David Yates, réalisateur des quatre derniers épisodes cinématographiques de la saga Harry Potter, revient cette année pour adapter un autre monument de la littérature anglo-saxonne : Tarzan. Tarzan, une nouvelle écrite, en 1912, pour les magasines Pulp, par Edgar Rice Burroughs, et immédiatement transformée en objet marketing par l’auteur lui-même se verra décliner en vingt-cinq aventures romanesques, perpétué par la suite par d’autre écrivains, en bandes dessinée ou en romans. Au cinéma, c’est près de quarante-six versions, plus ou moins officielles, plus ou moins fidèles, qui seront mis en scène jusqu’à nos jours, et pas moins de vingt et un interprètes qui participeront à l’épopée. Le Tarzan de cette année n’est pas le plus fantaisiste replaçant l’intrigue dans un optique anti-colonialiste et écologiste.
John Clayton (Alexander Skarsgård), Lord Greystoke, a vécu son enfance dans la jungle africaine, au Congo, après le naufrage de ses parents. Accueilli par une famille de Manganis, animaux imaginaires proches des gorilles, il rentre finalement, après plusieurs années, au contact de l’humanité en rencontrant la tribu de Wasimbu (Sidney Ralitsoele). Il y rencontre sa future femme, Jane Porter (Margot Robbie que l’on a vu dans l’excellent The Big Short : Le casse du siècle et le très décevant Diversion). L’histoire commence lorsque, revenu vivre en Angleterre, sa vie de conte anglais, Tarzan est sollicité par le gouvernement anglais pour enquêter sur les agissements du roi des belges Léopold II et de son sbire Léon Rom (Christoph Waltz que l’on a vu dans Spectre), officiers de la Force Publique. Un affranchi de la Guerre de Sécession américaine, George Washington Williams (Samuel L. Jackson que l’on a vu dans Avengers : L’ère d’Ultron, Kingsman : Services Secrets, Les huit salopards et Kill Bill : Volume 2) l’accompagne.
George Washington Williams (Samuel L. Jackson)
Certaines adaptation de Tarzan viraient à la bouffonnerie, beaucoup d’entre elles se virent opposer l’ire de Burroughs, qui les renia souvent. Nul ne sait ce qu’il aurait pensé de cette nouvelle mouture mais une chose est sûr, elle s’éloigne de ces interprétations caricaturales pour donner de la profondeur aux propos comme aux personnages, éclairant à travers la fiction les heures les plus sombres de l’histoire coloniale belge. Une histoire méconnue, éclipsée par les forfaits de l’Angleterre, de la France ou de l’Allemagne mais qui n’en comporte pas moins son lot de positions racialistes, pseudo-scientifiques et civilisationnelles, prétextes à l’exploitation renouvelée de l’Afrique malgré la fin de la traite des noirs. Au côtés des personnages de Tarzan et de Jane, évoluent deux personnages ayant réellement existé et dont le rôle dans ces nouvelles aventures reste proche de leur actes véritables. D’un côté, Léon Rom et de l’autre, George Washington Williams. Le premier, triste sir fait parti d’une légende si noir qu’il n’y a presque pas besoin d’en rajouter pour que Yates en fasse l’incarnation du mal colonialiste. Aventurier violent et va-t-en-guerre, issu d’une famille pauvre, revanchard sur sa condition, il mettra tout son savoir-faire au service du roi Léopold II en fortifiant la Force Publique, milice d’État chargée de faire régner l’ordre dans les colonies. Avec cette homme froid et cynique à sa tête, cette police fit preuve d’une cruauté sans failles, rendant généralement la justice sans procès.
Lord Greystoke (Alexander Skarsgård) et George Washington Williams (Samuel L. Jackson)
Il organisa le massacre de plusieurs ethnies congolaises, une tentation génocidaire souvent tue en dehors du cercle des historiens travaillant sur la période et pour laquelle la Belgique, si elle a reconnu son ingérence et son rôle dans l’assassinat de Patrice Lumumba en 1961, n’a jamais présenté d’excuses. Avant de devenir une colonie officielle de la Belgique, le Congo fut d’abord une possession personnelle du roi Léopold II, géré comme une entreprise capitaliste familiale ce qui exclut de fait l’excuse fallacieuse de portée civilisationnelle dont use encore ceux qui pensent que « l’homme africain n’est pas rentrée dans l’histoire ». George Washington Williams, devenu pasteur après la Guerre de Sécession dans laquelle il s’engage à l’age de quatorze ans, est l’autre figure historique de ce Tarzan. Précurseur de la lutte pour les droits civiques, auteur des deux volumes d’History of the Negro Race in America, 1619–1800 et 1800-1880, l’un des premiers ouvrages consacré au sujet et premier noir-américain élu dans l’Ohio, il fit de sa vie, un combat contre le colonialisme et ses exactions. Au terme d’un voyage dans l’État indépendant du Congo, il écrivit une lettre ouverte à Léopold II, dénonçant les tortures et les manquements sévères aux droits de l’homme dont il fut le témoin. Ces travaux permirent l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire belge en 1904 mais les crimes restèrent, en majeure partie, impunis.
Léon Rom (Christoph Waltz)
A la convergence de ces deux mondes, Tarzan est confronté à ses propres peurs et devra les surpasser pour garder raison. A l’image de nos contemporains engoncés dans des vieux réflexes racistes, il commence par nier ses origines, se recroquevillant sur son identité de Lord anglais. Seulement, voilà, comme la plupart d’entre nous, John Clayton est le fruit du métissage, s’il n’est pas immédiatement génétique, tout au moins culturel. Et c’est ce qui fait sa force. Tarzan est à même d’appréhender dans leurs complexités deux mondes que tout semble opposer, celui du règne animal et celui des hommes. Ce dernier étant artificiellement partagé en deux également, selon les théories raciales. Le premier est censé être soumis à la loi du plus fort, la loi de la jungle tandis que le second est une construction sociologique répondant à des règles précises , une morale et une éthique. L’enseignement évident de Tarzan est que la frontière est poreuse et plus floue qu’il n’y paraît. A contre-champs du darwinisme social, il s’agit ici de brouiller les certitudes de supériorité des uns et des autres dans une démarche écologique et égalitaire. Si les Manganis savent faire preuve de violence, il en font un usage maîtrisé et nécessaire, au contraire des êtres humains qui peuvent tuer par plaisir. L’ensemble des êtres vivants réintègre une seule famille d’êtres sensibles où les individualités sont plus sensibles qu’il n’y paraît. Ainsi, Tarzan reprend à son compte la condamnation des dérives racistes et coloniales prétendant la supériorité d’une culture sur une autre mais en les transposant dans le cadre des rapports de l’homme avec la nature. Le chef Mbonga (Djimon Hounsou que l’on a vu dans Les gardiens de la galaxie et Fast and Furious 7) et Rom sont renvoyés dos à dos par Tarzan qui prône la concorde et l’entraide comme rempart aux luttes d’Ego et à la barbarie qui n’épargnent personnes si l’on y prend pas gare. Tarzan lui-même étant souvent en proie à ces pulsions destructrices.
Jane (Margot Robbie)
Formellement très beau, impressionnant par moment, Tarzan plongeant dans la canopée étant tout simplement époustouflant, émouvant par instant, exploration intime d’un être humain déchiré entre plusieurs identités qui saura les dépasser pour obtenir le meilleur de lui-même, émaillé d’une romance où la jouvencelle sans-défense laisse place à une femme indépendante, cette dernière adaptation fera date.
Boeringer Rémy
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