« Green » et « Smart » building vont de pair : l’entreprise intelligente de demain est durable et éco-responsable. Une mise au vert qui favorise la gestion des flux, l’agilité, le confort. Encore faut-il savoir accompagner les collaborateurs afin qu’ils investissent efficacement un nouvel environnement de travail pour en tirer tous les bénéfices.
La performance, tel est l’objectif du « smart building ». Elle est recherchée à plusieurs niveaux : une haute qualité énergétique, une meilleure gestion des espaces, une démarche éco-responsable à long terme, une augmentation du bien-être de l’employé, un terrain plus favorable à l’émulation et à la productivité. L’agrégation et l’analyse des données (énergies, occupation des espaces, usages internes, etc) y sont déterminantes car cela permet plus d’intelligence et de service, tout en évoluant pour s’adapter aux comportements des occupants. Dans le bâtiment intelligent, la notion «durable» est essentielle, avec pour but la réduction de l’impact global de l’environnement bâti et des usages internes (déchets, ressources, pollution…). Un tel engagement fait rêver plus d’une entreprise, mais, pour une transformation réussie, l’accompagnement des collaborateurs est décisif.
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Communiquer beaucoup et régulièrement
La clé d’un change management réussi est avant tout la communication. Elle doit porter sur du long terme, être régulière et transparente « Il est nécessaire de répéter les informations, ré-expliquer en permanence. Une communication unique à un instant «t » ne suffit pas à faire évoluer les usages. » défend Marlène Morin-Lallemand, de la société de conseil en développement durable Greenflex. « Même quand on ne sait pas, il faut le dire » ajoute Carole Birembaux, responsable de la conduite du changement à BNPP Personal Finance. Pour l’experte, c’est aussi une question de timing : trop tôt ça n’est pas assez concret, trop tard, c’est confus. L’information doit indiquer les avancées de la transformation, ses apports, sensibiliser et faire comprendre les nouveaux usages, mais aussi répondre aux craintes en utilisant un feedback. « Pour le déménagement de nos équipes dans un nouveau bâtiment durable, on a utilisé le baromètre ICAP, raconte Carole Birembaux. Est-ce que je suis bien Informé ? Est-ce que j’ai bien Compris ? Est-ce que j’Adhère ? Est-ce que je Participe ? ». Enfin, pour motiver, les considérations uniquement écologiques ou liées à l’entreprise elle-même ne fonctionnent pas : il faut démontrer l’intérêt personnel que détient chaque collaborateur dans le changement.
Une direction exemplaire sinon rien
Tous les experts insistent sur ce point : pour accompagner le changement, le projet doit être porté par la direction. « C’est souvent un vrai enjeu pour les entreprises » remarque Marlène Morin-Lallemand. Une direction qui en plus de soutenir au premier rang la transformation, nécessite d’être exemplaire sur les nouveaux fonctionnements et les points de sensibilisation. « Je préconise une approche « top-down » qui embarque tout le monde, de la direction générale jusqu’au dernier collaborateur arrivé », insiste Carole Birembaux. Sans oublier de former spécifiquement certains postes, comme les assistant(e)s et les managers. Ces derniers vont revoir leur façon de manager et ne pas reproduire le mode de gestion précédent. Dans le cadre d’open spaces dynamiques, par exemple, de nouveaux rituels managériaux et modes d‘animation de l’équipe sont à créer, ainsi qu’une attention particulière aux « signaux faibles » : un collaborateur en retrait, des difficultés dans l’organisation du travail, etc.
Gamifier, la bonne idée ?
Un autre aspect qui met tout le monde d’accord est la nécessité de rendre les nouveaux usages ludiques et attractifs. « Il faut donner envie aux gens : ne pas donner un discours moralisateur mais inspirant », dixit Greenflex. Une bonne dose de pédagogie, un ton bien particulier et des activités « fun » sont la recette idéale d’une communication du changement. Le terme « gamification » revient souvent : Vincent Bryant - fondateur de la startup Deepki qui met la data au service des énergies - donne l’exemple de la tour Elithis, à Dijon, qui a installé des jeux et œuvres d’art dans les escaliers pour inciter à délaisser l’ascenseur. Des start-ups spécialisées dans la gamification proposent des serious games pour former ou sensibiliser les collaborateurs à différents enjeux, d’autres rendent l’écologie fun avec des potagers d’open-space ou du recyclage facilité. « Mais la gamification a ses limites, tempère le startupeur. Ça ne touche pas tout le monde, j’ai constaté qu’environ 30 % des gens y sont réfractaires ». Il ajoute qu’en raison de la durée de vie relativement courte de ce genre d’initiatives, les coûts peuvent grimper pour une utilisation à long terme. En revanche, dans le cadre d’une communication ponctuelle ou d’une formation précise comme point de départ, l’idée est à retenir.
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Du concret !
Communiquer, c’est bien, sur du concret, c’est mieux. Former, faire tester les nouveaux équipements et encourager la prise en main individuelle mène le collaborateur à comprendre les apports des nouveaux équipements et à le rassurer. Le bonus : définir des ambassadeurs volontaires qui présenteront aux autres les outils digitaux. « Il faut des prescripteurs, le collaboratif est porteur » clament Deepki et Carole Birembaux. L’idée des ambassadeurs est notamment à mettre en place dans les filiales lors d’un changement global, complète Greenflex, afin que les effets ne se limitent pas au siège social de l’entreprise. Le secret pour une bonne adhérence des collaborateurs, c’est la participation. Mieux encore : être acteur du changement dans les choix du mobilier, par exemple dans la préparation des équipes ou encore la proposition d’initiatives éco-responsables. « Plus vous donnez de liberté de choix, plus vous engagez » commente Bruno De Fromont, directeur des Grands Projets chez Steelcase.
Pour motiver et engager, il faut aussi… du résultat ! témoigne Laurent Pavillon. Et le montrer, voire le célébrer « certaines entreprises fixent des objectifs collectifs de performance énergétiques à atteindre, avec des primes à la clé, par exemple sur les économies réalisées sur certains postes » poursuit-il. Vincent Bryant de corroborer, « la compétition est un véritable moteur, surtout s’il y a un caractère personnel, en challengeant deux services par exemple. Le but, c’est l’émulation positive »
« C’était mieux avant »
Le rejet fait partie intégrante du changement, tout comme les « c’était mieux avant ». Pour Carole Birembaux, il est nécessaire d’accepter les résistances et la phase de déni, « car c’est un processus normal ». Pour traverser au mieux cette étape, une écoute attentive aux préoccupations individuelles est utile : entendre les questionnements et accompagner le collaborateur vers la solution « si cela arrive, que pouvez-vous faire pour régler la situation ? ». Laurent Pavillon admet, “Bien sûr, vous pouvez faire toutes les actions du monde, il y a toujours un risque qu’une partie des effectifs de l'entreprise n'arrive pas à s’adapter. L’enjeu fondamental, c’est de s’adapter aux utilisateurs et de ne pas forcer. L'engagement réussi passe par des bénéfices concrets et réciproques pour les collaborateurs et l'entreprise avec une création de valeur ajoutée palpable. »
Innover avant de rénover
La transformation induit aussi des limites : « Le respect des règles est essentiel, sinon le système se grippe », commence Carole Birembaux. Des règles d’autant plus délicates qu’elles s’appuient sur la civilité. « Le smart building est un juste-milieu du service personnalisé et du savoir-vivre collectif : que faire si j’ai froid et que le voisin a chaud ? Comment la personnalisation des services est-elle compatible avec les besoins collectifs ? » interroge Laurent Pavillon. Une période d’ajustement et de ratés semble indispensable pour permettre l’adaptation de chacun et, pendant ce temps, la communication reste essentielle pour assurer la transition.
À un autre niveau, Vincent Bryant soulève les effets contre-productifs à éviter, comme le tout-automatique qui risque de dé-responsabiliser l’utilisateur dans le projet. Il évoque un autre paradoxe « Si je veux montrer un bâtiment performant mais qu’il est mal réglé ou fonctionne mal, ça ne va pas. De même, attention au paradoxe des petits gestes : éteindre la lumière et réduire le débit des robinets d’eau, c’est bien, mais un aller-retour Paris-Toulouse en avion pour un collaborateur aura toujours plus d’impact écologique…». Pour le startupeur, les entreprises ne doivent pas tomber dans le piège facile des « petits gestes » pour se dédouaner des plus gros. Une vision partagée par Greenflex qui insiste sur la cohérence impérative entre le discours et les pratiques.
Jérôme Gatier, directeur du Plan Bâtiment Durable, mission du Ministère pour la promotion de la performance énergétique des bâtiments, va plus loin : plutôt que de grandes rénovations, il encourage l’amélioration du fonctionnement interne et les petites installations. « Il faut surtout un meilleur pilotage des équipements : de la gestion et de l’entretien. Et quand on remplace, investir un peu plus pour aller vers davantage de performance énergétique ». Vincent Bryant conclut, « concentrons-nous sur l’exploitation avant de se lancer dans le neuf. Le temps réel, c’est bien, mais gérer les données à la semaine ou au mois suffit largement pour l’instant ! »
Confort + autonomie = engagement
Quels sont les bénéfices d’une telle transformation ?
L’aménagement des espaces de façon plus dynamique avec, par exemple, l’abolition des bureaux clos attitrés et une part de télétravail, permet à la fois de répondre à l’enjeu écologique par l’occupation optimale des lieux et équipements ; mais veut également favoriser le bien-être et la productivité des collaborateurs. Carole Birembaux croit en ses bénéfices : « Cela augmente l’agilité et améliore la circulation de l’information. On devrait passer moins de temps en réunion ! C’est aussi un espace qui favorise la collaboration. Enfin, l'absence de bureaux clos par exemple, aplanit les niveaux hiérarchiques et les marques statutaires ».
Quant à la « mise au vert » du bâti, elle engendre aussi davantage de confort « acoustique, thermique, visuel, et une meilleure qualité de l’air. Aussi, le seul fait de voir du vert depuis la fenêtre de son bureau est un facteur de satisfaction, c’est la biophilie. » relate Jérôme Gatier.
En définitive, le contrôle des espaces et des flux (climatisation, chauffage, lumière…), rend le salarié plus autonome et responsable. L’auto-contrôle est d’ailleurs facteur d’implication et de satisfaction, selon une étude Steelcase : 88 % des employés engagés dans leur entreprise disent détenir un fort contrôle de leur environnement. « Les gens acceptent d’ailleurs plus facilement le changement s’ils peuvent maîtriser leur environnement » corrobore Jérôme Gatier. À condition que tout fonctionne bien : Vincent Bryant, fondateur de la start-up Deepki qui met la data au service de l’efficacité énergétique, rappelle qu’un bâtiment mal réglé ou dysfonctionnel aura l’effet inverse sur les employés.
Une entreprise durable est aussi un facteur différenciant pour les talents, « c’est un moyen d’attirer et de fidéliser » souligne Bruno de Fromont. « Les jeunes notamment sont de plus en plus mobiles, l’adhésion est donc un enjeu fort. Ils seront attirés par la culture d’entreprise, c’est à dire les comportement et les espaces ». Chez Greenflex, entreprise de conseil en développement durable, Marlène Morin-Lallemand renchérit « Une démarche responsable donne du sens, et c’est ce que cherchent de plus en plus les employés. »
En bref : les “3 conseils” d’experts pour une transformation durable réussie
Carole Birembaux :
1 : De la collaboration constante, de la confiance et de la responsabilisation.
2 : Prendre son temps, expliquer les impacts, faire exprimer les résistances.
3 : Faire tester en situation, et demander un feedback sur l’accompagnement.
Laurent Pavillon :
1 : Toute interaction entre un immeuble et ses occupants doit répondre à des besoins fondamentaux et non pas à de la gadgetisation.
2 : L’engagement et l'adhésion à une culture d’entreprise volontaire sur ce sujet est essentiel.
3 : La fiabilité et la simplicité des services proposés sont indispensables, pour un parcours utilisateur parfaitement fluide et efficace.
Vincent Bryant :
1 : Être exemplaire : le faire soi-même, en particulier management.
2 : Être transparent sur les bases et les objectifs.
3: Obtenir des résultats et communiquer dessus. Pas de la com’ sur ce qu’on va faire, mais sur ce qui est fait. L’inverse des hommes politiques !