" L'Europe, c'est ce qui nous permet, à nous Français, d'exister dans le monde. " (Paris, le 12 juillet 2016).
Le Ministre de l'Économie Emmanuel Macron a tenu son premier grand meeting politique à la Mutualité de Paris, ce mardi 12 juillet 2016 dans la soirée, à quelques heures de l'intervention télévisée (attendue) du Président de la République François Hollande à l'occasion de la fête nationale.
Un ovni dans la magasin de porcelaine
Cet événement plus médiatique que politique a émoustillé l'intérêt des médias depuis plusieurs jours, au point que quelques heures auparavant, le Premier Ministre Manuel Valls avait lâché, de dépit : " Il est temps que tout cela s'arrête ! ".
On peut comprendre son point de vue, car la démarche d'Emmanuel Macron a tout pour rendre jaloux les hommes politiques chevronnés qui, depuis plusieurs décennies, construisent progressivement leur petit fonds de commerce.
Et voici qu'un nouveau venu de la politique arrive à se hisser dans les présidentiables sérieux en quelques mois seulement. Pire, dans le cas de Manuel Valls, Emmanuel Macron cible le même "marché électoral", celui de la gauche moderniste, libérale, européenne, pragmatique.
De fait, le meeting de la Mutualité a été un grand succès personnel : quarante-cinq parlementaires (socialistes ou assimilés) étaient présents parmi les... trois à quatre mille participants (on n'a pas les statistiques de la police mais il était attendu plus de deux mille personnes). Même un peu plus, puisque devant la salle de congrès, il y avait un comité d'accueil, toutefois pas franchement amical...
Autre succès, la présence de certaines personnalités : au-delà du sénateur-maire de Lyon, Gérard Collomb, connu pour son macronisme de la première heure, étaient notamment présents le maire de Strasbourg Roland Ries, mais aussi Sylvie Rocard, la veuve de Michel Rocard, les écrivains Erik Orsenna et Alexandre Jardin, et aussi Renaud Dutreuil, ancien ministre UMP reconverti dans le management international...
Le macro-populisme
Emmanuel Macron surfe sur une vague favorable, à l'évidence, et ses talents d'homme de communication (il a fait du théâtre) ne sont plus à prouver. Délaissant depuis longtemps la cravate, comme Bruno Le Maire, faisant jeune parce qu'il est (encore) jeune, il a pu ainsi prononcer un discours d'une heure vingt grâce à quatre prompteurs.
Parler sur une estrade en marchant, avec un micro attaché à sa veste, loin des pupitres classiques, lui a aussi donné une allure particulière, qu'avait adoptée, en son temps, Jean-Marie Le Pen dans ses meetings, une sorte de victimisation, moi, fondu dans le peuple, contre le système, contre l'etablishment : " Cette histoire, elle dérange (...), elle inquiète le système. ".
Le politologue bordelais Jean Petaux a expliqué la particularité de ce discours anti-système, le 13 juillet 2016 sur Atlantico : "[Emmanuel Macron] s'inscrit dans une vague populiste non pas "anti" mais "pro". Son discours n'est justement pas dans le "ni-ni". Tout le contraire, il se veut au-delà. Rassembleur certes, mais en fait totalement dans "l'air du temps". ".
Le chroniqueur Olivier Picard a évoqué aussi ce macro-populisme dans "L'Obs" le 13 juillet 2016, en ces termes : " Outre le populisme facile, toujours agréable à rêver, sur lequel flotte ce joli bateau en papier, on flirte ici avec la naïveté dans une époque qui ne l'est franchement pas. ". Une naïveté dont les pieuses incantations pourraient d'ailleurs faire penser parfois à " Nuit Debout".
Réunir autant de personnes dans un climat général de si grand scepticisme politique est une belle performance et ce qu'il dit est assez intéressant puisqu'il fait de l'anti-systémisme positif, en quelques sortes. En oubliant, bien sûr, qu'il fait partie complètement du système et même de la majorité et du gouvernement : " Ce monde est ancien, il est usé, il est fatigué, il faut en changer ! ".
Olivier Picard l'a exprimé ainsi : " L'espoir Macron répond à l'attente silencieuse d'une France qui rêve d'un héros venu d'ailleurs pour se projeter dans l'inconnu compliqué de l'après-2017. " ("L'Obs", le 13 juillet 2016).
Pas de présent de l'indicatif et pourtant ministre en exercice
Le Secrétaire d'État chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Thierry Mandon, toujours assez posé et pertinent dans son expression, voulait rester neutre et prudent sur LCP le 13 juillet 2016, mais n'a pas pu s'empêcher de regretter que pendant cette heure vingt de discours, il n'y ait eu aucun mot d'explication de la politique gouvernementale, et en particulier, de la politique économique dont il est pourtant le responsable.
Pendant que le Ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas regrettaient qu'Emmanuel Macron parlât au futur et pas au présent, l'actuel commissaire européen Pierre Moscovici rappelait que le gouvernement était une armée et que dans une armée, il fallait de la discipline !
Et pourtant, loin du futur, Emmanuel Macron parlait plutôt au passé quand il a voulu enterrer François Hollande : " Le Président de la République m'a fait confiance et je ne l'en remercierai jamais assez ! ".
Contre le système et pour l'Europe
Par ailleurs, l'ancien assistant de Paul Ricœur sera peut-être celui qui redonnera goût au projet européen.
Et Jean Petaux de considérer que ce discours pro-européen du ministre est porteur : " C'est justement parce que la mondialisation (...) est complexe, souvent incompréhensible, fondamentalement déstabilisatrice et destructrice de repères, qu'Emmanuel Macron a compris qu'il fallait jouer sur la nécessaire inscription dans un ensemble européen taillé à la hauteur de l'enjeu de la mondialisation. Il faut avouer que c'est un peu plus intelligent que du Mélenchon sans parler du Marine Le Pen. " (Atlantico, le 13 juillet 2016).
C'est sûr, sa démarche tient en fait à la volonté de faire la politique autrement, et cela est positif, au moins, cela réveille les autres et les oblige à changer leur pratique de la politique. Mais il est très difficile de comprendre où il veut en venir.
Que veut-il vraiment ?
La dernière phrase est donc très ambiguë, une ambiguïté certes voulue mais qui donne le sentiment que Macron est un bon contenant, mais sans contenu, sans objectif. Une sorte de beau produit, de beau prototype, sans "mise sur le marché".
Car lorsque, avant de quitter la salle, il a dit : " Ce mouvement, rien ne peut plus l'arrêter. Ce mouvement, parce que c'est le mouvement de l'espoir et que notre pays en a besoin, nous le porterons, nous le porterons ensemble jusqu'en 2017 et jusqu'à la victoire ! Vive la République, vive la France ! ", tout le monde s'est demandé à quelle victoire il a fait allusion, la victoire de qui ? de quoi ? la sienne ?
Et beaucoup ont regretté l'absence programmée de déclaration de candidature, en scandant des "Macron Président !".
Peut-il être candidat en 2017 ?
C'est son véritable point faible. Il a indéniablement les capacités de communication, de dialogue avec le peuple (mieux que les autres), mais il pourrait sombrer dans du jean-jacques-servan-schreibérisme à la sauce numérique... s'il veut court-circuiter les invariants de la vie politique française.
Et le premier invariant, c'est de devoir bénéficier d'une structure politique, c'est-à-dire d'un appareil politique avec un réseau d'élus locaux dans chaque commune, mais aussi avec un financement important. Ce n'est pas réaliste d'imaginer financer une campagne présidentielle sur le seul bon vouloir des dons de ses partisans.
C'est vrai que son mouvement "En Marche" est une belle réussite, au moins sur Internet, et qu'Emmanuel Macron a pu découvrir la diversité des personnes qui étaient intéressées par son initiative, mais cela ne reste qu'un réseau de sympathisants, pas de "militants". Son staff paraît plus provenir d'une agence de publicité que d'un think-tank politique qui réfléchit depuis plusieurs années à un projet politique.
"En Marche" me fait penser aux réseaux REEL (Réalisme, Efficacité, Espérance, Liberté) qu'avait installés Raymond Barre en 1985 pour sa campagne présidentielle de 1988. Le résultat a été que les responsables de REEL se sont bataillés contre les responsables de l'UDF pour être, localement, responsables de sa campagne, et cela n'a pas aidé bien sûr le candidat à convaincre les électeurs. On a retrouvé le même phénomène avec "Désirs d'avenir" de Ségolène Royal en concurrence avec l'appareil du PS pendant la campagne présidentielle de 2007.
Même son positionnement (ni droite ni gauche) reste flou puisque, dans le même temps, il s'est réaffirmé de gauche : " Je suis de gauche. C'est mon histoire, c'est ma famille. ". En disant cela, il décourage les sympathisants qui ne seraient pas de gauche d'aller voter pour lui, le cas échéant. Puis, il a affirmé quand même : " Nous devons rassembler des gens de gauche, pleinement de gauche, (...) des gens de droite, pleinement de droite, (...) des gens du centre, pleinement du centre. ".
Ce positionnement est néanmoins très audacieux et très intéressant (ce fut le même que François Bayrou en 2007 et 2012), car il est avant tout ... gaullien dans les faits : la rencontre d'un homme avec son peuple, sans intermédiaires.
Un pied dedans, un pied dehors
Emmanuel Macron n'aurait aucun intérêt de démissionner du gouvernement. Cette éventualité avait été lancée la semaine précédente pour faire un peu monter la sauce médiatique au sujet de son meeting. Sans Bercy, Emmanuel Macron perdrait tout. Son emploi alimentaire (mais personne ne penserait à le plaindre pour cela), mais surtout ses réseaux (un Ministre de l'Économie fraie tant dans les milieux économiques que dans les réseaux internationaux) et sa visibilité médiatique. En outre, l'absence totale de mandat, même un "petit" localement (comme Dominique de Villepin) risquerait, en sortant du gouvernement, de le replonger dans l'obscurité politique.
Mais quelle est donc, en revanche, l'intérêt de François Hollande de le garder au gouvernement ? Je doute que les initiatives d'Emmanuel Macron soient de la provocation. C'est l'intérêt bien compris de François Hollande de ne pas voir en Manuel Valls le seul remplaçant possible, tout désigné, évident, en cas de non candidature à l'élection présidentielle. Cela lui permet de garder un certain ascendant qui est assez classique, puisque la division est la manière de régner la plus efficace pour ...le roi (pas pour le royaume).
Dans cet esprit, Emmanuel Macron n'a pas dû décevoir l'Élysée quand il a ironisé sur l'héritage rocardien. Emmanuel Macron lui-même pouvait se permettre d'être modeste (il a affirmé qu'il y avait des différences entre Michel Rocard et lui) car il parlait devant ...la veuve de l'ancien Premier Ministre, tandis que ses propos visaient forcément Matignon : " On ne récupère pas Michel Rocard. Bon courage à ceux qui voudraient le récupérer ! ".
La réponse de Manuel Valls ne s'est pas fait attendre. Le 13 juillet 2016, le Premier Ministre a considéré que l'énarque venait de " céder aux sirènes du populisme ".
Où sont les propositions concrètes ?
Le gros reproche qui lui est déjà fait, c'est qu'Emmanuel Macron n'a aucun projet politique clair. Des intuitions et du marketing politique, oui, mais rien de concret. Il a multiplié les poncifs classiques sur les nombreux sujets qu'il a abordés, comme l'écologie (il a fait applaudir Nicolas Hulot), l'égalité, les libertés, la laïcité, etc. Il a promis un "plan de transformation" avant 2017.
Tenir le chandelier...
Même aux États-Unis, il a fallu quatre ans et une lutte politique frontale acharnée contre une favorite dans les sondages pour conduire Barack Obama, inconnu du grand public en début 2004, à se faire élire à la tête de l'État. En France, en général, il faudrait plutôt trente ans avant de devenir un présidentiable crédible. Il paraît donc très improbable qu'Emmanuel Macron ait quelques chances à l'élection présidentielle de 2017.
En revanche, il paraît probable que toute cette agitation, qui ne semble pas n'avoir qu'un but narcissique (dans ce domaine, Emmanuel Macron est largement dépassé par la plupart de ses collègues politiques), aurait un objectif précis : rabattre l'électeur décontenancé de gauche ...vers le vote François Hollande. La "victoire", ce serait alors celle de ...François Hollande ? Pas sûr que dans ce cas, la baudruche resterait gonflée encore longtemps dans les sondages.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 juillet 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande.
Michel Rocard.
Populismes.
Mystère ou Mirage Macron ?
Discours d'Emmanuel Macron le 8 mai 2016 à Orléans (à télécharger).
La vivante énigme d'Emmanuel Macron.
Le saut de l'ange.
La Charte de En Marche (à télécharger).
Emmanuel Macron à "Des paroles et des actes" (12 mars 2015).
La loi Macron.
Manuel Valls.
Alain Juppé.
François Bayrou.
Le Centre aujourd'hui.
Casser le clivage gauche/droite.
Paul Ricœur.
La France est-elle un pays libéral ?
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160712-macron-E.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mystere-ou-mirage-macron-182841
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/07/20/34064442.html