Le mardi 12 juillet est ressorti en salle, en version restaurée, un classique éternel de la comédie française auquel participèrent deux monstres sacrés : Louis de Funès et Bourvil. La grande vadrouille sorti vingt et un an après la Libération nous rappelle comment la collaboration a longtemps été éludé du discours français après-guerre, fantasmant un univers patriotique, où malgré les différences de classes, n’importe quel français eût été, pour peu que la situation se présente, naturellement résistant. Il n’en reste pas moins un franc succès qui, la salle en témoignerait, réussit encore à faire rire les plus petits comme les plus grands, fédérateur comme la légende gaullienne.
En 1942, un avion de reconnaissance anglais est abattu au-dessus de Paris. Big Moustache (Terry-Thomas), Peter Cunningham (Claudio Brook) et Alan Mac Intosh (Mike Marshall), trois aviateurs britanniques, se retrouvent à la merci de la Wehrmacht. Un peu malgré eux, Augustin Bouvet (Bourvil), peintre en bâtiment, et Stanislas Lefort (Louis de Funès), chef d’orchestre à l’Opéra de Paris vont les aider à gagner la zone libre.
Augustin (Bourvil), Stanilas (Louis de Funès) et Big Moustache (Terry-Thomas)Après le succès du Corniaud, Gérard Oury souhaite débuter une nouvelle collaboration avec le tandem de choc Bourvil/De Funès. Avec l’aide sa fille, Danièle Thompson, il écrit un scénario original, refusant de donner une suite à son précédent film. L’idée séduisante sur le papier est également une belle réussite en salle. Pendant longtemps, La grande vadrouille resta l’un des films les plus rentables produit en France avant d’être détrôné par Bienvenue chez les ch’tis. Une destitution dont on peut d’ailleurs relativisé la portée si on la rapporte aux nombres d’habitants. Fonctionnant essentiellement sur le duo comique excellant dans le geste, le long-métrage ne recule à l’époque devant aucun investissement. Alors que l’essentiel des intérieurs sont filmés en studios, l’Opéra de Paris et les Hospices de Beaune sont gracieusement prêtés par l’État avec la bénédiction d’André Malraux, alors ministre de la culture. Tous les plans en extérieurs sont capturés en situation réelle. Pour la comédie française, une si grosse production est une première. Danièle Thompson se rappelle la difficulté de tourner avec les deux compères qui, bien que s’appréciant beaucoup, ne travaillait pas de la même manière, Bourvil étant immédiatement dans son personnage et s’épuisant rapidement tandis que Louis de Funès, perfectionniste améliorer son jeu, prise après prise. Lorsque nous avons revu le film en salle, celle-ci était parsemées de spectateur de tout âge et les plus âgés avait emmené leurs enfants et petit enfants. Ce fut une agréable surprise d’entendre les rires cristallins des minots nous prouvait à quel point des œuvres populaires habités par le génie de comique hors-pairs peuvent traverser les époques.
Augustin (Bourvil), Stanilas (Louis de Funès) et Big Moustache (Terry-Thomas)Danièle Thompson, interrogé en prémisse par Philippe Rouyer, déclare qu’il fut inenvisageable pour son père et elle, de parler de la collaboration. Il faudra attendre Papy fait de la résistance (1983) pour que la comédie française s’empare du sujet à bras le corps et avec le succès qu’on lui connaît. Entre temps, on aura surtout rit du débarquement, de la guerre, etc… mais rarement de Vichy. L’équipe de La grande vadrouille voulait un film fédérateur se contentant de mettre en couleur une occupation que tout le monde aurait subi, avec sur le devant de la scène, deux personnages dans lesquels tout à chacun pourrait identifier le français lambda aux prises avec des événements qui le dépasse mais naturellement bon. Avouons, de ce point de vue, que cela fonctionne et que les deux personnages, en plus de nous faire nous esclaffer constamment, attirent beaucoup de sympathie. Ainsi, le modeste artisan et le riche chef d’orchestre font cause commune pour sauver les aviateurs et aussi, eux-même bien entendu. Leurs angoisses passagères donnent d’ailleurs des moments à la fois émouvant et très drôles. C’est que La grande vadrouille s’il verse dans la pitrerie est également emplis d’une tendresse feutrée que Bourvil, amoureux transi de la résistante Juliette (Marie Dubois), sait personnifier comme personne. Reste tout de même, et c’est une chose fort appréciable, qu’Oury a pris soin de souligner, même s’il en fait un ressort comique, la terrible séparation sociale qui perdure même face à l’adversité entre les deux compagnons de routes, le personnage de De Funès étant souvent exécrable.
Augustin (Bourvil) et Juliette (Marie Dubois)
Inoxydable, incroyablement moderne dans la narration, jamais vulgaire, regorgeant de scènes cultes, La grande vadrouille méritait bien une restauration. On ne se lassera jamais de voir et revoir cette truculente comédie, ce road-movie à la française. Comme l’a dit Coluche, il tend à prouver que les français ont choisi le coq comme emblème « c’est parce que c’est le seul oiseau qui arrive à chanter les pieds dans la merde ! » comme Bourvil sifflant sur ces chemins de traverses. Savoir rire des pires moments de notre histoire est une tentation que l’on ne devrait jamais abandonner.
Boeringer Rémy
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