Cette deuxième partie de diptyque poursuit l’enquête de Brodeck dans ce petit village recouvert par la neige, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Sous la menace des autres villageois, le malheureux fonctionnaire est en effet contraint de rédiger un rapport expliquant l’exécution collective d’un étranger venu s’installer dans ce bled perdu. C’est dans un climat de peur et de suspicion qu’il mène donc un semblant d’enquête sur l’exécution de celui qu’ils surnommaient « der Anderer », question de bien souligner sa différence dès le départ. En cherchant à comprendre le pourquoi de ce crime collectif, Brodeck va également raviver de douloureux souvenirs personnels, de son village d’enfance en proie aux flammes à sa récente déportation dans un camp de l’horreur.
Du jour où les soldats ennemis ont pris possession de ce petit village isolé qui ne sera plus jamais le même par la suite, à la venue de cet Anderer beaucoup trop différent, en passant par son retour des camps et le mutisme de sa femme, le récit de Brodeck se construit dans la peur. Ce huis clos au sein d’une petite communauté refermée sur elle-même n’a donc rien de réjouissant. La peur de l’autre contribue à installer une ambiance xénophobe nauséabonde, où lâcheté, collaboration, peur, pression et déshumanisation deviennent progressivement rois. Le portrait dressé par l’auteur est aussi sombre qu’écœurant… et se veut malheureusement toujours d’actualité… l’autre et la différence n’étant souvent pas les bienvenus…
La plus grosse claque de cet ouvrage édité dans un format à l’italienne vient une nouvelle fois du graphisme noir et blanc de Manu Larcenet. Proposant un dessin encore plus réaliste que dans « Blast« , qui s’installe immédiatement au diapason d’une atmosphère sombre et pesante, l’auteur livre un graphisme d’une force évocatrice époustouflante. Les nombreuses scènes muettes démontrent non seulement sa maîtrise incroyable des non-dits et des silences, mais parviennent surtout à saisir l’indicible. Que ce soit au niveau des visages marqués par la souffrance et la haine ou au niveau de cette nature hostile, la noirceur du style graphique de l’auteur fait une nouvelle fois mouche. Si les planches de Larcenet allient force et poésie, c’est surtout la manière dont il croque « der Anderer » qui m’a touché. Alors que les autres personnages semblent dissimuler de lourds secrets, l’étranger dégage quelque chose d’attachant, donnant l’impression qu’il est le seul à pouvoir compter sur la sympathie de Larcenet… un artiste également différent des autres, mais tellement grand.
Respect !
Un gros coup de cœur, que vous retrouverez évidemment au sommet de mon Top BD de l’année !