En ces derniers jours de juillet 2016 hantés par tant de moments tragiques, la disparition du peintre Sayed Raza à des milliers de kilomètres de Paris, où il vécut plus de quarante ans, passera peut-être inaperçue. Membre fondateur du Progressive Artists’ group (mouvement né après l’indépendance Indienne et qui ambitionnait de donner corps à un art contemporain indien), c’est hors de son pays que le peintre allait s’épanouir. Très attaché à la France après ses études à l’école nationale supérieure des beaux-arts de 1950 à 1953 puis son mariage avec l’artiste française Janine Mongillat décédée en 2002, Sayed Raza se partageait ainsi entre Paris et l’Inde. Ce sont bien ces racines indiennes qui ont marqué l’engagement artistique de ce peintre associé à l’Ecole de Paris. Cette assimilation ne semble guerre significative tant la marque de son œuvre témoigne d’une démarche spirituelle, philosophique personnelle enracinée dans la culture de son pays d’origine.
Sayed Haider RAZA Bindu Shanti, 2010, acrylique sur toile, 100 x 100 cm
Ce n’est pas céder au cliché d’écrire que le jour où j’eus la chance de rencontrer Sazed Raza pour un entretien vidéo, c’est un sage de l’Inde qui se présenta au studio. Avec son histoire, sa culture, sa pensée et son art, l’artiste venait délivrer un message plutôt que donner une interview. Cet homme calme, aux gestes lents, déterminait par sa seule voix le rythme et le ton de l’entretien. Ce n’était pas un brillant communicateur, un tribun ou un polémiste qui s’exprimait. Il fallait écouter un sage venu de son Inde natale porter une parole, comme si tout cela était déjà prévu de longue date, écrit dans l’histoire du temps. Nul besoin, à la limite, de poser des questions. Sayed Raza savait ce qu’il fallait dire à cet endroit là, ce jour là. Pourquoi l’interrompre ? Sans connaître son interlocuteur il devait savoir déjà depuis longtemps déjà quelles seraient ses questions; celles-ci n’avaient d’ailleurs pas d’importance : Sayez Raza savait et parlait. Le Bindu, le Grand point Noir d’où naît la genèse de la création, d’abord la lumière, puis les formes et les couleurs, mais aussi les vibrations, l’énergie, le son, l’espace, le temps, tout cela est source de son œuvre. Quelle place occupe donc la peinture au sein de cet univers fait de pensée et de méditation ?
Installé à Paris et partageant l’aventure de l’art occidental, quelque chose lui manquait. Sayed Raza a le sentiment de ne pas se retrouver lui-même dans cette production. Dans les années Quatre-Vingt l’impérieuse nécessité de retrouver dans ses propres racines indiennes l’énergie créatrice se fait jour. Dès lors il part dans propre nuit, dit-il, à la recherche de cette lumière saisie entre le noir et le blanc, à travers la palette des couleurs déclinées dans un espace de formes géométriques tendant vers l’essentiel.
« L’arbre » 2008 Sayed Raza
Il fallait repartir de ce point qu’un instituteur lui dessinait sur un mur blanc lorsqu’il avait sept ans en l’incitant à ne retenir que ce point : « On l’appelle bindu. Oublie tout, les oiseaux, les arbres, les leçons apprises. »
Quand les artistes occidentaux cherchaient eux aussi à remettre à plat l’histoire de la peinture, quand la volonté de repartir de zéro dans l’histoire de l’art obsédait les artistes européens, c’est au plus profond de cette culture indienne que Sazed Raza puise désormais les ressources du renouveau dans sa peinture.
A quatre vingt quatorze ans, avait-il trouvé la sérénité ? Assurément la jonction entre œuvre plastique et démarche spirituelle s’était opérée depuis déjà plus de trente années au cours desquelles les oeuvres témoignent de cette quête. A travers son témoignage perçait cependant un regret. Pour ce peintre reconnu internationalement, c’est la France qui semblait l’oublier et ne pas reconnaître en lui un artiste majeur.
Photos : Sayed Raza