AD 2027. Alors que la démission des états a laissé le champ libre aux multinationales, la biomécanique permet depuis peu d’augmenter les capacités de l’humain. Mais cette révolution en marche laisse bien des gens sur le bord de la route : entre les nantis, qui peuvent se payer le luxe de devenir plus qu’humains, et les exclus, qui voient leur situation se détériorer un peu plus à chaque jour, les tensions montent pendant que les premiers méprisent les seconds et que ces derniers voient les autres comme une menace.
Adam Jensen, un ancien policier, travaille comme chef de la sécurité pour Sarif Industries, une multinationale leader sur ce marché des augmentations qu’il n’apprécie guère. Après une attaque des locaux de Sarif par une organisation terroriste inconnue durant laquelle son ex-fiancée trouve la mort et qui le laisse très diminué, Adam doit accepter de se faire augmenter pour pouvoir continuer à travailler. Sitôt de retour à son poste après des mois de rééducation, une nouvelle alerte le renvoie sur le terrain : une usine de Sarif est aux mains d’un groupe anti-augmentation qui menace de tout faire sauter en tuant le personnel, et très vite un lien bien net apparaît entre ceux-là et les mercenaires qui ont attaqué Sariff quelques temps plus tôt…
Pour cette raison, il ne paraît pas très utile de se pencher en détail sur le game design du titre qui, à y regarder de près, n’invente rien et au lieu de ça recycle tout ou presque, mais avec intelligence et une certaine subtilité malgré tout, notamment en sachant briser le mur séparant les genres – je pense bien sûr au passage à la troisième personne pour les séquences d’infiltration. De même, il n’y a que peu d’intérêt à examiner les éléments cyberpunk de l’univers du jeu puisque, dans les grandes lignes, ils ne présentent rien de vraiment original, que ce soit pour les lecteurs de science-fiction ou pour les gamers dont les œuvres de prédilection s’inspirent souvent des récits du genre depuis près de 30 ans à l’époque de la sortie de Human Revolution.
Je rappelle à toute fin utile que le transhumanisme présente rien de moins comme but avoué d’améliorer l’homme à l’aide de toutes les avancées possibles de la science et de la technologie afin, selon les dires des plus exaltés dans le domaine, de donner à l’humanité les rênes de sa propre évolution. Bref, de jouer à Dieu, pour simplifier à l’extrême. Tout le problème étant, comme à chaque fois qu’on aborde un tel sujet, qu’on ignore encore tout ou presque du premier concerné. On a vu dans un passé pas si lointain comment l’eugénisme bascula sans crier gare dans des horreurs sans nom quand certains imposèrent leur point de vue à d’autres qui n’en demandaient pas tant, et pour ainsi dire rien du tout.
Et sur ce sujet, Human Revolution se montre d’une clairvoyance rare, car si les modifications que subit Adam Jensen augmentent bel et bien ses capacités physiques, on ne peut en dire autant de ses capacités intellectuelles. La preuve en est que tout le long de l’aventure, le personnage se conduit comme il doit se conduire : il s’agit avant tout d’un bon chien de garde – l’expression vient du jeu lui-même – qui obéit scrupuleusement à ses maîtres car incapable de remettre leurs ordres en question ; et même quand il parvient à douter du bien-fondé de leurs motivations, il n’en continue pas moins sa mission comme si de rien n’était, bien qu’avec une réflexion différente moins liée à ses augmentations qu’à son expérience personnelle.
Sans conteste une des plus grandes réussites du jeu vidéo de ces 10 dernières années au moins, Human Revolution s’affirme donc aussi comme une œuvre au sens le plus abouti du terme et qui à force de poser les bonnes questions apporte ainsi les bonnes réponses. Pour sa description d’un futur bien près d’advenir où la lutte des classes aura atteint un niveau supérieur d’horreur dans ses mutations permanentes, comme pour sa dénonciation de l’absurdité d’une doctrine infondée de par son incapacité structurelle à répondre à notre seul véritable besoin, et que subliment des mécaniques de jeu tout à fait en phase avec un récit illustrant nombre des préoccupations d’aujourd’hui, ce titre mérite bien plus que de figurer dans votre ludothèque.
(1) sur ce sujet, le lecteur curieux se penchera sur la préface de Gérard Klein au roman Excession de Iain M. Banks (Le Livre de Poche, collection Science-Fiction n° 7241, ISBN : 2-253-07241-9) ; lire ce texte en ligne. ↩
(2) on pourrait remonter presque un siècle plus tôt avec l’élaboration de la théorie de l’évolution de Charles Darwin (1809-1882) qui ouvrit bien malgré elle et son auteur la voie vers l’eugénisme. ↩
(3) revoir au besoin 2001, l’Odyssée de l’espace (2001: A Space Odyssey, Stanley Kubrick ; 1968). ↩
Notes :
Ce titre est une préquelle de Deus Ex (Ion Storm ; 2000) dont les événements se déroulent 25 ans avant le jeu original. De plus, Human Revolution propose plusieurs titres liés : Deus Ex: The Fall (Eidos Montréal ; 2013) se situe en 2027 et fait suite au roman Deus Ex: Icarus Effect (James Swallow ; 2011) qui sert de préquelle à Human Revolution ; quant à Deus Ex: Mankind Divided, toujours développé par Eidos Montréal, il s’agit de la véritable suite de Human Revolution dont les événements ont lieu en 2029 et qui doit sortir le 23 août.
En raison du nombre important de bugs de l’édition originale, ainsi que de restrictions dans les mécaniques de jeu, notamment lors des phases d’infiltration, le lecteur intéressé se verra bien inspiré de se pencher sur la version Director’s Cut à la place. Sortie en 2013, celle-ci contient le DLC The Missing Link et allonge la durée de vie d’environ une demi-douzaine d’heures.
Une adaptation du jeu en film est prévue par Eidos Montréal et CBS Link, qui doit être réalisée par Scott Derrickson. Aucune date de sortie n’a été annoncée pour le moment.
Deus Ex: Human Revolution
Eidos Montréal, 2011
Windows, Playstation 3 & Xbox 360, environ 5€