Le tribunal administratif de Paris vient de rendre trois jugements, ces 23 et 30 juin 2016, qui comportent d'utiles précisions relatives au régime juridique des éco-organismes de prévention et de gestion des déchets (Cf. TA de Paris, 23 juin 2016, n°1503498/7-1 et 1500687/7-1 et TA de Paris, 30 juin 2016, n°1432254 et 1507287 - Source : Déchets infos).
Le tribunal administratif de Paris a été saisi par un éco-organisme de gestion de déchets d'équipements électriques et électroniques, dont la demande d'agrément avait été rejetée par la Ministre en charge de l'environnement. Cet éco-organisme a formé des recours, d'une part contre le refus d'agrément qui lui a été opposé mais aussi contre les agréments octroyés à d'autres éco-organismes de la même filière.
Les trois jugements rendus comportent plusieurs éléments qui retiennent l'attention dont les suivants. Ainsi, le tribunal administratif juge que les éco-organismes de la filière des déchets d'équipements électriques et électroniques n'assurent pas une mission de service public. Par ailleurs, le tribunal administratif de Paris procède à un contrôle rigoureux - contrôle de l'erreur d'appréciation - de la régularité et de la qualité du dossier de demande d'agrément présenté par l'éco-organisme requérant.
Afin d'écarter le moyen tenant à son incompétence, le tribunal administratif de Paris s'est donc livré à une appréciation du statut et de la nature juridique de l'activité confiée aux éco-organismes. Ainsi, le jugement rendu le 30 juin 2016 précise :
" 6. Considérant qu'il ne résulte ni des dispositions précitées du code de l'environnement, ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire, que le législateur aurait entendu qualifier les missions assurées par un éco-organisme pour la filière des déchets d'équipements électriques et électroniques ménagers de missions de service public ; que ces dispositions précitées du code de l'environnement ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n'attribuent l'exercice de prérogatives de puissance publique aux éco-organismes précités ; que, si l'activité assurée par ces éco-organismes présente un caractère d'intérêt général et si la procédure d'agrément implique l'intervention des ministres chargés de l'environnement, de l'industrie et des collectivités territoriales, les conditions de création, d'organisation, de fonctionnement et de financement ne permettent pas de les regarder comme étant chargés d'une mission de service public ; "
Aux termes de ce considérant :
- les missions confiées aux éco-organismes agréés au titre des déchets d'équipements électriques et électroniques ménagers, ne revêtent pas le caractère de missions de service public ;
- les éco-organismes ne peuvent être regardés comme étant chargés d'une mission de service public, bien que leur activité présente un caractère d'intérêt général et que la procédure d'agrément fasse intervenir les ministères de l'environnement, de l'industrie et des collectivités territoriales.
- aucune disposition législative ou réglementaire n'attribue aux éco-organismes de prérogatives de puissance publique ;
Par voie de conséquence, la décision par laquelle les ministres compétents statuent sur une demande d'éco-organismes ne présente pas un caractère réglementaire dés l'instant où elle ne peut avoir pour objet de confier une mission de service public à cette société. Le contentieux de cette décision ne relève donc pas du Conseil d'Etat mais bien du tribunal administratif :
" 7. Considérant, dès lors, que la décision par laquelle les ministres chargés de l'environnement, de l'industrie et des collectivités territoriales agréent, sur le fondement de l'article R. 543-189 du code de l'environnement, un éco-organisme pour la filière des DEEE ménagers n'a pas pour effet d'investir cet éco-organisme d'une mission de service public ; qu'ainsi, la décision en litige ne présente pas un caractère réglementaire et ne relève pas, en conséquence, de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'Etat au titre du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative ; qu'aucune autre disposition ne donne compétence au Conseil d'Etat pour connaître en premier et dernier ressort des conclusions de la société ERP tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision par laquelle les ministres chargés de l'environnement, de l'industrie et des collectivités territoriales lui ont refusé son agrément ; que par suite, le litige relève de la compétence du tribunal administratif de Paris ; qu'il y a donc lieu d'écarter l'exception d'incompétence de ce tribunal opposée par la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ; "
Avant tout commentaire, il convient de lire ces trois jugements avec prudence. S'agissant de décisions de première instance, ces jugements peuvent ne pas être définitifs, faire l'objet d'une procédure d'appel, voire de cassation. Par ailleurs, le tribunal administratif de Paris était appelé, sur le point précis de l'exécution éventuelle d'une mission de service public par un éco-organisme, à se prononcer sur la question de sa compétence. Enfin, ces jugements intéressent les éco-organismes de la filière des déchets d'équipements électriques et électroniques. Un débat ne manquera pas de s'engager sur la généralisation de la solution retenue par le tribunal administratif de Paris.
Il convient cependant de souligner que ces récents jugements du tribunal administratif de Paris interviennent peu après plusieurs ordonnances du juge judiciaire, relatives à la nature juridique de certains contrats conclus entre un éco-organisme et une personne publique.
Pour mémoire, le tribunal d'instance de Libourne a, par une décision du 13 janvier 2016, jugé qu'un tel contrat paraît avoir une nature administrative de telle sorte que seul le juge administratif est compétent pour connaître des litiges relatifs à son exécution. Des décisions sont intervenues par la suite pour confirmer la nature administrative d'une catégorie de contrat conclu entre un éco-organisme et une collectivité territoriale (cf. TGI de Libourne, 1er février 2016, n°15/01297 et TI de Nîmes, 12 avril 2016, n°11-15-001174).
Ainsi, le tribunal de grande instance de Libourne a jugé :
Le contrat dont l'exécution était en cause a donc été qualifié de contrat administratif au motif, notamment, que l'activité de l'éco-organisme est étroitement contrôlée par l'administration d'une part et consiste à participer à l'exécution d'une des modalités de la mission de service public de gestion des déchets.
Les décisions du tribunal administratif de Paris et celles des tribunaux d'instance et grande instance précités ne sont pas nécessairement contradictoires. Elles n'ont pas non plus la même portée. En résumé : le tribunal administratif de Paris juge que les missions des éco-organismes ne sont pas des missions de service public ; le tribunal de grande instance de Libourne juge qu'un éco-organisme " participe à l'exécution d'une des modalités de la mission de service public de gestion des déchets ". Le tribunal administratif de Paris n'infirme pas donc pas complètement l'analyse actuelle du juge judiciaire, d'autant plus que ces juridictions se prononçaient sur des instruments (décision d'agrément / contrat) différents et sur l'activité d'éco-organismes de filières différentes. Mais il est exact que la différence d'appréciation est ici subtile.
Cette jurisprudence en cours de formation et il sera intéressant de vérifier si les tribunaux saisis à la suite des ordonnances des tribunaux de Libourne et de Nîmes se déclarent à leur tour compétent et, selon quelle analyse.
En toute hypothèse, une intervention du législateur est certainement souhaitable car le risque d'un éclatement du contentieux des décisions relatives aux éco-organismes ou des contrats signés par ces derniers, n'est pas négligeable.
Arnaud Gossement
Avocat associé - Cabinet Gossement Avocats
A lire également :
Note du 19 mars 2016 sur l'ordonnance du TGI de Libourne du 1er février 2016Note du 23 mai 2016 sur l'ordonnance du TI de Nîmes du 12 avril 2016