Au début du XXe siècle, Guillaume Apollinaire intitulait un de ses poèmes Il y a. On dit qu’il rompait alors avec la poésie qui l’avait précédé, bien qu’on trouve du « il y a » chez Rimbaud, par exemple. Apollinaire décrivait la guerre, évoquait l’amour, par énumération de constats.
Au début de ce XXIe siècle, Ktha Compagnie fait entendre Il n’y a plus. Et c’est tout le siècle précédent qui semble avoir disparu. Au début, c’est anecdotique : « Il n’y a plus de lait… Il n’y a plus de sucre… Il n’y a plus de beurre… » Soit qu’il suffise d’en acheter, soit que la pénurie se soit installée. Et puis se mêlent à la litanie d’autres « Il n’y a plus », comme si notre monde avait basculé dans des temps nouveaux, dans l’inédit. On entend une nostalgie, des regrets, des préjugés. Et les trois comédiens nous disent ces mots en nous regardant et en souriant. Pas de quoi avoir peur, donc, pas de discours menaçant. Les touristes qui vont et viennent au pied du Sacré Coeur (c’est, en effet, là que j’ai vu ce spectacle) passent. Entendent-ils l’énumération ? Et que s’est-il passé dans les autres lieux où s’est dit ce texte : Passerelle Simone de Beauvoir, Petite ceinture, etc ? Comment ce texte a-t-il résonné le matin ou dans l’après-midi ? Nous sommes quelques-uns, ayant réservé une place, ayant payé une place, destinataires de cette liste, formant en cet instant une assemblée : « Il n’y a plus que nous ».