Je me demande si ce n'est pas ce que dit Kierkegaard. Kierkegaard est le premier existentialiste. Il estime que nous ne savons plus ce "qu'exister" signifie. Parce que la raison nous a lavé le cerveau. Il retourne l'argument (post) hégélien : ce n'est pas Dieu qui aliène l'homme, mais la raison. Prolongement du romantisme et anti-philosophie.
Pour Kierkegaard, la raison est limitée, la vérité lui est inaccessible, elle nous paraît, donc, "absurde" et paradoxale. L'avenir est imprévisible, chaotique dirait-on peut-être, et c'est l'inspiration de la foi qui nous fait enjamber les failles béantes de la raison. On ne naît pas homme, on le devient. Exister c'est devenir. Quand on freine, on tombe. La vie comme une descente de rapides, pleine de dangers et de potentiels ? Poussés par une volonté irrépressible nous dévalons la pente, l'angoisse au ventre. Cette angoisse est le pressentiment du divin, de l'existence de quelque chose d'essentiel et de désirable, mais qui est inaccessible à notre raison. En profiter, et ne pas en être victime, est de l'ordre du miracle.
Kierkegaard cherche donc à créer les conditions qui feront que son lecteur s'interroge sur la signification de sa vie, et retrouve ce qui compte réellement pour lui. Il pensait que la réponse à cette question était à la fois propre à chacun et générale : la religion chrétienne. Mais son raisonnement paraît s'appliquer à toutes les religions, ou à tout ce qui est au delà de la raison.
(GARDINER, Patrick, Kierkegaard, a very short introduction, Oxford University Press, 2002.)