Le Brexit en débat chez les députés français (1)

Publié le 26 juillet 2016 par Sylvainrakotoarison

Première partie : " L'idée européenne n'est pas un sentiment premier, comme le sentiment patriotique, comme celui de l'appartenance à un peuple, elle n'est pas originelle et instinctive, mais elle naît de la réflexion, elle n'est pas le produit d'une passion spontanée, mais le fruit lentement mûri d'une pensée élevée. " (Stefan Zweig, 1934).

L'adoption du Brexit par le peuple britannique lors du référendum du 23 juin 2016 a créé une onde de choc que le continent européen ressentira encore pendant longtemps. Il était donc normal, pour un événement de cette envergure, que les députés français aient pu débattre du sujet. Ce fut le cas lors de la séance du 28 juin 2016 qui a duré près de trois heures. Le débat a été introduit puis conclu par le Premier Ministre Manuel Valls et n'a été suivi d'aucun vote (on pourra lire le texte intégral de ces débats ici).
Mon but ici est de proposer quelques extraits intéressants d'un certain nombre d'orateurs. Chaque intervention devait se limiter à cinq minutes. J'ai déjà évoqué l'intervention de Bruno Le Maire dans un autre article.
Parmi les idées qui revenaient souvent, la conscience des carences dans le fonctionnement de l'Union Européenne, en particulier, avec son incompréhensible tendance bureaucratique à s'occuper de détails dérisoires. C'était aussi l'occasion pour chacun de définir ce qu'était l'Europe et de reconnaître qu'elle était le bouc émissaire facile des gouvernants depuis si longtemps.
À gauche, Manuel Valls et Bruno Le Roux n'ont pas brillé par leur originalité en citant tous les deux François Mitterrand : " La France est notre patrie ; l'Europe notre avenir. ". Il est des passages obligés, au PS ; se référer à une figure vénérée qui, pourtant, avait largement déçu les attentes de ses électeurs. Du reste, avec une autre phrase, Bruno Le Maire a également cité François Mitterrand.
Néanmoins, très œcuménique, Manuel Valls a aussi évoqué la figure de Philippe Séguin, comme l'a fait Laurent Wauquiez, désormais confirmé dans la position de l'ultradroite et qui, contrairement à ses collègues Valérie Pécresse, Xavier Bertrand, Hervé Morin et Christian Estrosi, cumule son mandat de député avec la présidence du conseil régional de Rhône-Alpes-Auvergne.
À droite, on se bousculait, parmi les candidats à la candidature, pour donner son point de vue sur le Brexit : François Fillon, Bruno Le Maire, peut-être Laurent Wauquiez (qui hésite encore à se déclarer : est-ce bon ou pas pour sa carrière ?), sans oublier, hors de la primaire LR, Nicolas Dupont-Aignan sur une posture pas si différente de celle de Laurent Wauquiez.
Manuel Valls : " L'Europe, c'est notre interface avec le monde. "
Manuel Valls a eu beau admettre qu'il fallait faire quelque chose, après le Brexit, rien n'a été proposé concrètement : " Dès lors, l'alternative est simple : soit on fait comme toujours, en évitant l'évidence, en essayant simplement de colmater les brèches, avec des petits arrangements ; soit nous prenons enfin notre courage à deux mains, nous allons au fond des choses, nous faisons de ce choc un électrochoc et une opportunité. Car l'erreur historique serait de croire que ce référendum ne regarde que les Britanniques. Non ! C'est de l'avenir de chacun des peuples de l'Union qu'il s'agit, donc aussi, et avant tout, de celui du peuple français. ".
Et d'exprimer une évidence sur un possible isolement du pays : " Je mets d'ailleurs en garde ceux qui croient qu'on renforcera notre souveraineté nationale en tirant un trait sur l'Europe ; ceux qui pensent qu'on s'en sortira mieux dans la mondialisation, qu'on traitera mieux la crise migratoire, qu'on combattra mieux le terrorisme en agissant seuls, en se privant d'appuis, dans le seul cadre de nos frontières nationales. Rien n'est plus faux ! ".
Manuel Valls a parlé alors d'une fracture entre l'Europe et les peuples : " Ce n'est pas uniquement une question de normes tatillonnes. C'est aussi une question de souveraineté démocratique et d'identité. D'identité, car les peuples ont l'impression que l'Europe veut diluer ce qu'ils sont et ce que des siècles d'histoire ont façonné. Or, une Europe qui nierait les nations, Philippe Séguin l'avait prédit avec une grande lucidité, ferait simplement le lit des nationalismes. ".

Sa définition de l'Europe : " L'Europe (...), c'est une culture, c'est une histoire commune, c'est la démocratie, c'est le continent de la conquête des libertés. Ce sont des valeurs partagées : l'égalité entre les femmes et les hommes, une exigence quant à la dignité de la personne. C'est l'aspiration à l'universalité, à la défense de la nature et de la planète. En un mot, l'Europe, c'est une civilisation, une identité multiséculaire, qui a des racines profondes, philosophiques, spirituelles, religieuses. Cette identité n'est pas monolithique ; elle est diverse. Chacun de nos pays a ses propres caractéristiques. Seule une Union peut les protéger face à la concurrence de pays continents. L'Europe, c'est notre interface avec le monde. Elle doit être une protection quand nous en avons besoin. Elle doit aussi démultiplier nos forces, nous permettre de peser plus que si nous étions seuls. Tout cela, c'est le sens des initiatives que la France entend porter. ".
La souveraineté reste l'un des points cruciaux de l'adhésion des peuples : " L'Europe, ce n'est pas la fin des États ; c'est l'exercice en commun des souverainetés nationales lorsque c'est plus efficace, lorsque les peuples le choisissent. Comme l'avait déjà dit Jacques Delors, c'est une fédération d'États-nations. Et le rôle de la France est d'entraîner les nations. ".
Enfin, conclusion pour mettre en garde contre la tentation d'une aventure hasardeuse : " Un référendum ne peut pas être le moyen de se débarrasser d'un problème. Encore moins un moyen détourné de régler des problèmes de politique interne (...). Je veux être encore plus clair. Par le référendum, le Front national ne poursuit au fond qu'un seul objectif, désormais dévoilé : faire sortir la France de l'Union européenne et donc de l'histoire. Quelle étrange ambition pour notre pays et quelle vision dévoyée du patriotisme ! Notre rôle de responsables politiques n'est pas de suivre, mais d'éclairer, de montrer le chemin, d'être à la hauteur. ".
Bruno Le Roux : " Il ne faut pas lancer de bombes à fragmentation. "
Cette mise en garde a été formulée également par Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l'Assemblée Nationale : " Il ne faut pas jouer avec l'Europe à des fins de politique intérieure ; il ne faut pas lancer de bombes à fragmentation dont personne ne peut prévoir les effets. (...) Les peuples attendent de l'Union européenne qu'elle se concentre sur l'essentiel et que le principe de subsidiarité, si souvent évoqué, soit pleinement appliqué. ".
Il a évoqué également la surprise et l'improvisation chez les partisans du Brexit : " La victoire des partisans du Brexit n'entraîne aucune euphorie, au contraire : on perçoit un certain embarras. Le camp du "out" est sonné par ses mensonges et ne manifeste plus qu'un manque d'assurance devant l'immensité de la tâche qu'il lui faut accomplir et les effets potentiellement catastrophiques de la décision qu'il a fait prendre. ".
François Fillon : " Je suis fier d'être Français et je me sens européen. "
Pour l'ancien Premier Ministre François Fillon aussi, le vote du Brexit concerne les Français : " Il serait dangereux, et médiocre, de voir dans le vote britannique la simple rançon d'un populisme insulaire. (...) On peut accuser les institutions communautaires et leur caractère technocratique. Je ne crains pas de le faire mais il serait juste d'en accuser aussi tous ceux, gouvernement compris, qui, de façon cynique, n'eurent de cesse d'accuser Bruxelles de tous les maux pour ne pas avoir à les régler eux-mêmes. ".
Comme Manuel Valls qui n'a pas hésité à s'en prendre aux Britanniques ( " Ce n'est pas le parti conservateur britannique qui doit imposer son agenda. "), François Fillon a voulu aussi de la fermeté : " Ni hostilité, ni complaisance ! On ne peut pas avoir quitté la maison commune, n'en plus payer les charges et continuer à bénéficier du toit, des chambres et du couvert. En revanche, on peut négocier un bon accord de voisinage. ".

Il a expliqué l'intérêt stratégique de l'euro pour la France : " Pour protéger nos économies du dumping chinois, nous avons besoin d'une Europe forte et lucide. Or notre indépendance est mise à mal aussi par la tutelle qu'imposent les États-Unis aux entreprises européennes soumises à la législation intérieure américaine, soit au prétexte qu'elles utilisent le dollar, soit au motif de la lutte contre la corruption. La seule façon de résister à cette emprise, c'est d'avoir une monnaie qui assure notre indépendance. L'euro doit donc devenir une monnaie de réserve et de règlement. ".
François Fillon a défini trois chapitres pour renforcer l'intégration européenne : la zone euro (gouvernance économique), la sécurité (protéger les frontières communes) et la culture (éducation, investissement dans la recherche).
Sa définition de l'Europe : " Il y a des frontières et il y a un patrimoine qui est le nôtre. La philosophie antique, les valeurs chrétiennes, l'État de droit, la solidarité, le goût des arts et des sciences, la liberté de parler, de penser et de voter : c'est tout cela qui forge l'âme européenne. Si ce patrimoine ne vibre pas en nous, si notre jeunesse ne se sent pas chez elle à Rome, à Berlin, à Athènes ou à Prague, si nous ne sommes pas capables de conjuguer nos identités, pourquoi donc sommes-nous ensemble ? L'âme de l'Europe au XXIe siècle : voilà le défi de notre époque pour notre jeunesse ! ".
L'Europe reste donc une nécessité pour la France : " L'Union Européenne existera-t-elle encore dans dix ans ? L'Asie devient l'épicentre économique du monde (...). Et voilà que nous sommes menacés sur notre propre sol par le fanatisme islamique : il ne pose pas seulement des bombes, ne mitraille pas seulement des innocents ; il rêve aussi de ronger l'esprit humaniste de l'Europe. (...) Je suis fier d'être Français et je me sens européen. Pour moi, la nation française a été et restera d'actualité mais soyons clairs : on ne fera pas l'histoire en défaisant l'Europe. Dans un monde de sept milliards d'habitants, les Européens ont un choix à faire : ou bien ils se battent chacun dans son coin, ou bien ils se battent ensemble ! Sauf à vouloir saborder l'intérêt national, nous avons le devoir d'être européens, mais pas à n'importe quelle condition, pas par défaut, pas par résignation. ".
À la condition que la France reste forte, selon François Fillon, ce qui permet une transition subtile vers son projet présidentiel : " Lorsque la France est faible, elle subit l'Europe ; lorsqu'elle est puissante, elle la conduit. Le Général De Gaulle disait que l'essentiel, pour jouer un rôle au-delà de ses frontières, "c'est d'exister par soi-même, en soi-même, chez soi". Eh bien (...), il est temps de redonner à la France le pouvoir d'être forte chez elle afin qu'elle soit grande en Europe. ".
Dans le prochain article, je proposerai l'intervention notamment de Philippe Vigier, André Chassaigne et Laurent Wauquiez.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 juillet 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Patriotisme.
Intervention de Bruno Le Maire sur le Brexit le 28 juin 2016.
Le Brexit en débat chez les députés français.
Verbatim intégral du débat parlementaire sur le Brexit (le 28 juin 2016).
Tribune de Jean-Christophe Lagarde (24 juin 2016).
L'Europe n'est pas un marché.
Nouveaux leaders.
Remaniement ministériel du 29 juin 2011.
Peuple et populismes.
Le Brexit.
Jean-Claude Juncker, premier Président de la Commission Européenne issu des urnes.
La France des Bisounours à l'assaut de l'Europe.
L'Europe, c'est la paix.
Le Traité de Maastricht.
Le Traité constitutionnel européen (TCE).
Le Traité de Lisbonne et la démocratie.
Le référendum alsacien.
Nuit Debout.
Démocratie participative.
Vote électronique.
Monde multipolaire.

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