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Dans Diablo errent les Tristram en peine

Publié le 18 juin 2008 par Gameup

J’ai longtemps été certain que l’influence qu’a pu avoir la musique dans les jeux vidéo sur ma sensibilité et mes goûts actuels était négligeable. J’avais tort, et je m’en suis rendu compte il y a peu. Après m’être penché sur le problème, j’ai pu établir sans peine une sorte de panthéon personnel -que l’on pourrait difficilement discuter sans s’envoyer des beignes d’amour comme dans toute critique d’art- et ce sans que je m’en aperçoive. Comment ça ? Si je peux être un peu plus clair ?

A l’heure actuelle, on revient volontiers sur ces gloires du passé, ces pierres angulaires du jeu vidéo pour en distiller le thème devenu immortel. Evidemment, à jeu historique, musique archaïque, j’en veux pour preuves cette brassée de musiques connues, mélodiquement pauvres mais resucées d’un jeu à l’autre pour marquer définitivement les esprits. Il n’y a que moi qui ne peux pas supporter le thème de Mario ou celui de Zelda (exemple typé Nintendo de la mélodie devenue identité, sans laquelle le nouveau Super Mario Bros New Land of the Dumb Princess perd beaucoup en saveur) ? Mais il n’est pas nécessaire d’extraire une mélodie en particulier pour créditer le jeu d’un effort de recherche musical. Ceux ne jurant que sur l’ambiance globale d’un titre -des notes très éparses et une mélodie très chiche en l’occurrence- ont déjà davantage saisi le travail des responsables de la division « zikmu ».

Dans mon cas, j’ai mis des années (au bas mot, huit), à reconnaître ma pierre angulaire, mon étalon-or. Il aura fallu que je jette une oreille distraite à un fond musical dans un appart’ pour qu’elle me soit révélée. J’ai,

naturellement, nommé le jeu illico presto. Le thème dont je parle sans y apposer un titre -ce qui, j’en suis sûr, doit commencer à en asticoter un bon nombre, là, c’est pourquoi je vais continuer à faire un aparté super long sans virgules et bien sûr sans points pour qu’on lise tout d’un trait même si ça n’a aucune importance c’est juste pour faire genre j’ai tout lu- (autorisation de respirer), c’est celui de Tristram dans Diablo.

Dans le voisinage proche de lieux peu recommandables, ce havre de paix abrite quelques personnages plein de vie (ironie) et des rues pavées d’or (pour les connaisseurs). Mais un climat pesant, supportant les rumeurs des sévices commis non loin d’ici, rend le joueur plein de doute et le concentre sur le malaise ambiant : l’écran est sombre, le village toujours plongé dans le crépuscule, et les PNJ bougent lentement, comme des zombies. C’est cette atmosphère qui est dépeinte dans le thème de Tristram.
Acoustique et quasi-intégralement interprété à la guitare, le morceau varie en rythmes et mélange sans vergogne diverses impressions. Toutes ne sont en réalité pas audibles dans Diablo. Mais on y retrouve en majorité un jeu folk, ce touché de guitare évoquant sans peine des temps révolus, des croyances tombées dans l’oubli ainsi que des célébrations populaires sur la place principale. Pincé lent, puis gratté plus vigoureux, le thème ne repose pas sur une pauvre mélodie jouée ad nauseam mais sur plusieurs chapitres unis par un même pattern instrumental. Il s’offre même quelques détours un peu plus lyriques menés par un instrument à vent, et le tout garde une atmosphère légèrement sombre et porteuse de mauvais présages.

Cela dit, ce thème a pris un léger coup de vieux. Le son n’est évidemment pas à la hauteur, et les acoustiques sonnent molles. De plus, l’abus de reverb’ n’est pas forcément le bienvenu. Mais le pire restera sans doute les hululements de chouette ou je-ne-sais-ce-qu’on-a-voulu-évoquer, fantastique cliché pour aposer le terme « dark » à toute musique actuelle qui s’en prétend.
Tout bien réféchi, il y a là une bonne partie des jeux de guitare acoustique que j’écoute désormais. Mais sous une forme un peu plus « professionnelle ». On peut facilement retrouver ces motifs musicaux chez quelques grands noms de la folk, ou plutôt néo-folk scandinave (à ne pas confondre avec tout le genre « dark-folk » qui, étonnamment, n’a absolument rien à voir avec ce que je raconte) ainsi que dans la majeure partie des formations évoluant dans un registre mélancolique. Je n’évoquerai que les finlandais de Tenhi et Nest (qui ne sont donc pas scandinaves) dans ce sous-genre et qui possèdent quelques atomes crochus avec « Tristram ».

A présent, apportons une information déterminante. Qui a composé ce tube hurlé en concert par des cohortes de fans vierges ?

« -Hé bien, croyez-moi, croyez-moi pas, c’est un scandinave voilà tout. Il se nomme Matt Uelmen.


-Euh ouais, mais en fait Matt Uelmen il n’est pas scandinave.
-Ah…ben il a renié sa patrie ou quelque chose dans le genre alors ?
-Non, non, c’est un américain tout simplement. Et qui a fait partie de l’équipe Blizzard.
-Ah…bon…alors c’est une bête consonance, une coïncidence un peu heureuse ?
-Exact…rien de plus…
-Bon…bon ben j’m’en vais hein, vous savez où me trouver…
-Voilà c’est bien. »

Un ancien de Blizzard, vraiment ? Pour de vrai de vrai de la vérité de pas de mensonges ? En réalité oui. Son travail de compositeur l’a conduit à réaliser quelques thèmes sur certains gros titres du studio américain (attention, super pléonasme : oui je sais Blizzard n’a fait que de gros titres). On le voit crédité pour le fameux thème des Orcs de Warcraft II (oui oui, cui-là qui fait « Tu-tuli-litu-tilululu TUTITUTITUTITU » (je retranscris bien le MIDI ?)), celui du Camp des Rogues qui sert de zone de départ dans Diablo II. Enfin, il a composé de nombreuses musiques d’ambiance dans les régions de World of Warcraft : The Burning Crusade. Il est à l’origine des thèmes du campement Skettis de la Forêt de Terrokar, du fond musical de la savane du Nagrand et des terres arides de la Péninsule des Flammes Infernales, pour n’en citer qu’une petite partie. Il est vrai que le rendu musical global du premier add-on de WoW est beaucoup plus satisfaisant que le stand-alone, pour lequel Matou n’a pas contribué. Il a, depuis cette dernière apparition dans un blockbuster made in Blizzard, largué les amarre.

Pour autant, ses réalisations n’ont jamais eu autant d’impact sur moi qu’à travers celle du village de Diablo. Et ce n’est certainement pas une question de temps passé qui aurait éternellement greffé une mélodie au point de finir par me la faire apprécier. J’ai perdu cent fois plus de temps dans cette foutue zone surélevée de Skettis, à me faire désarçonner par des putains de piafs vénères, et je ne garde pas du tout de souvenir impérissable de l’environnement musical qui l’accompagnait.

Ce morceau ne m’a pas révélé l’excellence de Diablo, que j’ai apprécié sans plus d’enthousiasme, ni ne m’a fait adhérer à un hypothétique univers sombre et/ou malsain (le scénario est d’une pauvreté affligeante). Il est un élément à part entière du jeu, qui existe sans Diablo, qui sort de son cadre pour marquer l’auditeur sensible à ce genre de musique. Il s’écoute hors contexte, s’apprécie sans nostalgie des « bons vieux machins que Blizzard savait faire », et a, au final, agi sur moi comme étrier vers une scène musicale extrêmement riche, surtout en émotions.

Pour les intéressés, ce thème s’écoute ici: Matt Uelmen - Tristram (Diablo theme)


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