Qu'il me soit permis de rebondir suite au dernier commentaire d'Antonio Galloni cité par Nicolas Herbin : ICI
Cette transaction historique - car c'est une première de poids au Piémont - peut générer les réflexions suivantes.
LA FOI SUR L'EXPANSION DES MARCHES MONDIAUX DES GRANDS VINS
A un moment où l'argent bon marché coule à flot chez quelques individus ou sociétés (on rappelle ici que 80 % des nouvelles richesses mondiales vont dans les mains de 1 % de la population - chiffres cités par Attali dans la vidéo indiquée dans mon précédent billet - ) et dans le contexte que le secteur du vin est porteur de potentiels importants, il est évident que des propositions d'achats vont s'orienter de plus en plus vers les régions vinicoles qui sont sous le radar : Bordelais (il a toujours été suivi par des investisseurs étrangers ou nationaux) , Bourgogne, Toscane, Piémont, Alsace (où Michel Chapoutier a surpris son monde) et, à venir, Douro, Allemagne, Rhône, etc.
Bref : les sous sont là. Et il y a une demande.
DU COTE DE L'OFFRE
Si Bordeaux a toujours été une région ouverte aux investisseurs étrangers - et cela date du XIXème siècle pour ne pas dire d'Eléonore d'Aquitaine - , des régions comme la Bourgogne, l'Alsace, le Piémont ont toujours connu une sorte de solidarité de "l'entre-soi". Si des propriétés arrivaient sur le marché, des locaux mettaient un point d'honneur à les garder localement.
C'est là que deux phénomènes vont changer la donne :
a : de plus en plus de domaines appartiennent à une flopée d'héritiers, le droit d'aînesse n'étant pas reconnu en France autant que je sache. Et souvent, ces héritiers qui ont eux-mêmes des enfants qui aimeraient bien un appartement à Paris ou autres biens de confort, sont de plus en plus sensibles au différentiel entre leurs revenus et ce capital dormant de leur part dans un sol se valorisant parfois exponentiellement.
b : les récentes transactions, style l'ouvrée de Musigny achetée par Erwan Faiveley à plus de 3.5 millions d'euros ou le Clos des Lambrays qui n'a pas été cédé pour une bouchée de pain, peuvent charger des neurones de rêves pouvant se réaliser plus tôt que prévu. Vous gagnez € 5.000 par mois et devez nourrir une famille de 3 personnes alors même qu vous êtes co-propriétaire d'un domaine valant des millions, ça peut créer des tensions !
Et toutes ces familles de vignerons n'ont pas le réflexe des Mulliez créant des Fondations spécifiques pour traiter la chose.
ALORS, ON VA DANS LE MUR ?
Ou plus précisément : ces régions mythiques auxquelles nous sommes tellement attachés, tant elles offrent une harmonie spécifique qu'on ressent sans savoir toujours l'exprimer, vont elles perdre une âme qui s'est constituée au cours du XXème siècle ? Verra t'on les nouveaux moguls de la finance qui disposent de capitaux colossaux vouloir satisfaire leur ego en montrant à leurs cercles que eux, oui, ils ont réussi à faire leur propre vin dans des appellations prestigieuses façonnées par des générations de vignerons qui savaient plier le dos dans la vigne et évitaient de rêver à des Porsche ou autres signes de richesse comme cela s'est fait dans le monde de la haute restauration ?
Le commentaire d'Antonio Galloni est explicite sur cette évolution. On vient d'ouvrir au Piémont une porte que tout le monde voulait, souhaitait qu'elle reste fermée.
Comme le village gaulois, il restera, c'est sûr, des propriétés qui sauront gérer ces questions d"héritage. Mais là, on aborde le problème des droits de succession, un autre aspect sensible de la chose.
On peut aussi espérer des solutions comme celle de ce Chinois qui a acquis le Château de Gevrey-Chambertin et ses quelques arpents de vigne en les confiant à Eric Rousseau, une garantie évidente qu'on restera là bourguignon dans l'âme.
Quoiqu'il en soit, à notre niveau d'amateurs : continuons à aimer, à soutenir ces fabuleuses harmonies qui existent encore entre des terres traitées avec amour par des générations de noms respectés et ce climat général façonné par l'histoire qui font qu'un voyage en Bourgogne, au Piémont, en Wachau gardera toujours quelque chose d'indéfinissable qui restera un ilot face à une mondialisation trop envahissante.
PS :
Comme d'habitude, sur des sujets aussi complexes qui mériteraient des pages et des pages, chacun pourra trouver facilement des failles dans ce raisonnement.
Exemple : en AOC Pomerol, à tout le moins sur des propriétés en bon terroir, ce n'est pas prendre grand risque de dire que la Famille Moueix, exemplaire en la matière, ne laisserait point partir en mains étrangères le moindre hectare bien placé. C'est donc un exemple indiscutable de locaux voulant rester locaux.
Autres exemples tempérant ce billet :
La Famille Frey (avec La Lagune en bordelais et autres propriétés en Rhône et même en Suisse) ne manque pas d'étudier bien des dossiers. Et donc là, les propriétés acquises restent chez des pro, passionnés par le vin.
Idem pour la Famille Labruyère (Château Rouget et Domaine Prieur).
Et on ne va pas en vouloir aux créateurs historiques d'imposantes entités économiques comme les Descours ou autres Dubrule et Pélisson d'aller frotter leur épiderme encore jeune sous le soleil de Provence ou d'ailleurs. Ils y apprennent un autre sens du temps, de la modestie et d'une terre qui n'en fait qu'à sa tête ! Cela doit sacrément les changer des béni-oui-oui qui ont fatalement croisé leurs chemins.
Un chemin de Compostelle également fréquenté par les Pierre Richard et autres Depardieu :-)
Toute une époque…
Du temps des grandes heures…
:-)
TRES BEAUX VINS DEGUSTES LORS D'UN DÎNER ENTRE AMIS
Impossible ne pas mentionner, parmi 4 vins (photos ci-dessous) deux crus dont bien des intervenants ici me les recommandaient :
Essayez de me trouver un Pinot Blanc de cette qualité ! Un sommet sur ce cépage d'habitude assez ordinaire Depuis le temps qu'on me parle de ce vin ! Effectivement, une élégance de référence, un cru dont le RQP casse la baraque, et qui était hier soir, dans ce millésime, au niveau de classés de type Margaux. Bravissimo à ce vigneron à connaître ! Là : bouche bée : une telle bouteille ne peut que créer des enthousiasmes totalement justifiés. Avant tout, une finesse de référence, un fruité bien présent, et une classe qui le met, à tout le moins dans ce millésime, dans le peloton de tête des classés de la rive gauche. Une beauté totale, rien à reprocher. Et je ne parle même pas du prix ! Superbe ! On sait à quel point il est difficile, dans la catégorie "liquoreux" de trouver des crus qui offrent en finale une fraîcheur manifeste alors que souvent, on a plutôt du sucre qui alourdit la chose. Cette recherche de cette fraîcheur est à rapprocher des derniers millésimes d'Yquem qui développent aussi en finale cet appel au verre suivant.