A l'Ouest, rien de nouveau

Publié le 18 juin 2008 par Hoplite

« Un premier ministre socialiste a dit, au début des années quatre-vingt, se faisant le porte-voix civilisé de Le Pen : « Les immigrés sont un problème.» Nous devons renverser ce jugement et dire : « Les étrangers sont une chance ! » La masse des ouvriers étrangers et de leurs enfants témoigne, dans nos vieux pays fatigués, de la jeunesse du monde, de son étendue, de son infinie variété. C’est avec eux que s’invente la politique à venir. Sans eux, nous sombrerons dans la consommation nihiliste et l’ordre policier.

Que les étrangers nous apprennent au moins à devenir étranger à nous-mêmes, à nous projeter hors de nous-mêmes, assez pour ne plus être captifs de cette longue histoire occidentale et blanche qui s’achève, et dont nous n’avons plus rien à attendre que la stérilité et la guerre. Contre cette attente catastrophique, sécuritaire et nihiliste, saluons l’étrangeté du matin.(…)

 

Le monde du capitalisme déchaîné et des démocraties riches est un faux monde. Ne reconnaissant l’unité que des produits et des signes monétaires, il rejette la majorité de l’humanité dans un autre monde dévalué, dont il se sépare par des murailles et par la guerre. En ce sens aujourd’hui, il n’y a pas de monde. (…)

 

En ce qui concerne l’existence dans notre pays de milliers d’étrangers, il y a trois objectifs : s’opposer à l’intégration persécutoire, limiter la fermeture communautaire et les tendances nihilistes qu’elle véhicule, développer les virtualités universelles des identités. (…)

 

Il y a une tradition nationale du pétainisme qui est bien antérieure à Pétain. Le pétainisme commence en réalité en France avec la Restauration de 1815. Un gouvernement post-révolutionnaire se réinstalle dans les fourgons de l’étranger, avec l’appui vigoureux des émigrés, des classes renversées, des traîtres et opportunistes de tout acabit, et le consentement d’un peuple fatigué. Il déclare qu’il restaure l’ordre et la moralité publics, contre l’anarchie sanglante des révolutions. Cette matrice, typiquement française, insiste dans notre histoire. En 1940, on retrouve la figure catastrophique de la défaite militaire, comme prétexte pour une désorientation majeure : comme, par exemple, un gouvernement qui n’a à la bouche que la nation, mais qui est installé par l’étranger ; des oligarques corrompus jusqu’à l’os qui se présentent comme ceux qui vont sortir le pays d’une grande crise morale ; un aventurier, roi cacochyme, vieux militaire ou politicien retors, toujours homme de main des grandes fortunes, qui se présente comme le vrai détenteur de l’énergie nationale.

N’avons-nous pas aujourd’hui, comme une répétition misérable de ces graves dépressions historique que la France s’inflige à elle-même, de nombreux traits de ce genre ? (…)

Depuis la révolution Française et son écho progressivement universel, depuis les développements les plus radicalement égalitaires de cette révolution, nous savons que le communisme est la bonne hypothèse. En vérité il n’y en a pas d’autres, en tous cas, je n’en connais pas d’autres. Quiconque abandonne cette hypothèse se résigne à la minute même à l’économie de marché, à la démocratie parlementaire (qui est la forme d’Etat appropriée au capitalisme), et au caractère inévitable, « naturel » des inégalités les plus monstrueuses. (…)

S’il est toujours vrai, comme l’a dit Sartre, que « tout anticommuniste est un chien », c’est que toute séquence politique qui, dans ses principes ou son absence de tout principe, apparaît formellement contradictoire avec l’hypothèse communiste en son sens générique, doit être jugée comme s’opposant à l’émancipation de l’humanité toute entière, et donc au destin proprement humain de l’humanité.(...)

L'hypothèse communiste est qu'une autre organisation collective est praticable, qui éliminera l'inégalité des richesses et même la division du travail: tout un chacun sera un travailleur polyvalent, et, en particulier, les gens circuleront entre le travail manuel et le travail intellectuel, comme du reste netre la ville et la campagne. L'apropriation privée de richesses monstrueuses et leur transmission familiale par héritage disparaitra. L'existence d'un appareil d'Etat coercitif, militaire et policier, séparé de la société civile, n'apparaitra plus comme une nécessité évidente. Il y aura, nous dit Marx, tenant ce point pour son apport majeur, après une brève séquence de dictature du prolétariat chargée de détruire les restes du vieux monde, une longue séquence de réorganisation, sur la base d'une libre association des productuers et créateurs, laquelle supportera un dépérissement de l'Etat." 

Alain Badiou, De quoi Sarkosy est-il le nom ? Lignes, 2007.