Partager la publication "[Critique série] POLDARK – Saison 1"
Titre original : Poldark
Note:
Origine : Britannique
Créatrice : Debbie Horsfield
Réalisateurs : Elizabeth Bazalgette, William McGregor
Distribution : Aidan Turner, Eleanor Tomlinson, Heida Reed, Kyle Soller, Ruby Bentall, Jack Farthing, Philip Davis, Warren Clarke, Beatie Edney, Alexander Arnold, Robert Daws…
Genre : Drame/Romance/Historique
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 8
Le Pitch :
Les Cornouailles, fin du XVIIIe siècle. Ross Poldark, jeune bourgeois, revient de la guerre d’indépendance américaine au sein de laquelle il a combattu plusieurs années. Pensant retrouver la femme qu’il aime, Elisabeth, il découvre que cette dernière est désormais engagée auprès de son cousin Francis. Il apprend également que son père est décédé et que ses biens sont en perdition. Commence alors le parcours du combattant pour Ross afin de tout rebâtir…
La Critique :
Aidan Turner, un acteur qui monte
Si vous n’avez encore jamais entendu parler d’Aidan Turner, cela pourrait changer très rapidement. En effet, l’acteur irlandais ne cesse de multiplier les projets tous aussi intéressants les uns que les autres, aussi bien au cinéma qu’à la télévision. À 33 ans, le comédien a déjà une belle palette de rôles intéressants à son actif, mais c’est celui du nain Kíli dans la trilogie du Hobbit qui semble lui avoir ouvert de nombreuses portes. Impeccable dans son interprétation tout au long des trois films, l’acteur a actuellement trois projets cinématographiques sur les rails, et tient le rôle principal dans la série événement Poldark ! Il y interprète Ross Poldark, un hériter plutôt infortuné mais appartenant à l’aristocratie. Dernièrement, Aidan Turner a notamment livré une prestation remarquable et remarquée dans la mini-série And Then There Were None, diffusée sur la BBC pendant l’hiver 2015. Dans cette dernière, il joue le personnage de Philip Lombard, un capitaine de guerre énigmatique, l’un des personnages principaux. And Then There Were None (Dix petits nègres en français) est l’adaptation d’un des romans les plus célèbres de la fameuse romancière anglaise Agatha Christie. La mini-série (3 épisodes d’environ 60 minutes chacun) a été acclamée par la critique, tous les acteurs y sont géniaux, la noirceur et le suspense de l’histoire y sont intacts. À ne pas manquer. Dans un autre registre, l’acteur pourrait incarner le prochain James Bond, si l’on s’en tient aux rumeurs. Un choix opportun et absolument jubilatoire, mais néanmoins pas encore confirmé. Il va donc falloir garder un œil sur l’acteur irlandais qui devrait, s’il continue sur sa lancée, se faire une jolie place dans l’univers cinématographique.
Poldark, une série d’époque de grande qualité
Tout récemment arrivée sur Netflix (le 15 juillet), Poldark a été un immense succès Outre-Manche. À tel point, que la série a rassemblé des millions de téléspectateurs devant leur écran, 9 millions au plus fort des audiences. Les raisons d’en tel engouement sont nombreuses. Tout d’abord Poldark s’appuie sur une série de romans, treize au total, écrite à partir de 1945 jusqu’en 2003 par Winston Graham, un prolifique auteur britannique. L’histoire est donc extrêmement conséquente, d’autant qu’à l’époque, les séries de bouquins n’étaient pas vraiment chose commune. Les scénaristes peuvent ainsi puiser presque indéfiniment dans un univers riche, fourni et dense, et mettre toute la technique que le cinéma possède aujourd’hui à son service. Mettez le tout dans les mains de scénaristes, acteurs et techniciens talentueux et l’ensemble devient grandiose. Mais aussi sublime et respectueuse de la substantifique moelle des romans qu’elle soit, cette version de Poldark n’est cependant pas la première. En effet, l’histoire a déjà été adaptée par le passé et également diffusée sur la BBC à partir de 1975, avec comme acteurs principaux Robin Ellis dans le rôle de Ross Poldark et Angharad Rees dans celui de Demelza. Le programme des années 70 fut aussi un succès qui marqua les britanniques. Les histoires autour du genre romantique et d’époque sont souvent réadaptées plusieurs fois au cinéma ou à la télévision anglaise. Petit clin d’œil à son prédécesseur, on retrouve Robin Ellis dans cette nouvelle version au cœur de laquelle il interprète le personnage d’un juge peu enclin à l’empathie et aux droits humains.
Poldark (2015), créée et scénarisée par Debbie Horsfield atteint des sommets de beauté à plusieurs niveaux. Si le tout se veut parfaitement linéaire et « classique », il ne manque pourtant pas d’enthousiasme, organisé autour d’une mise en scène énergique qui prend pied au beau milieu de décors naturels et sublimes. Poldark est en effet tourné en plein cœur des Cornouailles, un comté d’Angleterre peu industrialisé et peu urbanisé, situé au Sud-Ouest du pays. Falaises vertigineuses, étendues de verdure recouverte de fleurs, plages immenses et eaux turquoises, sont autant de paysages naturellement beaux et étrangement ensoleillés, entrant totalement en phase avec une histoire bien rythmée. Certaines prises de vues sont renversantes et magnifiées par une direction photographique à tomber, ce qui intègre les décors comme une composante essentielle à l’histoire. Les Cornouailles deviennent en effet un personnage à part entière. C’est un fait, Poldark est une réussite esthétique indéniable, mais le succès de cette fresque historique composée de huit épisodes pour la première saison, ne repose bien évidemment pas uniquement sur cet élément important. En fait, rien n’a été laissé au hasard. Les dialogues sont de grande qualité, le scénario solide, la mise en scène vive mais agréablement teintée de poésie. La musique, composante essentielle à cette œuvre, est toujours bien choisie, tout comme c’est le cas du casting. À commencer par Aidan Turner donc.
Ross Poldark, un personnage charismatique qui véhicule une critique sociale
Poldark, c’est avant tout l’histoire d’un jeune homme issu d’une famille de la haute bourgeoisie qui revient de la guerre d’indépendance américaine, après trois années de batailles. C’est lui que l’on suit au travers des épisodes, ses choix, ses combats, son histoire. Et selon les créateurs du show, il n’y avait pas l’ombre d’une hésitation quant à savoir qui pourrait bien interpréter le personnage principal. C’est donc Aidan Turner, charismatique à souhait, qui juste après la trilogie du Hobbit a donc dû enfiler les bottes du personnage. Et autant le dire tout de suite, il porte la série sur ses épaules, probablement dans son meilleur rôle à ce jour. Impressionnant, toujours juste et présentant un jeu aux multiples facettes, l’acteur pulvérise la caméra et impose avec style un personnage principal passionnant. Taciturne et sombre au début, ce dernier va peu à peu gagner en profondeur et en humanité, notamment aux côtés du personnage de Demelza, merveilleusement interprétée par la très talentueuse et impliquée Eleanor Tomlinson. En revenant dans les Cornouailles, qu’il a fui pour la guerre afin de ne pas finir en prison et non par amour du drapeau, Ross Poldark, dont l’héritage familial tombe en ruines, décide de rouvrir une des vieilles mines familiales et de relancer l’affaire. Ami de toujours avec les métayers, il va emprunter de l’argent aux banquiers pour exploiter sa mine laissée à l’abandon. Confronté à son milieu, l’aristocratie, il se voit révolté par le traitement qui est fait aux gens appartenant à la classe ouvrière et paysanne. Parce qu’en réalité, Ross Poldark est un véritable révolutionnaire. Il aide les infortunés, ne veut pas faire « un bon mariage », travaille avec les ouvriers dans la mine, affronte un juge peu scrupuleux pour sauver un ami, tout en se moquant des convenances et du regard des autres. Et il y a une intelligence notable dans cet univers complexe car le jeune aristocrate rebelle n’est pas non plus parfait, il est d’ailleurs parfois bien trop enfermé dans sa fierté et quelque peu autoritaire. Mais l’essentiel réside dans le fait que ce personnage porte un véritable message politique, celui de la critique sociale de son époque où les inégalités étaient reines et peu remises en cause. C’est d’ailleurs pour cela que la série est un immense succès. Car elle n’est pas une simple histoire romantique d’époque (à prendre au sens noble du terme), mais est aussi vectrice d’un souffle humaniste et épique saisissant. Poldark dresse un portrait acerbe de la haute société du XVIIIe siècle, où les banquiers n’hésitent pas à mettre en déroute des affaires et terres entières pour générer du profit ou gérer leur réputation, où les aristocrates punissent sévèrement les paysans affamés qui s’aventurent à chasser sur leurs terres, et où les juges envoient des innocents dans des prisons miteuses, sans aucune malléabilité. Poldark décrit la société obscurantiste anglaise post révolution française, et véhicule au milieu de cette enivrante atmosphère romanesque, un sentiment de révolte vibrant. Il y a fort à parier que le personnage principal soit d’ailleurs de plus en plus engagé et que la série s’inscrire définitivement dans cette idée pour les saisons à venir. Ross Poldark véhicule donc une pensée révolutionnaire mais pas que. Le point important, c’est qu’il est aussi un symbole d’espoir et de persévérance. Parti de rien en revenant de la guerre, il va tenter de rebâtir sa vie à tous points de vue par la seule force de ses bras, avec la plus grande intégrité, et allant à contre courant de tous les jugements négatifs qu’il reçoit. En cela, Ross est aussi la personnification d’une belle leçon de vie sur de nombreux points de vue.
Casting de haute volée et richesse du propos
Si Ross Poldark est donc brillamment interprété par un Aidan Turner au top de sa forme, il est tout de même entouré d’une poignée de personnages tous fort bien traités, et incarnés par des acteurs investis. On retrouve tout d’abord la superbe Eleanor Tomlinson, mentionnée plus haut, dans le rôle phare de Demelza, qui est le second personnage principal, et qui de part son jeu juste et impliquée amène à la fois une profondeur intéressante à cette histoire, mais aussi paradoxalement un vent de fraîcheur. Kyle Soller est quant à lui impeccable dans le rôle de Francis Poldark, époux d’Elisabeth et cousin fragile et peu courageux de Ross. Chose intéressante, globalement tous les personnages secondaires, qu’ils servent de ressorts comiques ou dramatiques, sont excellents. Les acteurs jouent en symbiose et se complètent d’une façon remarquable. On s’arrêtera cependant sur le personnage important d’Elizabeth Poldark, interprétée par Heida Reed, qui bien que peu convaincante sur l’épisode pilote parvient tout de même à sortir son épingle du jeu dans les suivants. Ce protagoniste central pourrait bien jouer un rôle important dans la suite des événements et dans la tournure de la série. En effet, on pourrait voir Elisabeth s’éloigner de son époux qui multiplie les erreurs aussi bien dans le milieu des affaires et que dans sa vie personnelle, et ainsi développer sa personnalité. Décrite comme curieuse, on pourrait voir grandir son intérêt pour le commerce, l’industrie et les affaires, et ainsi s’émanciper de sa condition. Car après tout, si Poldark est une critique sociale de l’emprise de la haute bourgeoisie sur le milieu prolétaire, pourquoi ne serait-ce pas aussi un hymne féministe ? Au vu des événements dans la série, il serait plus qu’appréciable de voir évoluer Elisabeth Poldark vers une figure intéressante du féminisme, surtout si les scénaristes décident de s’éloigner un peu des livres. L’idée d’une éventuelle émancipation est d’ailleurs effleurée dans l’un des épisodes, de façon certes anodine, mais présente tout de même. Ainsi une vision nouvelle de « l’héroïsme féminin » pourrait être amenée. Un héroïsme qui passerait par la réalisation personnelle, des choix judicieux, et non pas par un éternel sacrifice bienveillant (cf. Demelza). Sur ce point, on attend patiemment de voir ce que nous réservent les scénaristes …
Une réussite incontestée, et l’annonce d’une saison 3
Poldark est un succès, pas encore planétaire, mais un véritable succès. Avec l’arrivée de la série sur Netflix, on peut espérer une meilleure visibilité Outre-Manche et même Outre-Atlantique. Deux prochaines saisons ont d’ores et déjà étaient annoncées et la seconde, actuellement en tournage, arrivera début septembre sur la BBC. L’équipe du film était au Festival de Monte Carlo au mois de juin dernier et le show a même remporté un BAFTA cette année. Divinement écrite, filmée et interprétée, tout en possédant un cachet tout particulier, la série Poldark mérite cet enthousiaste retentissement. Ces qualités permettent d’élever le programme au rang des plus grandes réalisations du genre, mais aussi de l’asseoir confortablement dans la durée. Si l’on devait mentionner un défaut dans cet ensemble, ce serait la gestion du temps, car tout s’enchaîne bien trop vite dans les magnifiques Cornouailles. Un seul épisode peut couvrir de nombreux chapitres des romans, ce qui peut laisser le téléspectateur un peu pantois. On imagine pourquoi ce choix de temporalité a été fait, une série ne pouvant décemment pas être aussi pointilleuse que plus d’une dizaine de romans, mais cela reste tout de même dommage bien que le plaisir ne soit pas boudé pour autant.
Par ailleurs, on compare déjà Poldark à Outlander, non sans raison. Il est vrai qu’il y a des similitudes mais les deux shows, tous deux de grande qualité, demeurent tout de même assez distincts. Outlander est plus moderne, filmé différemment, plus proche d’un réalisme dur.
Poldark est aussi assimilable à l’univers de Jane Austen, bien évidemment, et nous évoque également Jane Eyre de Charlotte Brontë, car les histoires s’inscrivent dans la même veine. Avec sa cicatrice et son air nonchalant, notre Ross Poldark a en effet des airs à Edward Fairfax Rochester. (Jane Eyre a été de nombreuses fois adapté au cinéma et à la télévision).
Au-delà de toutes ces comparaisons, la série Poldark n’appartient qu’à elle-même. Remarquable, ses accents multiples et ses particularités en font sa richesse. Même le générique, avec sa musique envoûtante est épique !
@ Audrey Cartier
Crédits photos : PBS/Masterpiece