La chronique de Guillaume Richez : The whites de Richard Price

Par Anneju71 @LesMotordus

« Je te demande quelque chose, rectifia Pavlicek, qui se pencha au-dessus de la table et lui toucha la main. Parce que de mon point de vue… Si Dieu ou qui que ce soit d’autre peut s’en prendre à un gosse comme John Junior, rien ne va plus, c’est qu’il n’y a plus personne pour tenir la boutique. Alors, si t’es comme moi, tu t’occupes de finir le boulot, tu fais ce qu’il faut pour équilibrer les comptes, pour que le moment venu, tu puisses peut-être, peut-être, ne pas te jeter dans la tombe de ton fils. » (p. 303)

Descendant d’immigrés juifs d’Europe de l’Est, né en 1949 dans une cité ouvrière juive du Bronx où il a passé toute son enfance, Richard Price publie à 24 ans son premier roman, Les Seigneurs (1974) immédiatement salué par William Burroughs et Hubert Selby. En 1998 paraît Ville noire, ville blanche, son chef-d’œuvre.

Écrivain et scénariste (La Couleur de l’argent de Martin Scorsese, avec Paul Newman et Tom Cruise, – un scénario pour lequel il obtient un Oscar en 1987 -, plusieurs épisodes de la célèbre série The Wire de David Simon inspirée de son roman Clockers publié en 1992 et adapté au cinéma par Spike Lee, Mélodie pour un meurtre avec Al Pacino, Mad Dog and Glory avec Robert de Niro et plus récemment Enfant 44 adapté d’après le roman de Tom Rob Smith), Richard Price est un romancier qui se fait rare. Suffisamment pour que l’annonce de la parution de son dernier roman en mars dernier (tous ses romans sont publiés en France aux Presses de la Cité et en poche chez 10-18) suscite l’événement.

Dans ce dernier opus, l’écrivain américain raconte l’histoire de Billy Graves, chef d’une équipe de nuit du NYPD qui sillonne les rues de New York, de Wall Street à Harlem. Comme ses anciens collègues, surnommés les Wild Geese, Graves est obsédé par son « white », un homme qui a commis un crime atroce et qui s’en est tiré sans condamnation vingt ans plus tôt. Lorsque les « whites » meurent les uns après les autres, Graves commence à soupçonner ses anciens collègues du NYPD d’être impliqués…

Ce n’est pas tellement la trame qui importe que les personnages, ces magnifiques portraits de flics ou d’ex-flics dont seul Richard Price a le secret, lui qui n’a pas son pareil pour croquer un personnage en seulement trois traits, sur le vif. Tout est là : «  Vêtu d’un trois-quarts en cuir cerise à col pelle à tarte et d’un jean pattes d’ef, il se tenait devant les ascenseurs jumeaux antédiluviens et braillait en direction d’un locataire à la peau couleur caramel, aux yeux vaguement asiatiques et à la moustache de lévrier, un sac marin en bandoulière comme un matelot en permission. «  (p. 58)

Travaillant le matin, entre cinq à six heures par jour, Richard Price explique dans un récent entretien qu’il a besoin d’entrer dans une sorte d’état de lévitation pour s’élever hors de lui-même afin d’accéder à la conscience du narrateur et des autres personnages. Nul ne saurait dire s’il s’agit là du « secret d’écriture » (sic) de Richard Price, mais une chose est sûre, c’est un portraitiste des plus talentueux. Son trait est toujours noir, parfois épais, mais non dénué d’humour : « Malgré son addiction à l’héroïne, Robles avait été un pro des arts martiaux au physique excessivement sculpté, et Billy avait dû admettre avec embarras que deux jours après sa mort, le mec semblait plus en forme que lui-même ne l’avait jamais été. »

D’un coup de fusain, il parvient à révéler les tréfonds de l’âme humaine : « Avant même que son frère et lui aient battu deux hommes à mort, à un âge où ils n’auraient dû penser qu’au sport, à la musique et au cul, Milton avait du mal à trouver « normal » le type dans le miroir. Il s’était toujours considéré comme une bête curieuse, dressée pour marcher debout et singer le langage humain. Mais après ce jour-là – un jour qu’elle avait provoqué -, jamais plus il n’avait pensé appartenait à une autre espèce que la sienne propre. »

Et sa réputation de génial dialoguiste n’est nullement usurpée :

« – Un cirrhotique de soixante-quinze ans m’a traité de connard.

– Personne d’autre ?

– Ne m’a traité de connard ?

– J’essaie de vous aider, là. »

À l’occasion du festival Quais du polar à Lyon, j’ai pu poser trois questions à Richard Price par le truchement d’Anna D’Antonio qui a eu la patience et la gentillesse de se prêter au jeu.

Je voulais savoir pour quelle raison Richard Price avait décidé de prendre un pseudonyme (celui d’Harry Brandt) lorsque le livre est sorti aux États-Unis. Il répond que c’est parce qu’il voulait écrire un livre de genre très différent de ce qu’il avait fait jusqu’alors et qu’il ne voulait donc pas être reconnu. Mais, « pas de chance », il a été presque tout de suite démasqué…

Ma deuxième question porte sur le point de départ de ce roman. Richard Price explique qu’il voulait écrire sur ces gangsters qui ne sont jamais arrêtés, qui passent toujours au travers des mailles du filet. Aux États-Unis on les surnomme les « Whites ».

Question presque rituelle chez moi, Anna demande à Richard Price s’il élabore un plan avant de commencer un livre. Ce à quoi il répond en disant qu’il essaye, mais qu’à chaque fois, au final, il n’arrive pas à s’y tenir.

The Whites de Richard Price, traduit de l’anglais (États-Unis), Presses de la Cité, mars 2016.