La moisson 2016 apporte pour l’instant – mais nous ne sommes qu’en juin – deux volumes nouveaux : les chroniques théâtrales publiées alors que Dumas, pas encore romancier, était l’un des auteur de théâtre les plus « avant-gardistes » de son temps, un fer de lance de la révolution romantique, et un bref roman, une « novela », datant de la fin de sa carrière (1866), et restée confinée dans les colonnes des journaux où elle avait paru, sous forme expurgée.
Les critiques dramatiques sont du meilleur Dumas. Certaines avaient d’ailleurs déjà été réunies, – parfois tronquées, souvent réécrites, – par Dumas lui-même dans ses Souvenirs dramatiques. On peut ici les découvrir dans leur totalité, chronologiquement, et dans leur texte d’origine. Dumas styliste, on le sait, n’est jamais si bon que lorsqu’il s’adresse à ses lecteurs, qu’il « cause » avec eux, qu’il écrit, au fil de la plume, un français d’un naturel digne de Stendhal ou de la comtesse de Ségur. Il parle, il s’écoute, il charme, et n’importe quel sujet lui devient prétexte à digressions : Dumas causeur est incapable de se tenir à un thème, d’obéir à un plan. Ces articles de critique ne faillissent pas à la règle : il théorise, de temps en temps (De la tragédie aristocratique, de la comédie bourgeoise, et du drame populaire), rend hommage à ses amis (une longue série d’articles est consacrée au baron Taylor), raconte ses mésaventures de garde national, donne des chroniques historiques sur l’histoire romaine, – et parfois, aussi, remplit son rôle de critique. A propos de pièces aujourd’hui oubliées, il écrit des articles brillants, et toujours généreux : généreux avec les jeunes auteurs, généreux avec les anciens balayés par les romantiques (maintenant que la « nouvelle vague » l’a emporté, maintenant que la messe est dite, il sait reconnaître les qualités d’un théâtre plus traditionnel que, dix ans plus tôt, jeune lion, il aurait sans doute trouvé poussiéreux.)
De cette masse d’articles émerge une vision très juste – toutes générations confondues – de ce qu’est une grande pièce de théâtre. Shakespeare, Corneille, Racine, Molière, sont fêtés autant que Victor Hugo (à qui il ne ménage pas une admiration qui n’est jamais béate, et plus d’une fois pimentée de critiques constructives). Tous, comme aurait dit Jean Anouilh, « font partie de la ménagerie ».
Ses seules piques, tout compte fait, sont dirigées contre Voltaire dramaturge, et contre un tâcheron, Monsieur Andrieux, coupable d’avoir en partie réécrit Nicomède pour « moderniser » la langue de Corneille. Là, Dumas s’amuse à une comparaison, vers à vers, avant de conclure « Nous arrêtons là nos citations. Nous sommes las de mettre en face d’expressions larges et pittoresques des lieux communs aussi plats et aussi mesquins. D’ailleurs, M. Andrieux est mort. S’il y a une justice là-haut, il doit subir maintenant la peine de ses fautes. Dieu ait pitié de son âme ! »
Ces Critiques dramatiques sont du tout meilleur Dumas journaliste, et leur intérêt dépasse, et de loin, les sujets qui leur ont donné naissance.
Un cas de conscience, maintenant. Cet bref roman dont Claude Schopp a déniché le manuscrit – ce qui lui permet de restituer le texte original, avant censure, – est étrange. Il débute dans un salon napolitain comme une Causerie italienne à propos de Garibaldi pour s’achever en roman noir, une histoire de jalousie, de haine, de meurtre. Un meurtre dont l’instrument – en même temps que la première victime – est un chien, empoisonné par une inquiétante dévote, et dont la mort causera celle d’une mère et de son fils.
On est bluffé par la façon dont, en moins de cent pages, Dumas parvient à enchâsser les récits-dans-le récit-dans-le-récit, à alterner les points de vue, sans jamais perdre le fil de sa narration. Dumas vieillissant avait perdu une partie de son imagination, (ses derniers romans, que ce soit La San Felice, Le Comte de Moret, ou Hector de Sainte-Hermine, témoignent de cet essoufflement) mais sa virtuosité narrative est intacte, et le plaisir que l’on prend à la langue et à l’écriture est d’autant plus grand qu’on est moins distrait par l’intrigue.
Sa dévote criminelle et glaçante qui jette son ombre mortifère dans une intrigue mélodramatique à souhait, cette « Milady du bénitier », telle que l’appelle Claude Schopp, pourrait sortir d’une Diabolique de Barbey d’Aurevilly et rappelle, si besoin en était, que Dumas avait bien des cordes à son arc romanesque et que, jusqu’au bout, il était capable de surprendre. Ce qui surprend moins, en revanche, c’est le chien Mustang, qui sert de fil rouge à cette histoire compliquée : on sait que Dumas a été un grand peintre animalier, et qu’un autre chien, Black, donne son nom à l’un de ses romans les plus jubilatoires, et injustement méconnus.
Et voilà qu’on annonce pour l’automne la suite de la Correspondance générale. Article à suivre, donc…
Christophe Mercier
Alexandre Dumas, Un cas de conscience Phébus, 110 pages, 11 euros Alexandre Dumas critique dramatique (1836-1838) Classiques Garnier, 524 pages.