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En rayon, Luc Lang avant la rentrée

Par Pmalgachie @pmalgachie
rayon, Lang avant rentrée Dix romans de 1988 à 2014 pour Luc Lang, quelques autres livres semés entre ceux-ci, et une nouvelle fiction le 24 août, Au commencement du septième jour. Le volume est copieux, plus épais même que La fin des paysages dont, il y a dix ans, j'avais pensé beaucoup de bien. J'aurais pu choisir Liverpool marée haute, son deuxième roman, ou même le premier, mais le deuxième n'était pas sans rapports avec celui que je glisse dans votre boîte à idées de lecture en attendant la rentrée littéraire: il en était, d'une certaine façon, un premier état. Non que Luc Lang manque d'imagination pour créer de nouveaux univers. Plutôt parce qu'il avait eu, je suppose, le sentiment de quelque chose d'inachevé qu'il avait les moyens de conduire plus loin. La preuve par un article et quelques lignes du début. rayon, Lang avant rentrée Il y a d’abord le rythme particulier du texte, provoqué par la multiplication des points de suspension – ils arrivent même avant le premier mot : « … oui, je peux très exactement reconstituer la scène… » Celui qui parle dans ce tempo haletant s’appelle Martin Finley. Un tragique concours de circonstances l’a rendu doublement responsable d’une exposition d’art africain à Liverpool : Un siècle d’africanismes 1850-1950. Il n’était que l’assistant de Sir Abel Manson, le Commissaire général. La disparition de celui-ci a propulsé Martin, alors qu’il n’a pas la vocation, sur le devant de la scène. En outre, il a eu à élucider un accident survenu lors d’un déchargement de caisses contenant des œuvres destinées à l’exposition. Une chute, un mort, des tableaux endommagés, des masques disparus – perdus dans les eaux du port ou volés ? Accident ou sabotage ? Martin Finley s’essouffle à tout raconter, sans cesse interrompu dans son élan, par l’irruption d’une idée faisant suite à la précédente ou par l’intervention d’un autre personnage. Et il court ainsi, à travers ce gros roman, une urgence à laquelle il sera difficile de faire face. Car les nouvelles responsabilités du narrateur l’amènent à comprendre que rien n’est simple dans les relations entre Abel Manson et cette exposition. Entre la Grande-Bretagne et les pays de l’Afrique de l’Est appartenant au Commonwealth. Entre sa bonne foi et l’attitude qu’il pense devoir adopter. Souterrainement, La fin des paysages est un polar psychologique. Et, plus souterrainement encore, l’amplification sous un autre angle – plutôt qu’une reprise – de Liverpool marée haute, un roman publié il y a seize ans. C’était déjà une sorte de naufrage. Ici, la familiarité imposée par la voix de Martin donne au lecteur l’impression de sombrer avec lui. Le port est envahi par la vase. Et les cœurs, par un sombre dégoût au sommet duquel ne peut survenir qu’une catastrophe. Il faut se laisser envahir sans réticence par l’allure (au sens où on prend une allure de course) de ce livre. Le second souffle vient très vite et l’on est porté jusqu’au bout.
… oui, je peux très exactement reconstituer la scène… le plateau de déchargement se balance mollement dans le vent froid, à plus de 12 mètres en surplomb de l’arête du débarcadère ; l’un des câbles cède, un accord de contrebasse vibrant dans l’air sourdement… les quatre caisses qui s’y trouvent empilées – comme si l’on n’avait pu les mettre en containers ! – s’engouffrent alors dans le vide… deux d’entre elles tombent entre le quai et la coque rouillée du Port Harcourt  ; avec le ressac de ce matin de janvier, le cargo achève de les concasser comme des noix sèches et elles se perdent dans les eaux grasses et mazoutées du port… une troisième éclate sur une bitte d’amarrage ; des statuettes et des masques se dispersent en gerbes d’ombres et d’or sur les pavés luisants, et la dernière, énorme, s’écrase plus doucement sur le sol… miraculeuse… le bois craque et gémit, dans un nuage de poussière, les parois se tordent puis s’abattent comme des cartes, mais la caisse, tombée à plat, laisse nus cinq grands tableaux, debout sur la tranche de leurs cadres dorés, tenus entre des cales de polystyrène… la poussière se dissipant, on découvre l’envers du dernier tableau, son châssis couvert d’étiquettes de galeries et de musées, et la toile brune, auréolée d’huile par endroits… plusieurs dates y sont inscrites au pinceau ; de l’autre côté de la caisse fracassée, on peut contempler le spectacle de la première peinture : près d’un oued bordé d’une maigre végétation exotique, à l’orée d’un désert pierreux et torride, des cavaliers, drapés de chatoyantes étoffes, s’affrontent en une espèce de fantasia, leurs visages d’un noir mat rend plus inquiétants les feux de leur regard… deux explosions donc, puis un silence lourd, oppressé, qui se répand en cet endroit des docks… parmi les éclats de bois et de plastique, parmi les masques, les statuettes, les parures, les bracelets de cuivre, les morceaux de vases funéraires qui jonchent le sol, les marins et les dockers se sont immobilisés, et ceux qui font face à la peinture croient à une apparition, cette chaude lumière d’Afrique, dans la grisaille des grues, des entrepôts et de la mer d’Irlande au fond de l’horizon… un miracle, j’insiste…

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