Source : Elle - Mai 2016
Almodovar est sélectionné pour la cinquième fois en compétition officielle, avec Julieta. Cette année sera-t-elle la bonne ? *
Il est un habitué du Festival de Cannes. Tout sur ma mère (1999) avait décroché le Prix du meilleur réalisateur. Et les actrices de Volver (2006) avaient remporté toutes ensemble le Prix d'interprétation féminine. Pour cette 69e édition, Pedro Almodovar, le cinéaste flamboyant qui filme les femmes comme personne, présente Julieta, son cinquième film en compétition officielle (en salle le 18 mai). Le scénario, adapté de trois nouvelles du Prix Nobel de littérature 2013 Alice Munro (Hasard, Bientôt et Silence), est un drame centré sur une mère qui recherche sa fille désespérément. Rencontre.
A Cannes, pour Julieta, avec ses deux actrices
Le Festival de Cannes et vous, c'est une belle histoire...
On a l'impression que je suis tout le temps à Cannes. C'est faux ! Il m'a fallu attendre mon treizième film pour être sélectionné. Cannes m'a rejeté jusqu'en 1999. Mais je ne garde que les bons souvenirs ! Ce que j'aime par-dessus tout, après la montée des marches, c'est ce moment magique où j'entre dans la grande salle du Grand Théâtre Lumière. On me guide vers mon siège réservé, les invités sont debout, certains visages sont éclairés, d'autres dans la pénombre. Je m'assieds à la dernière minute, juste avant le début de la projection. Le temps est suspendu et j'ai le sentiment que tout est possible.
Pourquoi avez-vous choisi d'adapter ces nouvelles d'Alice Munro ?
Alice Munro évoque avec beaucoup de justesse et de finesse les relations familiales et particulièrement les liens qui unissent les femmes entre elles. Elle écrit : "Les femmes interprètent la vie à travers les mots qu'elles prononcent alors que les hommes se posent moins de questions, ils sont davantage dans l'action", c'est si vrai. Et puis, ce qui me plaît beaucoup aussi dans ses nouvelles, c'est qu'à la fin on en sait moins sur les personnages qu'au début. Le mystère reste entier.
Qu'il s'agisse de La loi du désir, La mauvaise éducation... et, ici Julieta, les personnages écrivent. Pourquoi ?
C'est précisément ce qui m'intéresse. Pourquoi un personnage ressent-il le besoin de s'asseoir à une table, de prendre un bloc de papier et de commencer à écrire ? Quelles sont les circonstances qui l'ont amené à formuler de manière concrète ses pensées ? La culpabilité ? L'envie de réconciliation ? Voilà ce que je vais raconter. Pour moi, les mots écrits ont autant de valeur que les dialogues.
On connaît le bleu Klein. Dans votre palette, vous usez du "rouge Almodovar". Quelle est son origine ?
Dans la culture espagnole, le rouge représente le feu, le sang, la passion, la vie. J'ai un esprit baroque, cette couleur illustre divinement bien la vitalité de mes personnages. Sur le plan plastique, le rouge est très difficile à mélanger avec les autres couleurs. Je n'en abuse pas et je ne le traite jamais de façon anodine. En 1988, alors que je tournais Femmes au bord de la crise de nerfs, j'ai demandé à ma mère de jouer. Et je l'ai entendue parler avec la costumière. Elle refusait de porter du noir à l'écran parce que, disait-elle, elle en avait porté toute sa vie, à cause de nombreux deuils qu'elle avait vécus. L'apprendre ainsi, de manière indirecte, m'a bouleversé. Si j'utilise des couleurs éclatantes, c'est sans doute une réponse à une coutume que ma mère a respectéd à contrecoeur et dans la souffrance.
Sur le tournage
Dans Julieta, on reconnaît un autoportrait de Lucian Freud, une toile de Richard Serra, une sculpture de Miquel Navarro. Quelle est la fonction de l'art dans vos films ?
Ces oeuvres d'art ont une importance narrative, comme si elles faisaient partie des dialogues. Ce ne sont jamais des objets purement décoratifs. Ainsi la petite sculpture de Miquel Navaro qui représente un homme assis symbolise l'amant d'Ava, qui va devenir celui de Julieta. Quand elle la lui offre, c'est comme si elle lui offrait son homme en héritage.
Vous avez pris deux actrices pour le rôle de Julieta. Pourquoi ?
C'est une manière de montrer le temps qui passe... Dans une des scènes les plus émouvantes du film pour moi, la fille essuie sa mère... Elle prend la vie de sa mère en main. Les rôles s'inversent. Vulnérable, affaiblie, Julieta n'arrive pas à tenir debout toute seule. Elle n'est littéralement plus la même.
Emma Suarez et Adriana Ugarte sont des nouvelles venues dans la famille Almodovar. Pourquoi les avez-vous choisies ?
Après avoir terminé d'écrire le scénario, je ne voyais pas mes actrices habituelles dans la peau des personnages. J'avais envie de nouveaux visages pour donner un ton différent à mon film.
Rossy de Palma est toujours là...
Si ! Je lui ai accordé un rôle à contre-emploi. Loin de l'image que l'on peut avoir d'elle. J'avoue que c'était stimulant de lui donner un autre physique, de l'habiller de façon différente. Je savais qu'elle relèverait le défi avec succès.
* Réponse : NON...