remplacerait presque celui que formaient Liz Taylor et Richard Burton : Brad Pitt et Angelina Jolie Pitt (comme il faut désormais l’appeler). Alors pourquoi cette représentation ? Dont j’ai étalé la réalisation sur presqu’une semaine, dans cette frénésie qui a pratiquement duré sept jours, où je n’ai pensé que Famous (ou presque).
Les célébrités figurant dans Les acteurs de l’évasion.
Explications. Mais pour cela, je souhaiterais d’abord revenir sur un tabou sociétal et social – encore un ! Celui qui concerne les bons vieux « fans ». En effet, ce terme s’est aujourd’hui attiré un sens confus, voire incertain. Puisqu’il est presque devenu synonyme de « groupie », qui lui caractérise davantage un excès. Pour poursuivre, je souhaite me pencher sur une chose bête et méchante – « suspense ! » -, les définitions respectives des mots « fan » et « groupie », telles qu’on peut les lire dans le premier Larousse à portée de main :
- Fan : « admirateur enthousiaste de quelque chose ou de quelqu’un »
- Groupie : « personne, le plus souvent jeune fille, qui admire un musicien, un chanteur ou un groupe de musique et qui le suit dans ses déplacements » ; et voici sa deuxième définition proposée (annotée comme, péjorative) : « partisan inconditionnel de quelque chose, d’un parti »
En effet, les fans, dans l’inconscient collectif, font peur, amusent, inquiètent, surprennent, ou encore, suscitent l’incompréhension. Pour beaucoup, ils sont le symbole d’un excès, d’un comportement juvénile, immature, voire pathétique. Ils sont rattachés à un statut marginal, régulièrement alimenté par des paradigmes illustrant des individus isolés de la société, nichés au fin fond de leur planque tapissée de posters et jonchée d’une collection, jamais assez riche. On les voit souvent comme des personnes capables de sacrifier une vie sociale, ou même amoureuse, pour privilégier leur rapport à l’idole de leur vie. De débourser des sommes astronomiques pout vivre au maximum leur passion débordante, ou encore et carrément, se faire tatouer le visage de leur star favorite sur le corps. Nombreux sont les paradigmes qui font sourire, en revanche, il y a également ceux qui font de nouveau émerger, des affaires médiatiques d’anthologie qui ont fini parfois par découler sur des peurs, auxquelles les « non-fans » s’adonnent lorsqu’ils sont confrontés à des fans. Quoi de mieux que le meurtre de John Lennon par l’effrayant Mark Chapman pour illustrer ces idéaux ? Un personnage terrifiant qui fut d’ailleurs campé au cinéma par Jared Leto, aux côtés de Lindsay Lohan, dans le film Chapitre 27, sorti en 2007. Paradoxalement, le mot « fan », bien qu’il puisse quelque peu effrayé aujourd’hui, a tendance à être utilisé de manière intempestive, son utilisation actuelle aléatoire appuie de nouveau, l’absence de sens majoritairement commun adopté par une masse, qu’il pourrait avoir dans notre société, présentement. Certains psychologues, comme Antoine Bioy, auteur de l’ouvrage Mylène Farmer, la part d'ombre, paru en 2003, ou encore Jean-François Terakowski, s’accordent à souligner le caractère forgeant du comportement du fan. Ils expliquent que contempler son idole peut l’aider à atteindre les idéaux qu’il s’est fixé. « Être fan est un processus structurel et constitutionnel naturel qui permet très tôt les échanges interpersonnels (…) C’est simple : le processus d’identification commence dès la naissance. De 3 à 6 ans, l’enfant prend conscience qu’il est un être sexué en choisissant dans son environnement proche, une personne du même sexe pour s’identifier. À cet âge, la petite fille imite sa maman et le petit garçon, son papa. L’enfant, puisant ainsi des choses chez l’autre, se les attribue. On parle d’«introjection». Il se construit peu à peu. Si cela persiste à l’âge adulte, on a alors tendance à le justifier, par un attachement au passé, une certaine mélancolie. », explique Jean-François Terakowski. Ses derniers propos, pouvant peut-être et également, signifier un pansement de blessures enfantines récalcitrantes.
À gauche : Jared Leto et Lindsay Lohan dans Chapitre 27 ; à droite : des fans de Justin Bieber lors d'un concert à Toronto.
Voici ce qu’explique Antoine Bioy sur le sujet, avec des dires qui rejoignent d’ailleurs ceux de son confrère : « À la base, c'est un phénomène qui est logique et tout à fait normal : n'importe quel enfant a besoin d'idoles pour pouvoir se construire. Simplement parce qu'on a besoin de repères. Et l'enfant, en particulier, va chercher auprès de ses parents ou d'autres adultes un certain nombre de choses auxquelles il peut s'identifier et qui peuvent l'intéresser. À l'adolescence, cette identification est tournée vers des personnages publics. Logiquement, donc, la fan attitude est quelque chose qui doit disparaître avec le temps. Une fois que l'individu s'est complètement construit, une fois qu'il a trouvé ses propres repères, et qu'il a bien engagé sa vie, on peut admirer un certain nombre de personnes, mais logiquement on ne doit plus mettre quelqu'un au rang d'icône ou d'idole. » ; arrivent ensuite, ses propos sur la persistance du phénomène à l’âge adulte : « C'est vrai que certains adultes gardent un lien très fort avec leur icône. Du coup, leur fan attitude devient quelque chose de beaucoup plus proche du mélancolique. Il y a quelque chose dans l'idole qui rappelle le passé qu'on a eu, quelque chose qu'on a perdu. Ensuite, effectivement, une petite frange de la population parmi les fans (moins de 5%) est dans la pathologie : c'est l'érotomanie. Cela fait partie des troubles paranoïaques. Mais cela concerne quand même très peu de fans. On voit parfois certains cas dans l'actualité : les fans que l'on retrouve dans les chambres d'hôtel des artistes, ou ceux qui essayent de tuer leur idole. C'est un processus complètement pathologique où l'individu a l'impression qu'il est aimé par la star, mais que la star ne le sait pas encore. Du coup, il va tout faire pour se rapprocher de la star. Ou alors ce sont des personnes qui vont se mettre en position de défenseur, pour défendre bec et ongles l'artiste, le comparant à Dieu, le défendant quand d'autres la dénigrent. Ce n'est pas du tout une fan attitude normale. C'est une pathologie. »
Justin Bieber posant avec des fans à Londres, en 2012.
Les lumières apportées par les deux psychologues nous amènent à constater qu’il y a bel et bien de quoi contredire les nombreux paradigmes sociétaux et sociaux, encore bien ancrés dans notre système, au sujet des fameux fans, comme on aime tant les qualifier. Pourquoi insister sur la question ? En effet, j’estime que pour vous immiscer pleinement dans la démarche qui accompagne mon dessin, il est nécessaire de s’attarder sur ces individus, qui constituent tout de même une part non négligeable du « public eye » que critique Kanye West dans son Famous, et des groupies parfois pathologiques, qui en découlent. Mais également de mon propre rapport à la chose (aux célébrités). À travers cette création, j’exprime visuellement mon opinion sur le sujet. Comme West dénonce l’acharnement médiatique exercé sur les personnes de son degré – particulièrement imposant – de célébrité, j’expose aussi un avis sur cette hypermédiatisation, mais également sur ce que m’évoque, en tant que « non-star », cet univers clinquant dans toute sa diversité et ses paradoxes. Si les groupies et fans modérés forment à eux-seuls une partie importante des consommateurs du théâtre à plein temps avec laquelle rime toute activité sauvegardée (via les médias), initialement exercée par des vedettes ; je me dois d’avouer, que j’en fais tout autant partie. En effet, et en toute franchise, je ne me reflète aujourd'hui, ni dans le statut de fan (J'entends, au sens que lui donne désormais régulièrement la société, à savoir une idôlatrie auquelle on donne souvent une image quelque peu « aveuglée » : une idéalisation en somme. Je me rapproche à la rigueur plus de son sens initial, qui a tendance à être déformé, actuellement.), ni dans celui de groupie – encore moins d’ailleurs, pour le second terme. Il est indéniable que je porte un intérêt tout particulier à l’univers pailleté du show-business, et le nier m’attirerait certainement le Prix Nobel du Déni. La nuance loge en revanche, je crois, dans le changement qui s’est établit dans mon regard, mon rapport à la chose. Adolescent, j’étais médusé par les acrobaties orchestrées par la langue de Britney Spears, ses chorégraphies endiablées, sa musique enjouée et tonifiante, ainsi que sa voix de canard libidineux. En effet, mon long épisode juvénile a été ponctué par des icônes comme Michael Jackson, auxquelles je portais un regard contemplateur pas toujours des plus terre-à-terre. J’avais une vision de nos amies les vedettes, un brin idéaliste.
À gauche : une fan soutient Michael Jackson, lors du procès qui l'accusait d'abus sexuel sur mineur en 2005 ; à droite : Britney Spears signe des autographes lors du lancement de sa résidence à Las Vegas, en décembre 2013.
Comme l’expliquaient les psychologues mentionnés plus haut, ils me servaient quelque peu de modèles idolâtrés, qui semblaient me refléter une part de moi-même. Chez moi, le phénomène a perduré jusqu’à une maturation qui a changé ma perception de la chose. Aujourd’hui, je n’ai pas manifesté une frénésie similaire à celle que je portais pour Miss « Britney, b*tch ! », dont j’ai tout de même acheté les disques, une biographie, beuglé les chansons et reproduit les chorégraphies sexy en solo dans ma chambre à l’abri indispensable des regards. Aux yeux de la société cependant, je suis probablement toujours bon à porter l’étiquette du « fan », comme on aime pompeusement la coller, presqu’à tout bout de champ. Mais j’avoue que cela m’est égal. Oui, j’adore le cinéma. J’aime énormément la musique. Suis mordu également de certaines séries TV (salutations à Sex and the City et Desperate Housewives), au point de ne pas avoir honte d’arborer le visage de l’interprète de Carrie Bradshaw alias Sarah Jessica Parker – « S.J.P ! » - en fond d’écran de mon téléphone, par exemple. Je garde toujours une admiration inconditionnelle pour ce que certains artistes peuvent apporter au paysage musical, comme Prince, David Bowie ou encore Madonna. Ai les yeux qui scintillent aux visionnages de films que j’affectionne tout particulièrement, avec des actrices dont le charme ne me laisse pas insensible (salutations à Julia Roberts et Michelle Pfeiffer, pour ne citer qu’elles). Ainsi, évidemment, je ne peux nier mon intérêt dévorant pour cette culture de l’usine à rêves, en revanche, je tiens à souligner qu’elle est terre-à-terre et non déconnectée de la réalité. Si j’éprouve un intérêt si marqué à étudier et décortiquer les carrières parfois romanesques de certaines vedettes, c’est pour une raison que ma réalisation picturale met justement en exergue. Outre les productions parfois, on ne peut plus notables de ces icônes – certains disques, longs-métrages, ou encore créations modeuses dont je raffole. Après l’effervescence adolescente qui m’a conduit à instaurer chez moi une réelle adulation d’Hollywood, et ce à différentes échelles, je me suis mis à porter un regard sur l’usine à rêves, témoignant davantage de l’observation, du décorticage et de l’explication d’un phénomène qui à mes yeux a une dimension sociétal et social – je vais finir par compter le nombre de fois que j’emploie ce diptyque de « soci… » - non négligeable. À travers la découverte des carrières de plusieurs célébrités, j’en suis souvent venu à me poser ces questions :
- Comment peut-on expliquer la mystique médiatique opérée autour des célébrités ?
- En quoi le rapport des « non-stars » aux vedettes est-il significatif ?
- Quels paradigmes instaurent les célébrités dans la société ? Et quel est leur impact sur les « non-stars » ?
- Pourquoi donc cette déshumanisation de l’humain ? Que dit-elle des « non-stars » ?
- Comment les « non-stars » perçoivent-ils l’erreur quand elle est commise par ces êtres humains déshumanisés que sont devenues les stars ?
- Comment une star se hisse-t-elle au succès ?
- Comment une star passe de mode ?
- Comment une star passe de la position de coqueluche à celle de paria ?
- Pourquoi les célébrités sont des sources de divertissement permanentes ? Ex : la vie privée d’un acteur suscite parfois autant d’intérêt, si ce n’est plus, que ses films.
- Comment le public se reflète-il dans les célébrités et les dictats de « perfection » qu’elles inspirent ?
- Pourquoi les vedettes se devraient presque de ne jamais échouer, pour perdurer dans l’idéal de « perfection » qu’elles sont « censées » inspirer ?
Tout d’abord, je me dois de souligner la dimension quelque peu hommagée de ma réalisation. Le choix des vedettes représentées témoigne d’un intérêt particulier que je peux leur porter. Que ce soit par le biais de leur contribution au cinéma, ou encore à la musique, ou toute évasion qu’elles aient pu susciter chez moi via la pratique de leur art respectif. En partant de la gauche, le tout démarre sur une Liza Minnelli, emmitouflée dans une couverture contre laquelle elle semble se blottir tendrement. À sa droite, on découvre une Madonna seins nus, la poitrine semblant statique et particulièrement arrondie, et ayant l’air d’avoir été arpentée par les seringues et autres scalpels avide de jeunisme de la chirurgie esthétique. Une coutume à laquelle la monumentale Liza Minnelli, star de Cabaret, est tout aussi familière. Pratique qui lui attire d’ailleurs, depuis déjà plusieurs années les commentaires cinglants de la presse, qui ne rate jamais une occasion de cracher son venin pour décrier « l’échec » que représente un raté au bistouri pour une star, ou tout simplement son vieillissement, sa « perte de beauté », son imperfection démasquée. « Echec », pourquoi donc ce terme racoleur, me direz-vous ? Pour la raison impitoyable suivante : une célébrité, pour notre société, les « non-stars », représente une figure de rêve. Elle fait souvent office de référence, d’idéal fixé.
À gauche : Liza Minnelli et Madonna dans Les acteurs de l’évasion ; à droite : Liza Minnelli lors de la 86ème cérémonie des Oscars, en mars 2014 (en haut) & Madonna, pendant les répétitions de sa tournée MDNA, en Ecosse, en 2013 (en bas).
Par exemple, dans les années 90, Julia Roberts, star du film culte Pretty Woman qui l’a hissée au rang de star internationale, fait l’effet d’une véritable bombe sur la sphère hollywoodienne. Son sourire Colgate enchante les foules et fascine. Elle est à la fois un fantasme pour le public masculin, qui aimerait se réveiller à ses côtés après une nuit d’ébats charnels. Et également le symbole d’un idéal de beauté fixé par l’usine à rêves, sur lequel le public féminin s’adonne au fantasme, pour des raisons bien différentes de celles qui suscitent des rêveries masculines, cependant. Julia Roberts fait languir les femmes qui aimeraient avoir un succès similaire auprès des hommes, elle s’attire les foudres jalouses de ce que son succès renvoie à certaines femmes, qui se considèrent alors comme « inférieures » à la vedette. Estimant que leur supposée laideur est accentuée par le matraquage visuel qu’engendrent des femmes qui comme Julia Roberts, sont si célèbres. Pour celles qui se considèrent les moins belles, les célébrités sont un symbole d’injustice, puisqu’elles instaurent à leur insu des dictats de beauté qui assaillissent principalement la gente féminine. Comme ce fut le cas de Kate Moss, également dans les années 90, dont le corps de « brindille » comme on aimait le surnommait, a instauré une certaine tyrannie de la minceur.
À gauche : Julia Roberts et Richard Gere dans Pretty Woman (1990) ; à droite : Julia Roberts - les aisselles poilues - lors de la première du film Coup de foudre à Notting Hill à Londres, en 1999.
Moss, qui sur Les acteurs de l’évasion entraîne une triade de la mode campée par elle-même, puis Karl Lagerfeld et Naomi Campbell ; se manifeste souvent comme l’ennemie jurée des complexées. Elle représente le symbole d’un idéal de beauté mitraillé en masse, que les plus rondes voient comme une véritable injustice. « Pourquoi diable faut-il que le monde impose la maigreur ? » ; « Pourquoi la minceur rime-t-elle avec beauté, et pas les rondeurs ? À quoi tout cela rime ? ». Vraisemblablement, Kate Moss n’est probablement pas, volontairement, à l’origine du dictat de beauté qu’elle a engendré. Mais l’immense engouement qu’elle a suscité a conforté les mentalités dans l’approbation de la minceur, comme un critère agréable à l’œil. Aujourd’hui, ce paradigme vieux de plus de vingt-cinq ans est en pleine excroissance, puisqu’il ne suffit plus d’être mince, il faut en plus se pavaner en arborant une poitrine, ainsi qu’une paire de fesses, généreuses. Un idéal que Kim Kardashian synthétise de manière très parlante. Ses formes semblent outrancières, et presque sorties de l’imagerie pornographique. Elle semble avoir été modelée par la libido masculine elle-même. Ses fesses en abricot font souvent l’objet de comparaisons et autres réflexions dans les conversations qui alimentent le quotidien : « T’as vu mes fesses ? On dirait celle de Kim K ! » ; « J’ai de petites fesses, ce n’est rien à côté de Kim Kardashian ! ».
De gauche à droite : Kate Moss dans Les acteurs de l’évasion, puis posant pour les 60 ans de Playboy en 2014 ; Kim Kardashian photographiée par Brian Bowen Smith.
Sur Les acteurs de l’évasion, le corps de Kate Moss est dissolu, une partie est d'ailleurs recouverte de papier journal. Elle semble disparaître à petit feu. Bien que sa popularité reste immense, et qu’elle prétende toujours au titre de « mannequin le plus célèbre au monde », les idéaux de beauté qu’elle a fixés semblent passer de mode, au fur et à mesure qu’elle avance en âge et que sa carrière s’allonge. Le corps des célébrités a toujours était le théâtre de projections, on y porte tous (ou presque), secrètement, nos fantasmes érotiques, nos aspirations à être plus attirant(e)s, et donc quelque part à leur ressembler, à susciter le même désir, la même hystérie. Il est également de bon ton pour ceux qui s’en sentent trop éloignés, de les dénigrer au maximum, comme pour purger le miroir de souffrances qu’elles représentent à leurs yeux. Quand arrive alors, le moment fatidique, l’inévitable, ce qu’on pourrait appeler avec humour « la date de péremption », et que celle-ci vient heurter la sphère people. Le public blessé par les idéaux, objets du fantasme que cette dernière a nourris, s’adonne à une revanche, auquel il se donne à cœur joie. La Madonna qui ne scintille plus, et que se niche à la gauche des (Les) acteurs de l’évasion, en est le parfait exemple. Elle qui a fait fantasmer le monde entier pendant de longues décennies, peine à tirer sa révérence. Elle tente de nourrir son déni par les « corrections » discutables de la chirurgie, comme pour repousser l’échéance, et ainsi tenter d'assumer son corps : celui d’une femme qui a pratiquement soixante-ans. Je l’ai représentée, arborant fièrement sa poitrine refaite, mais cachant le reste de son corps. Si j’admire beaucoup Madonna, l’ayant d’ailleurs et notamment vue en concert, je peux difficilement nier cet évident constat : viendra le jour où la Madone se verra plonger dans une impuissance qui l’obligera à accepter ses rides, son corps vieillissant, et ainsi le départ d’une beauté, d’un sex-appeal qu’elle se tue à agripper, de mains fermes. Sa consœur Minnelli, à sa gauche, cache presque complètement son corps qui n’a plus la grâce de sa jeunesse. Elle laisse fondre ouvertement sa jambe gauche dans les dires vénéneux des médias, laissant la chute de son tibia se faire absorber par les dires médiatiques, le « public eye ». Elle semble avoir accepté l’échec, elle ferme les yeux, résignéé, songeant au fait qu’elle n’a plus l’énergie pour enfiler son body noir et son chapeau melon pour danser, endiablée, sur Mein Herr. Elle donne alors le feu vert à la revanche du public, qui enviait son charme, ses pas de danse sensuels et son sex-appeal déjanté. À l’autre bout des (Les) acteurs de l’évasion, se montre une Angelina Jolie (Pitt) terrassée par la noirceur de la mastectomie, qui l’a cependant sauvée des foudres cancéreuses ; quelque part l’icône n’est plus dans sa beauté. La voluptueuse poitrine qui faisait des heureux dans Lara Croft: Tomb Raider a disparu. Désormais on lui reproche sa maigreur excessive, et ses joues creusées. Près d’elle, s’impose la panthère Naomi Campbell, dont la crinière vient toucher l’épaule de Karl Lagerfeld.
À gauche : Karl Lagerfeld et Naomi Campbell dans Les acteurs de l’évasion ; à droite : Angelina Jolie à la première de Kung Fu Panda 3, en janvier 2016, puis dans Les acteurs de l’évasion, aux côtés de Brad Pitt.
À sa droite : Sarah Jessica Parker. Ou la beauté jugée illégitime. Puisque son visage est souvent moqué, sur Internet, les internautes s'amusent à l'affubler de surnoms peu flatteurs comme « the horse face » (la tête de cheval), ou encore « the ugly foot » (le pied laid). À son insu, la star de Sex and the City rassure le public rancunier envers l’imagerie hollywoodienne. Pour certains, elle représente le non-sens de l’élite fantasmagorique de l’usine à rêves. Elle fait naître chez certaines un sentiment rassuré, elle remonte presque leur estime. Sa beauté, souvent jugée discutable, donne à certains l’opportunité de contredire la pression qu’exerce Hollywood sur leur corps, qui est encore pleinement considéré comme celui du commun des mortels. Elle prouve aux femmes qu’elles peuvent s’émanciper des dictats de beauté que les célébrités amènent. Naomi Campbell n’est pas non plus épargnée, - premier mannequin noir à poser pour le Vogue français et le TIME Magazine - ses sautes d’humeur aux lancés de téléphone portable, et sa perte de cheveux ont également suffit à la discréditer aux yeux du public, et à assombrir la magnificence qu’elle inspirait. Les hommes ne sont pas non plus évincés du manège. Dans Les acteurs de l’évasion, Brad Pitt exhibe toujours son statut de sex-symbol, il est dos nu, fesses apparentes, mais son corps commence lui aussi, déjà, à être recouvert d’un morceau de papier journal. Comme pour lui montrer que ses charmes s’estompent au fil du temps, et que le feu vert aux médisances du public et médiatiques est donné. Il est de même pour Lagerfeld, ancien obèse, que le surpoids semble avoir traumatisé. Il n’exhibe lui non plus, que peu son corps, seul le haut de son torse est visible, et il laisse volontiers la crinière de Naomi Campbell masquer ses épaules ridées. À la droite de Madonna, Sean Penn – le « bad boy » - arbore toujours son torse musclé et saillant, malgré un visage ravagé par les excès ; Johnny Depp, tranché par du papier journal déchiré, semble englouti par la chute, on ne distingue plus que son visage. Les insuccès enchaînés au cinéma, et les accusations de violence conjugale dont il se voit affublé par sa nouvelle conquête Amber Heard, semblant avoir suffit à le faire tomber en disgrâce.
Sarah Jessica Parker, Brad Pitt, Sean Penn et Johnny Depp en dessin dans Les acteurs de l’évasion, puis en chair et en os.
Dans la version papier des (Les) acteurs de l’évasion, les vedettes représentées sont colorisées de manière aléatoire, la peau de Liza Minnelli est bleutée, de même pour celle de Madonna, Sean Penn et Kate Moss, mais aussi Karl Lagerfeld. Cette absence de vraisemblance dans les couleurs désigne la dimension modelable de ces modèles, et les tâches qui les submergent accentuent ce désordre illogique. Laissant ces icônes se laisser engloutir par les médisances médiatiques et spectatrices qui leur feront payer leur échec : celui de na pas avoir su garder beauté éternelle, et d’avoir pour certains, voulu prétendre à cet exploit. Ainsi, avec Les acteurs de l’évasion, j’ai voulu établir une métaphore de ce qu’on voudrait que les stars subliment : une anatomie universelle, qu’on aimerait nous spectateurs, que ces derniers gardent jeune et désirable, pour continuer d’y projeter nos fantasmes, mais aussi nos idéaux calqués sur ces modèles, quant à notre physique propre.
Les acteurs de l’évasion, la version papier.
Cette représentation métaphorique cherche également à mettre en exergue le revers de la médaille : l’impossibilité à rester magnifiés ; une fatalité inévitable qu’on reproche aux célébrités, pour plus facilement l’accepter nous-mêmes. Car en dénigrant ces modèles auxquels on pointerait presque du doigt une tromperie quant à une beauté splendide éphémère, nous ramenons ces icônes à leur plus simple condition humaine, que les médias ont tendance à leur ôter, les admirateurs aveuglés également ; ainsi, nous éloignons ces paradigmes idéalisés plein de pression, et assumons plus facilement nos propres imperfections. Nous prenons conscience de l’immense chance que nous avons de ne pas être un pion sur cet échiquier impitoyable, où même Renée Zellweger qui incarnait un archétype de la femme caricaturalement imparfaite, Bridget Jones, a succombé à la fuite de l’inévitable vieillissement, en devenant presque « méconnaissable » - comme l'ont tant répété les médias.
À gauche : Renée Zellweger dans Le Journal de Bridget Jones (2001) ; à droite : la star apparaît «méconnaissable» aux ELLE's 21st annual Women In Hollywood Awards.
Oui, Hollywood est un Olympe moderne où des hommes se sont vus confier le rôle de modèle absolu. Ses étoiles magnifient, nourrissent nos fantasmes, nous aspirent à des idéaux. Le quotidien pourtant aussi anodin que le nôtre de ces derniers, relayé abondamment par les médias, les ramènent à leur simplicité humaine et nous permet de médire sur leurs noms, quand la pression des dictats qu’ils ont inspiré, inspirent, devient insupportable. Et à la moindre erreur de leur part, on sent la menace qu’ils représentaient disparaître. Leur imperfection est dévoilée, au grand jour. Nous spectateurs, sommes alors débarrassés d’un poids. Car les stars qui échouent, ne peuvent plus jamais prétendre de nouveau à incarner les idéaux qu’elles campaient auparavant. Tout ce manège est orchestré contre leur gré, il est d’ailleurs bien souvent, principalement médiatique. « L’erreur est humaine » ! Et quand les médias reprochent l’irréprochable à nos vedettes : l’imperfection, donc l’humanité. Le public suit. Car les pions sur l’échiquier d’Hollywood nous sont une inépuisable source de divertissement. Ils nous font rêver, mais s’ils le font trop et s'apparentent alors inégalables, ils nous oppressent par la menace suivante : qu’on ne corresponde pas aux idéaux qu’ils imposent. Dans ce cas pour nous rassurer, nous attendons le feu vert des médias pour accélérer leur chute, et jouir de leurs faiblesses démasquées, qui sont finalement exactement les nôtres. Celles qu’impose la dure condition humaine.
Ainsi n'est-il pas plus simple de les contempler déchus (« démasqués » humains, par le caractère inéluctable de l'erreur) ?
« À Hollywood, on traite les acteurs comme des meubles dont la valeur est calculée sur l'argent qu'ils rapportent aux autres. Pour moi, c'est la meilleure définition de la prostitution. », Linda Fiorentino
Lewis