Musée d’Orsay – suite
L’origine du Monde , Gustave Courbet
Après le Douanier Rousseau, il ne me restait que quatre heures avant la fermeture du Musée d’Orsay. Il fallait donc faire un choix, pas si cornélien que ça, d’ailleurs. Je n’avais jamais vu L’Origine du Monde, ce fut chose faite. Ensuite, un petit (manière de dire) Delacroix pour la route et me voilà montée à l’étage médian, pour les sculptures de Rodin, surtout Balzac qui m’impressionne par la différence avec la finition généralement parfaite de ses œuvres. Balzac est en robe de chambre, mais une robe de chambre simplifiée à l’extrême, son énorme tête rejetée en arrière. Le corps semble difforme. Rodin avait voulu cet aspect mal fini, comme un oiseau au long cours que nous connaissons bien en Martinique. De sa tête l’écrivain s’élance… Rodin n’avait pas été compris. Je découvre et aime Pensée, dont le modèle est Camille Claudel, sa tête qui sort si parfaitement gracieuse du bloc brut de marbre, raffinée et éthérée comme les pensées… et de Camille Claudel justement cet ensemble merveilleux et terrible sur lequel elle (cette orgueilleuse dira son frère) implore l’amour d’un Rodin qui l’avait déjà quittée…
Auguste Rodin ,
La Pensée, 1893-1895, marbre
Camille Claudel,
L’âge mur. 1902, bronze
C’est l’étage des salles Gauguin et Van Gogh. J’aime tout, de tous les deux, mais j’accorde une attention particulière aux peintures sur verre de Gauguin qui n’avaient jamais été exposées auparavant, et aussi aux restes de sa Maison du jouir. Van Gogh c’est toujours un choc, sa chambre mauve, son autoportrait, le portrait du docteur Gaschet, encore et toujours les paysages.
Paul Gauguin , Tahitienne dans un paysage ; 1893 ; Peinture sur verre – photo Musée d’Orsay
Vincent van Gogh La chambre de Van Gogh à Arles ,
1889 ,Huile sur toile
La galerie des impressionnistes est une pure merveille. Orsay fait depuis son inauguration la part belle aux impressionnistes, qui occupent dès le départ l’étage supérieur. J’ai pu y voir pour la première fois plusieurs tableaux que je ne connaissais qu’en photo. Il faudra revenir (maintes fois…) . J’apprécie les water blocks, les bancs contemporains de Tokujin Yoshioka, ils sont beaux mais surtout bienvenus. Du Degas en veux-tu en voilà dans des vitrines délicates où l’on découvre des cires finement ciselées. Sur les murs, ils y sont tous : précurseurs de l’impressionnisme, ou de la peinture moderne, impressionnistes et successeurs. Millet, Renoir, Pissarro, Degas, Caillebotte, Manet, Monet, Sisley, Bazille, Toulouse-Lautrec, Cézanne,… et j’en oublie forcément. Un cours d’histoire de l’art, surtout française, mais avec quelques touches internationales en accéléré. Rien que le lieu est magnifique, depuis le salon de l’horloge en amont de la galerie avec vue sur le pavillon de Flore, puis toutes les ouvertures sur les toits parisiens, en plus des structures métalliques apparentes du plafond qui nous renvoyaient à l’ancienne gare.
Claude Monet,
Fragment du Déjeuner sur l’herbe, 1865 Paris
Gustave Caillebotte Les raboteurs de parquet 1875
Huile sur toile – photo Musée d’Orsay
Edouard Manet Olympia
1863, huile sur toile
– photo Musée d’Orsay
Et puis au bout de la galerie, la toute 1ère exposition monographique dédiée à Charles Gleyre (1806-1874) en France. Le romantique repenti. Je le découvre. J’avais envie justement de me plonger un peu dans l’académisme. J’aurais eu plus de temps et j’avais songé à jeter un coup d’œil aux peintres pompiers … mais Gleyre est une véritable surprise. D’abord sa vie, une vie d’aventures. Né dans le canton de Vaud, Gleyre étudie la peinture à Lyon, à Paris puis à Rome. D’origine modeste, il fréquente un compatriote, Léopold Robert, qui y est établi. Gleyre peindra pendant ce séjour sa première grande toile et sans doute celle qui m’a le plus impressionnée. Une toile qui sera condamnée au secret de l’atelier car jugée trop osée pour l’époque. Osée et cruelle, elle l’est. Une toile qui traite d’un thème cher à Léopold Robert : les brigands italiens, mais Gleyre, innove en figurant un viol. Il innove aussi dans la composition. Dans le tableau au premier plan, la femme qu’on devine jeune se cache le visage, les jambes dénudées, la jupe retroussée, les brigands semblent discuter lequel aura la primeur de la violenter, mais surtout à l’arrière et en pleine lumière, à tel point que le sujet du tableau n’est pas le viol mais le regard de celui-ci, l’accompagnant de la dame, amarré à un arbre et qui se tord pour regarder la scène. Le peintre fait tomber la lumière sur son visage, son regard est si aigu qu’il nous aspire un peu, son corps tordu, expose des muscles, un faciès. La scène est crue et vraie. Les mauvaises langues disent que le visage de l’accompagnant est celui de Léopold Robert. La jeune fille serait alors sa fille dont Gleyre aurait été amoureux. Les très mauvaises langues disent que Gleyre était peut être amoureux de Léopold, et il est vrai que la torsion du corps permet de faire saillir les muscles de façon très ambiguë.
Charles Gleyre,
Les Brigands romains, 1831,
huile sur toile
En tout cas, Gleyre a peint des corps sublimes d’hommes autant que de femmes, les femmes m’ayant impressionnée car je les trouve si modernes, jambes longilignes et musclées, corps fins et élancés.
Charles Gleyre, Intérieur du Temple d’Amon, Carnac, 1835
A Rome, Gleyre rencontra John Lowell Jr, richissime américain qui lui proposa de l’accompagner en Orient, le défrayant en échange de dessins. Le voyage dura trois ans. C’était un voyage dangereux qui finira par coûter la vie à Lowell en Egypte, alors que Gleyre, malade lui-même, l’avait déjà abandonné à Karthum. Les dessins produits durant le périple sont magnifiques. Absolument magnifiques. Il capte aussi bien la magnificence des montagnes, que le chaos des temples détruits, la beauté absolue des pyramides, les regards et postures si pleines de retenue des personnes qu’il croise. Malade des yeux, Gleyre passe un temps à Paris, où il semble malade aussi de son voyage. Ses scènes orientalistes n’obtiennent pas de succès, elles restent gauches, on dirait qu’il pastiche ses propres dessins. Il se lance dans la peinture de décor, mais subit une humiliation de la part d’Ingres, qui critique si férocement un de ses décors que le commanditaire le fait occulter.
Charles Gleyre,
Le soir, 1843
Humilié, le peintre répondra par son succès au salon deux ans plus tard avec une scène finalement nourrie par ses voyages. Non pas par les dessins si précis qu’il avait faits mais par un songe qu’il raconta dans son carnet de voyage. Une barque, un groupe d’anges à son bord, une triple harmonie de formes, couleurs et sons. Il s’agit de Le Soir, rebaptisé par la suite Les illusions perdues qui a triomphé au salon de 1843 et qui lui a rendu renommée et faveur du public. C’est la seule de ses œuvres exposée en France, au Louvre, jusqu’à maintenant. Il peut alors devenir peintre d’histoire. Les dessins faits en Orient affleureront parfois dans ses paysages, comme dans Le Déluge. Il continuera aussi à faire des découvertes et expérimentations, par exemple, la peinture panoramique et le mélange pastel/peinture à l’huile qu’il est certainement un des premiers à utiliser en France. Mais aussi une certaine place accordée aux femmes. Son dernier tableau, un retour du fils prodigue, innove en plaçant au centre de la composition une mère pourtant absente des écritures. Mais la partie qui m’a plu le plus dans l’exposition, c’est celle où l’on réunit des dessins, esquisses, et ébauches avec lesquelles il préparait ses toiles. C’est un extraordinaire dessinateur. Il avait d’ailleurs repris après 1843 l’atelier d’enseignement de Delaroche où il enseignera le dessin à Renoir, Bazille, Sisley et même Monet qui ne restera pas, ayant trouvé Gleyre trop ennuyeux.
Charles Gleyre , dessin préparatoire Hercule aux pieds d’Omphale