Par Coralie Schaub —
Température moyenne entre janvier et juin 2016BiG
La température moyenne du globe a une nouvelle fois battu un record mensuel au mois de juin, et le premier semestre de 2016 a été de loin le plus chaud depuis le début des relevés en 1880. Entretien avec le climatologue Jean Jouzel, selon lequel il est «probable» que 2016 batte le précédent record annuel de 2015.
«Notre maison brûle et nous regardons ailleurs.» La formule prononcée par Jacques Chirac au Sommet de la Terre de 2002 n’a jamais été plus vraie qu’aujourd’hui. Pendant que nous assistons, sidérés, à l’emballement de l’actualité «chaude», à la multiplication des attentats et des crises géopolitiques, le globe se transforme – littéralement – en cocotte-minute. C’est moins spectaculaire, plus insidieux, mais les chiffres et les faits sont là, mois après mois. Le climat se réchauffe à un rythme inédit. Mardi, deux institutions américaines, la Nasa et l’Agence américaine océanique et atmosphérique (Noaa), annonçaient des données glaçantes. Le mois dernier a été le mois de juin le plus torride jamais enregistré sur la planète depuis le début des relevés de températures en 1880, pulvérisant le précédent record de 2015. Surtout, il s’agit du 14e mois consécutif lors duquel un record mensuel de chaleur a été battu, la plus longue période continue de montée des températures globales en 137 ans.
Et le premier semestre de 2016 a été de loin le plus chaud relevé dans les annales, «avec une température moyenne 1,3°C plus élevée qu’à la fin du XIXe siècle», souligne la Nasa. De quoi laisser entrevoir un nouveau record annuel, après celui de 2015. « 2016 est en voie de devenir l'année la plus chaude jamais enregistrée sur le globe», s'est alarmée jeudi l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Avec des effets déjà spectaculaires, surtout en Arctique, où la banquise se réduit comme peau de chagrin et bat des records de recul des glaces. Entretien avec le climatologue Jean Jouzel, vice-président du groupe scientifique du Groupement intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec) de 2002 à 2015.
Le changement climatique semble s’accélérer et s’amplifier sous nos yeux de façon majeure. A-t-on déjà observé cela à l’échelle géologique ?
Effectivement, le Giec conclut que le réchauffement climatique est désormais «sans équivoque» et que beaucoup de changements observés sont sans précédent depuis des décennies voire des millénaires. Cela vaut pour la rapidité du réchauffement actuel qui, en moyenne globale, n’a pas connu d’équivalent depuis au moins 8 000 ans. Dans les périodes plus anciennes, des réchauffements très rapides sont survenus, jusqu’à 16°C en une ou deux décennies pendant la dernière période glaciaire au Groenland. Cependant, cette rapidité avait un caractère régional et il est possible que celle du réchauffement actuel n’ait pas, au niveau planétaire, d‘équivalent à l’échelle géologique.Les modèles climatiques avaient-ils prévu cela ? Vivons-nous un basculement ?
En tenant compte de la période très récente, l’évolution de la température moyenne est compatible avec les projections des modèles climatiques. La trajectoire est plus pessimiste pour ce qui concerne les émissions des gaz à effet de serre, qui ont augmenté plus rapidement qu’il n’était envisagé dans les années 90. Nous ne vivons pas de basculement majeur mais les projections des climatologues sont globalement confirmées, ce qui donne de la crédibilité à celles qui sont faites d’ici la fin du siècle et au-delà.Les terres sont en surchauffe, mais aussi les océans. Quelles sont les conséquences d’ores et déjà avérées ?
Les impacts de l’augmentation de l’effet de serre sont déjà avérés sur la température, la fonte des neiges et glaces, l’élévation du niveau de la mer… Et il suffit de regarder autour de nous : la nature se comporte comme on s’y attend en cas de réchauffement : les dates de vendanges et de floraison des arbres fruitiers surviennent en moyenne de plus en plus tôt.Le recul de la banquise en Arctique est inédit…
Oui, pour ce qui concerne l’étendue des glaces l’hiver dernier. Les valeurs début juillet semblent similaires à celles de 2012 et il faudra probablement attendre mi-septembre pour savoir si 2016 est également une année record en termes d’étendue minimale. De façon générale, une partie du réchauffement de la planète observé ces derniers mois est dû au courant équatorial chaud du Pacifique El Niño, phénomène réapparu l’an dernier et en train de se terminer. La question est de savoir si lorsqu’El Niño sera terminé, on reviendra à la tendance d’avant. La tendance moyenne était un réchauffement d’un peu plus d’un centième de degrés par an (+0,012 à +0,013°C), soit un rythme d’un peu plus d’1°C par siècle. Mais sur les deux dernières années, 2014 et 2015, le réchauffement a été dix fois plus rapide. Le plus probable est que 2016 batte encore le record de 2015. Mais il est très peu probable que 2017 soit encore plus chaud, grâce à l’apparition du courant froid du Pacifique La Niña.L’accord de Paris scellé en décembre vise le maintien des températures «bien en deçà de 2°C» et incite à«poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5°C au-dessus des niveaux pré-industriels». Nous semblons déjà friser les 1,5°C…
Il y a une certaine confusion dans la notion de « niveau pré-industriel ». Plutôt que le début du XXe siècle, le Giec suggère de prendre comme référence la période 1850-1900. En prenant celle-ci en compte, et sur la base de la plus longue série d’observations disponible (le réchauffement moyen estimé sur la période 1986-2005, prise comme référence du climat actuel), le réchauffement est de 0,61°C. Il s’est poursuivi depuis de 0,17°C. Au total, on peut donc estimer que le globe s’est déjà réchauffé de 0,78 °C par rapport au niveau pré-industriel. Le réchauffement atteint 1,05°C si l’on considère la seule année 2015, exceptionnellement chaude (0,44°C de plus que la moyenne 1986-2005). Il reste encore de la marge pour atteindre 1,5°C.Si la tendance actuelle se poursuit, quand atteindrons-nous 1,5°C, puis 2°C ? Et à quoi pouvons-nous nous attendre en 2050 ?
Si rien n’était fait pour lutter contre le réchauffement lié aux activités humaines, pris par rapport au niveau pré-industriel, le seuil des 1,5°C pourrait être dépassé vers 2030, celui des 2°C avant 2050. S’ils sont respectés, les engagements de réduction des émissions pris à Paris nous mettent sur une trajectoire de 3,5 à 4°C à la fin du siècle et nous serions alors proches des 2°C dès 2060. Limiter le réchauffement à long terme à 2°C requiert d’aller bien au-delà de ces engagements – au minimum de les doubler d’ici à 2030 – puis de poursuivre de façon à atteindre la neutralité carbone dans la seconde partie du siècle, avec la nécessité «d’émissions négatives» d’ici à 2100. L’accord de Paris visant à «contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C» est encore beaucoup plus ambitieux. Il apparaît très difficilement accessible, sinon impossible, pour ce qui concerne l’objectif 1,5°C.Quelles conséquences pour la vie sur Terre, concrètement ?
Les conséquences du réchauffement sont multiples : récifs coralliens mis à mal, acidification de l’océan, élévation du niveau de la mer, intensification des événements météorologiques extrêmes et irréversibilité des phénomènes liés à la diminution du volume des calottes glaciaires. L’accès à l’eau serait rendu plus difficile dans certaines régions affectées par des sécheresses et des canicules à répétition. La perte de biodiversité serait exacerbée, certains écosystèmes naturels étant incapables de s’adapter à un changement aussi rapide. Les rendements agricoles auraient tendance à stagner, rendant encore plus délicat l’objectif de nourrir notre humanité marquée par une expansion démographique importante au moins d’ici à 2050.La pollution urbaine pourrait devenir plus difficile à supporter dans les mégapoles et ces conditions climatiques très différentes de celles d’aujourd’hui auraient également des conséquences sur la santé des populations mais aussi des animaux, sauvages ou domestiques. Dans le cas d’un réchauffement important, tous les voyants sont au rouge. L’idée de maintenir le réchauffement en deçà de 2°C est qu’il serait alors possible de s’y adapter. Dans le meilleur des cas, ce n’est que partiellement exact, par exemple pour ce qui concerne l’élévation du niveau de la mer qui se poursuivra inéluctablement. Les arguments des pays qui se battent pour un objectif de 1,5°C sont tout à fait pertinents.Depuis l’accord de Paris, les actions de nos dirigeants vous semblent-elles à la hauteur ?
Le caractère universel de cet accord était un des critères de succès. Objectif atteint, puisque quasiment tous les pays ont signé. Le fait que les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne soient pas à la hauteur de l’objectif 2°C (en 2030, les émissions seraient de 35% à 40% trop élevées) est plutôt à mettre au débit du non-respect du protocole de Kyoto et de l’échec de Copenhague. En matière d’effet de serre et donc de réchauffement climatique, on ne peut pas revenir en arrière.Depuis quelques jours, il fait chaud en France. Mais le printemps a été frais et pluvieux. Ce qui fait parfois confondre climat et météo… Est-il possible que nous assistions à un début d’inversion du Gulf Stream, ce courant océanique qui assure un climat tempéré à l’Europe de l’Ouest ?
Ce que nous vivons à titre individuel, au jour le jour, n’est pas suffisant pour appréhender le réchauffement planétaire. Celui-ci est cependant perceptible à échelle d’une génération : en France, nous avons gagné environ 1°C depuis les années 60. Il est exact que l’intensité du Gulf Stream se modifie d’une année, d’une décennie sur l’autre mais il n’y a pas de lien clair avec le réchauffement. Comme partout sur notre planète, c’est ce réchauffement qui prévaudra d’ici la fin du siècle et très probablement au-delà.http://www.liberation.fr/futurs/2016/07/21/la-rapidite-du-rechauffement-actuel-est-sans-equivalent-depuis-au-moins-8-000-ans_1467667