Réfugiés, migrants, demandeurs d'asile : les récents débats sémantiques sur le vocable à utiliser pour qualifier les flux migratoires au sud-est de l'Europe ont été nombreux au sein de la presse et posent également un certain nombre de questions quant à la bonne formulation à adopter dans les sondages portant sur ce sujet. Les termes utilisés jusqu'à maintenant par les instituts de sondage ont été variés (par exemple, migrants par l'Ifop, demandeurs d'asile et migrants par BVA, réfugiés et migrants par Elabe) et les questions formulées différemment, rendant difficile une comparaison des résultats. Une comparaison d'autant plus ardue que le sujet revêt des problématiques variées et qui en fonction de la manière dont on l'aborde peut engendrer des résultats différents.
On a pourtant pu lire un certain nombre d' articles qui n'hésitaient pas à comparer l'ensemble de ces sondages, arguant ainsi que l'hostilité de l'opinion à l'égard des migrants était " persistante " depuis le printemps et qu'elle avait basculé avec la publication de la photo de l'enfant syrien Aylan Kurdi. S'il est vrai que la forte médiatisation et le changement d'angle opéré par les médias sur le sujet se sont accompagnés d'une inflexion de l'opinion, la manière de formuler une question dans un sondage et donc d'appréhender un fait d'actualité pouvait également s'accompagner dès le printemps de chiffres plus nuancés, signe à la fois d'une opinion moins tranchée mais aussi de la difficulté pour les observateurs comme pour les Français de mettre des mots sur la situation.
Avant l'été, non aux migrants, oui aux demandeurs d'asileDans un contexte avant l'été de moindre exposition médiatique de la question des flux migratoires, deux sondages ont été publiés, l'un par BVA à la mi-mai et l'autre par l'Ifop début juillet. Dans celui de l'Ifop, repris par le Figaro pour rappeler " l'hostilité persistante " de l'opinion à l'accueil de migrants, on constate que 64% des Français sont opposés à la répartition dans les pays d'Europe et à l'accueil par la France d'une partie " des migrants Africains qui arrivent par milliers sur les côtes italiennes ". Autre formulation tout aussi factuelle du côté de BVA mais un résultat très différent : 62% des Français sont favorables à la création de " quotas afin de répartir les demandeurs d'asile, ou migrants, ayant besoin d'une protection internationale, dans les différents pays de l'Union européenne, c "est-à-dire que chaque pays puisse accueillir un certain nombre de migrants, afin d'aider les pays riverains de la Méditerranée comme l'Italie, la Grèce et Malte ".
Si les deux questions ont ceci de commun de parler de répartition entre les différents pays de l'Union européenne (ce qui inclut la France), elles diffèrent en réalité sur l'origine géographique des personnes concernées et sur les termes utilisés pour désigner les personnes arrivant en Europe (migrants d'un côté, demandeurs d'asile ou migrants de l'autre). Par ailleurs, quant l'une insiste sur le nombre de personnes qui arrivent, l'autre évoque leur besoin de protection online casino internationale.
Dans un contexte de début septembre marqué par un afflux de réfugiés venant d'abord du Proche et du Moyen-Orient, il semble particulièrement hasardeux de parler d'" hostilité persistante " des Français. En réalité, on peut simplement en conclure que le sondage de l'Ifop reflète la méfiance bien connue et toujours mesurée d'une majorité de Français à l'égard de l'immigration et celui de BVA, qu'une majorité - certes loin d'être écrasante - de Français font néanmoins preuve de davantage d'ouverture (et ce avant la photo d'Aylan Kurdi) lorsqu'il s'agit de personnes fuyant un conflit, pour peu qu'ils soient nommés comme tel.
Après l'été, une inflexion de l'opinion mais qui oscille toujours selon les termes employésSuite à la mort d'Aylan Kurdi et à la publication de sa photo, la médiatisation en France de la question des réfugiés a, on le sait, été très importante: à titre d'exemple, alors que le journal Le Monde a consacré une seule une sur le sujet au mois de juillet et trois au mois d'août, leur nombre monte pour le moment jusqu'à neuf pour le mois de septembre[1]. Au même moment, le cabinet Elabe a publié deux sondages, l'un réalisé juste avant la publication de la photo et l'autre une semaine après, tout deux ayant le mérite d'enregistrer cette inflexion de l'opinion, dans la mesure où les deux questions étaient identiques. On passe ainsi de 44% à 53% de personnes favorables à l'accueil par la France d'une part de l'afflux " de migrants et de réfugiés " en provenance notamment de Syrie.
L' Ifop mesurait quant à lui au cœur de l'émotion médiatique (les 3 et 4 septembre) que 51% des Français étaient opposés à la répartition dans les pays d'Europe et à l'accueil par la France d'une partie des " migrants qui arrivent par milliers sur les côtes italiennes et grecques ". S'il est plus hasardeux de réaliser des comparaisons entre la mesure de l'Ifop et la deuxième d'Elabe en raison de leur temporalité respective et la différence de formulation des questions, notons toutefois que la propension des Français à accepter d'ouvrir les portes de leur pays augmente légèrement si l'on parle de réfugiés plutôt qu'uniquement de migrants, signe à nouveau de l'impact non négligeable que peut avoir le choix des mots employés.
S'il n'est plus nécessaire de démontrer que les positions des Français sur la question de l'immigration se sont nettement durcies au cours des dernières années ( 69% des Français déclaraient par exemple en février dernier qu'il y a " trop d'immigrés en France ", soit 20 points de plus qu'il y a six ans), notons qu'ils sont en réalité plus hésitants sur la politique à mener à l'égard des migrants et des réfugiés, une hésitation qui au-delà des variations temporelles liées à l'émotion médiatique, se voit également à travers la forte oscillation de leurs réponses selon les termes employés dans les enquêtes.
[1] Le choix de la une, et notamment du gros titre, comme critère est nécessairement restrictif mais a le mérite de montrer l'importance accordée au sujet au sein de l'actualité.