Source : Studio Ciné Live - Mars 2014
L'inoubliable interprète des films de Kenneth Branagh brille dans le rôle de la créatrice de Mary Poppins dans Dans l'ombre de Mary. L'occasion de parcourir avec elle près de vingt-cinq ans de cinéma, de Londres à Hollywood.
Comment vous a été donné, au départ, le goût du cinéma ?
J'ai grandi au milieu des livres avec pour héros Sherlock Holmes ! C'est ce qui m'a donné le goût des histoires en tout genre. Mais j'ai finalement vu assez peu de films. Sauf ceux des Monty Python et des westerns que je regardais avec mon père.
Vous avez d'ailleurs étudié la littérature à Cambridge. Et c'est là que, parallèlement, vous faîtes vos débuts sur scène en vous spécialisant dans la comédie... Pour quelle raison ?
Parce que j'y ai rencontré une bande aussi hilarante que brillante - Stephen Fry, Hugh Laurie, Tony Slattery...- dans la troupe de l'université. Une fois nos études terminées, nous sommes même partis ensemble faire une tournée en Australie avec une adaptation théâtrale de Not the Nine O'Clock News, avant de nous lancer dans une série à sketches pour la télé, There's nothing to worry about !, à notre retour en Angleterre. En fait, pendant les trois années suivant Cambridge, nous ne nous sommes pas quittés.
Quand avez-vous su que vous seriez comédienne ?
Il y a eu deux déclics décisifs. Le premier, toute jeune, quand j'ai eu la chance de jouer sur scène un monologue adapté d'un sketch de Lenny Bruce : How to relax your colored friends at parties ? C'est la première fois que je faisais rire un public et j'étais alors persuadée d'avoir trouvé ma voie. Le deuxième eut lieu au Festival d'Avignon, devant une représentation d'Andromaque qui m'avait éblouie. Je me souviens d'ailleurs avoir écrit à mon père pour lui dire que je ne pouvais pas tourner le dos à cette profession d'acteur.
Si vous avez débuté au cinéma en 989, le grand public vous découvre avec les films de Kenneth Branagh : Henry V, Dead again, Peter's friends et Beaucoup de bruit pour rien. Comment avez-vous vécu cette soudaine notoriété ?
En fait, tout est arrivé progressivement. Je n'ai donc pas vécu cette période comme un tourbillon. Avant de faire des films ensemble, j'avais rencontré Kenneth en tournat Fortunes of war pour la télévision, puis nous avons joué Songe d'une nuit d'été et Le roi Lear sur scène. Et puis, surtout, nous étions amorueux et nous étions mariés. Alors le cinéma constituait pour nous le prolongement logique de tout cela. Notre première grande expérience commune sur grand écran fut Dead again, qu'on a tourné outre-Atlantique. Et partir aux Etats-Unis pour cette nouvelle aventure et descendre Sunset Boulevard jusqu'aux studios de la Paramount au volant d'une voiture représentait quelque chose de très excitant. On était comme des gamins devant un nouveau jouet.
Qu'est-ce qui faisait la singularité de Kenneth Branagh à vos yeux ?
C'était un visionnaire et un incroyable homme d'action d'une générosité hallucinante. Il veillait en permanence à ce que chacun se sente bien dans sa troupe et on était tous dévoués corps et âme à lui.
Dead again, de et avec Kenneth Branagh
En parallèle, vous triomphez avec Retour à Howards End. Est-ce vrai que vous avez écrit à James Ivory pourjouer dans ce film ?
Oui ! Je lui ai envoyé une lettre en expliquant que je savais exactement comment jouer Margaret Schlegel, car j'avais grandi dans les traditions qui ont façonné cette femme. C'est la seule fois de ma vie que j'ai pris une telle initiative. Et ce fut une expérience magnifique. Intense comme tous les tournages d'Ivory mais merveilleux.C ar il ne faut pas perdre de vue que, malgré leurs fastes, il s'agissait de films indépendants faits avec un tout petit budget, donc à un rythme soutenu.
Ce film vous a valu aussi votre premier Oscar. Le regard de la profession a-t-il alors changé sur vous ?
C'est une chose très drôle et très étrange, les Oscars. C'est super de donner des prix à des gens qui adorent le travail qu'ils font. Mais ce serait certainement mieux si on récompensait ceux qui bossent bien plus dur que nous et sans plaisir pour qu'ils aient droit à un moment de bonheur. Mais bon, cela ne fonctionne pas ainsi ! Après, une fois récompensé, le regard de la profession sur vous change. Vous devenez soudain visible. Mais cela ne dure que quelques mois. Très vite, la plupart de ceux qui vous voulaient à tout prix ont du mal à se souvenir de votre nom !
On vous retrouve cependant peu après dans des films hollywoodiens comme Junior, avec Arnold Schwarzenegger. Est-ce que votre manière de travailler changeait sur ces plateaux-là ?
Non, rien ne change. Mais j'étais heureuse de me confronter à une toute nouvelle expérience : tourner pour un studio hollywoodien face à une icône. Et, contrairement aux idées reçues, on a fait des journées extrêmement longues. L'intensité était la même que chez Ivory !
Plus tard, on vous retrouve aussi dans un personnage inspiré d'Hillary Clinton dans Primary colors...
Le tournage fut épique. Car c'est au même moment qu'éclata l'affaire Monica Lewinsky. Ce jour-là, Mike Nichols nous a d'ailleurs tous réunis pour une réunion de crise. On ne voulait surtout pas laisser penser qu'on entendait surfer sur cette histoire. Un jour, Lincoln a dit : "Je ne pense pas qu'il soit facile de trouver de la vertu chez quelqu'un qui n'a pas de vice." Et je partage entièrement son avis ! J'étais révoltée par cette affaire, sa surmédiatisation et son aspect humiliant. Mais, malgré nos efforts, elle a joué contre le film car on nous a bel et bien accusés de vouloir faire de l'argent sur le dos du scandale. Alors que la logique était inverse : montrer l'envers du décor pour comprendre et ne plus hurler bêtement avec les loups...
Primary colors avec John Travolta
Il existe une constante chez vous : des choix de rôles fémins forts et intègres, qui défendent une certaine image de la femme. C'est quelque chose d'essentiel ?
Je refuse simplement les personnages de femmes auxquels je ne crois pas et que je m'ennuierais à interpréter. Et il est vrai que, trop souvent, les rôles féminins que j'ai pu lire ou qu'on voit à l'écran manquent d'aspérité, de nuances et de vérité. Et je considère que dans ma position de comédienne qui a la chance d'avoir le choix, refuser de jouer ce typed e femmes constitue un acte politique.
C'est d'ailleurs en adaptant le roman d'une femme, Jane Austen, que vous avez obtenu votre deuxième Oscar, en scénario cette fois-ci. Comment vous étiez-vous retrouvée dans cette aventure ?
C'est en voyant un épisode d'une série que j'avais écrite dans les années 80 que le producteur de Raison et sentiments a eu envie de me proposer cette adaptation. Je lui tout de suite rappelé que j'étais vierge de toute expérience en scénario pour le cinéma. Ce à quoi il m'a répondu : "Ne vous en fâites pas. Ce sera comme un sketch en un peu plus long" avant de me préciser qu'il s'agissait de Raison et sentiments ! Là, je suis tombée des nues.
Et ce fut vraiment comme l'écriture d'un sketch en un peu plus long ?
Loin de là ! Je me suis retrouvée face à une responsabilité écrasante et effrayante. D'autant plus qu'il s'agit d'un des tout premiers livres de Jane Austen avec une écriture très XVIIIe siècle. Et quand vous n'avez aucune expérience, il n'y a qu'une méthode à suivre : travailler, travailler et travailler encore ! Ecrire et réécrire des versions. Rester accroché à votre fauteuil et ne plus en bouger.
Après l'excellent accueil reçu par ce travail, avez-vous eu envie de passer à l 'étape suivante : la réalisation ?
Pour avoir été mariée à un metteur en scène, je sais qu'il s'agit d'un métier qu'on ne peut pas prendre à la légère. A la différence de l'écriture, exercice solitaire où vous pouvez vous octroyer des pauses, réaliser vous occupe sept jours par semaine, vingt-quatre heures par jour. Et d'ailleurs, Roger Michell (Coup de foudre à Notting Hill) à qui j'en avais parlé m'avait répondu : "Tu peux écrire, tu peux jouer. Pourquoi diable vouloir réaliser ? C'est un boulot horrible !" J'ai, pour l'instant, suivi son conseil...
Raison et sentiments, avec Kate Winslet
En revance, vous avez continué à écrire pour les autres et connu encore le succès avec Nanny McPhee. Pourquoi avoir voulu adapter cette série de livres de Christianna Brand ?
Un jour, dans ma bibliothèque, mon regard s'est arrêté sur un livre avec en couverture le dessin d'une nounou très laide. Et je me suis alors dit qu'il y avait là matière à une belle idée de film autour d'un eprsonnage dont l'aspect extérieur évolue sans que l'on en connaisse la raison. Est-ce parce qu'elle a changé intérieurement ? Ou est-ce le regard sur elle de ceux qu'elle a métamorphosés par ses actions qui change ? J'en ai parlé à la productrice Lindsay Doran qui m'a dit banco et je me suis lancée dans l'écriture. Là encore, au long cours, puisque le film n'est sorti que neuf ans après ! Car contrairement à ce que je pensais, l'exercice fut encore plus complexe que Raison et sentiments.
Entre vos rôles et vos scénarios, avez-vous connu ces moments où le téléphone sonnait moins ?
Oh oui, et à de nombreuses reprises. Plusieurs fois, j'ai appelé mon agent pour lui demander de me trouver du travail. La dernière fois, c'était il y a trois ans. On m'a proposé trois rôles différents : la mère de Bradley Cooper, une vieillarde dans une chaise roulante et... Mère Teresa ! Je voulais absolument tourner, car j'avais le sentiment d'être enfermée dans Nanny McPhee. J'avais besoin d'un emploi différent. Et j'ai eu la chance qu'on me propose d'autres rôles qui m'intéressent plus, dont Pamela Travers dans Dans l'ombre de Mary, un scénario était brillamment écrit, tant en terme de situations, d'enchaînements de celles-ci que de dialogues.Et puis, honnêtement, vous avez rarement entre vos mains un rôle aussi passionnant pour une femme de 50 ans dans une industrie qui, traditionnellement, n'est pas habituée à faire des films sur des femmes.
Comment êtes-vous entrée dans sa peau ?
Cette femme est pétrie de contradictions. J'ai donc fait énormément de recherches sur elle. Et une fois toutes ces informations assimilées, j'ai pu m'en libérer pour me glisser dans sa peau. Cette femme est comme un oignon : chaque couche en dissimule une autre et ce, sans fin. L'interpréter m'a donc conduite dans des endroits dont je ne soupçonnais même pas l'existence.
Vous sentez-vous plus heureuse dans votre métier qu'à vos débuts ?
Oui, parce que je me sens plus libre qu'avant et que je peux plus me laisser aller qu'à mes débuts. C'est un sentiment délicieux.