Ali Chibani, auteur du recueil poétique L'Expiation des innocents, est docteur en littérature comparée avec une thèse soutenue en Sorbonne et publiée sous le titre Tahar Djaout et Lounis Aït Menguellet : Temps clos et ruptures spatiales. Journaliste, il collabore au mensuel Le Monde diplomatique et aux éditions web de Tv5 Monde ainsi qu'à la revue en ligne Cultures Sud. Il est aussi co-fondateur du blog La Plume Francophone. Découvrons l'expiation des innocents...
Vous le savez. La poésie n’est pas le genre que j’affectionne le plus. Cependant, je me réjouis que mes activités, mes rencontres me contraignent parfois à aller vers ce type de textes. Ali Chibani est un acteur important de la critique littéraire avec la plateforme La Plume francophone qu’il co-anime depuis bientôt dix ans avec d’autres passionnés de la critique littéraire universitaire. Je pourrais citer Celia Sadaï, Lama Serhan ou Virginie Brinker. Ali habite l’Essonne comme moi et un soir, en rentrant d’une rencontre littéraire, nous avons tout au long du parcours échanger autour de la littérature, de la critique littéraire, de ses essais. L’homme a beaucoup travaillé sur les poètes kabyles Jean Amrouche, Tahar Djaout ou Lounis Aït Menguellet.
De cette passionnante discussion, interrompue brutalement par l’arrivée à ma correspondance de Juvisy, j’ai retenu l’engagement et la sensibilité d’Ali Chibani sur la question de l’Algérie. La lecture du recueil de poésie L’expiation des innocents publié aux éditions du Cygne est marqué par cette sensibilité. Chaque poème est porté par une violence. Parlons poésie.
L’expiation des innocents porte dans son titre l’esprit dans lequel Ali Chibani va déployer son cri. Ce concept chrétien d’expiation renvoie à l’idée de la faute pour laquelle le pécheur va purger une peine. Des innocents ont expié pendant près d’une décennie les assauts des gens d’armes, militaires en treillis ou des islamistes déterminés. C’est l’Algérie des années 90 avec le Front Islamique du salut ou des salutistes du GIA. A cette époque, des massacres étaient perpétrées sur les populations. L’horreur absolue durant des mois, des années. La poésie d’Ali Chibani jonche ces cadavres. Elle constate, tente de désigner des responsables, sinon des coupables. Tout est confus. Le lecteur est donc confronté au désarroi des poètes. Menacés. C’est un texte où la mort semble visible, la puanteur des cadavres exhalent nos narines. Elle nous étouffe. Elle noie les perspectives d’avenir, les rêves. Ces derniers constituent un leurre dont il faut se défaire. La désespérance qui étreint ces vers ne manquera de toucher le lecteur. Âme sensible s'abstenir. C’est aussi beaucoup d’autres choses, de symboles qui renvoient le lecteur aux
montagnes de Kabylie, ses terres arides souvent infertiles, à cette identité berbère revendiquée dans les temps forts de l’histoire de la région, mieux du pays. L’âne. L’olivier. Les montagnes. L’exil forcé. Des poèmes mettent en scène l’opiniâtreté de l’âne, un trait de caractère de ce mammifère qui porte, tracte les lourds fardeaux dans ces régions montagneuses. On pourrait scruter la nature de ces fardeaux. L’olivier qui renvoie à la fois à la richesse dans ce qu’on peut en extraire ou la symbolique de paix et d’apaisement après les années meurtrières. Des poèmes traitent de l’exil de manière sombre, mortifère. La femme abandonnée. La trahison de celle ou celui qui est parti. Les compromissions de celui qui est resté. L’absurde puisque dans les mots d’Ali Chibani, quand tu pars tu meurs à toi mais quand restes tu meurs aussi.
On ressent donc le dilemme du poète, écartelé par son positionnement en et au-delà de l’Algérie, dans son désir d’exégèse des textes coraniques et dans une forme de lecture critique des textes bibliques ou encore dans une affirmation de sa berbérité, si vous me permettez l’expression. Ce n’est pas une poésie que je mettrai dans les mains de tout le monde, tant elle porte le profond désarroi de l’auteur.
L'expiation des innocents, Ali ChibaniEditions du Cygne, première parution en 2011Copyright Photo -