Entre deux articles consacrés au débat politique, Délits d'Opinion s'intéresse à une autre tradition bien française : la consommation d'alcool.
Composante importante des pratiques culturelles françaises, parfois instituée en rite de passage, la consommation constitue un des risques et une des causes majeurs de santé publique dans notre pays. Bien que la consommation ait fortement diminué, celle-ci s'est transformé, notamment au travers du " binge drinking ". En 1961, les quantités d'alcool par habitant âgé de 15 ans et plus s'élevaient à 26 litres d'alcool pur. Un peu plus de quarante ans plus tard, ces montants ont été divisés par deux, baisse entièrement due à la baisse de la consommation de vin.
Aujourd'hui, le vin représente encore la majeure quantité d'alcool consommée dans notre pays.
Cet article va tout d'abord mettre en avant les conséquences en terme de santé publique de cette consommation, au travers une étude de l'institut de Veille Sanitaire (le Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 7 juillet 2015).
L'alcool, une des premières causes de mortalité et d'hospitalisation en France
La consommation d'alcool est responsable d'environ 49 000 morts par an et coûte, annuellement, 17,6 Milliards d'euros. Elle a concerné 23% des patients hospitalisés dans des hôpitaux généraux et jusqu'à 50% dans les services de psychiatrie.
Dans le détail, elle a engendré en 2012, 580 000 séjours hospitaliers, publics ou privés, en médecine chirurgie, obstétrique et odontologie (MCO), ce qui constitue 2,2% de la totalité des séjours et séance. En psychiatrie,plus de 2,7 millions de journées lui sont dues, soit 10,4% de l'ensemble des journées. Les hommes représentent environ les 2/3 des patients.
En soins de suite et de réadaptation (SSR), plus de 2 millions de journées liées à l'alcoolisation excessive ont été recensées, soit 5,6% de la totalité des actes recensés. Les hommes représentent environ les 3/4 des patients.
Ces chiffres sont supérieurs, si on inclut la part psychiatrique aux hospitalisations pour cause de diabète. La prise en charge de la dépendance à l'alcool elle-même ainsi que les complications médicales et psychologiques de l'alcoolisation récurrente, représenteraient entre un tiers et la moitié des dépenses de santé.
Une répartition territoriale inégale
Certaines régions sont plus marquées par les intoxications aiguës et les syndromes de dépendance.
Une part croissante du binge drinkink et de l'alcoolodépendance
Entre 2005 et 2012, le nombre de séjours pour intoxication alcoolique aiguë augmenté de plus d'un tiers, ceci comme résultat direct et principal du développement du binge drinkink, traduit en français par " biture expresse " ou " beuverie effrénée " : termes qui au final traduisent un comportement désignant une consommation intense, rapide, souvent d'alcools forts, visant un effet d'alcoolisation élevé et rapide. Ce type de comportement a été constaté, non seulement chez les jeunes mais également chez les adultes relativement plus âgés. Le nombre d'hospitalisation pour cette raison a été relativement stable chez les moins de 24 ans (représentant au total 19,1% du total). A l'inverse, aux Etats-Unis, les hospitalisations pour ivresse seul ont augmenté au sein de cette catégorie d'âge de 25% entre 1999 et 2008 et de 76% pour les intoxications mixtes, alcool et drogue.
Concernant l'alcoolodépendance, c'est également parmi les populations les plus âgées que l'augmentation la plus importante est constatée avec près d'un tiers des cas totalisés.
On finit à l'hosto à 43,5 ans, on est alcoolo à 47,9 ans ...
L'étude de la répartition des âges montre que les patients hospitalisés pour alcoolisation aiguë ont en moyenne 43,5 ans, quand les patients hospitalisés pour leur dépendance à l'alcool 47,9 ans. L'âge moyen des patients hospitalisés pour une complication de leur alcoolisme est de 56,7 ans. Les hospitalisations pour dépendance interviennent donc 4,5 après celles pour intoxication aiguë et 8 ans avant les hospitalisations pour complication.
Autre chiffre inquiétant, les séjours pour sevrage des patients dépendants sont quatre fois mois nombreux sur les séjours pour prises en charge des complications. En effet, les complications de l'alcool sont plutôt bien prises en charge quand le rapport même à l'alcool est plus difficilement abordé. Ce constat pose la question d'un sous-diagnostic des conduites d'alcoolisation dans les hôpitaux par rapport à certains services de médecine ou de psychiatrie.
Qui boit en France ? Une très forte inégalité de consommation
Une note de l'INPES d'avril 2015 fait le point sur la consommation d'alcool en France.
La consommation est relativement stable depuis 2010. Pourtant les volumes consommés se répartissent très inégalement. Si on prend en compte les abstinents, 8% des 15-75 ans s'octroient la moitié du volume global d'alcool consommé chaque année en France, alors que 53% consomment à peine 5% du volume total. Cette donnée ne constitue pas une particularité, ni dans le temps, ni sur notre territoire et se constate un peu partout dans les pays industrialisés.
Les boissons les plus consommées restent le vin (37%), la bière (20%), suivis par les alcools forts (15%). Les femmes se réservent principalement au vin (29% contre seulement 10% pour les autres alcools).
L'alcoolisation ponctuelle importante (API) progresse et a concerné en 2014, 38% des 15-75 ans. Cette progression est relativement plus marquée encore chez les femmes (24% contre 21% précédemment). Cette évolution est continue depuis 2005 et aboutit à un Français sur six concerné par cette alcoolisation excessive chaque semaine (17%). Près d'un Français sur cinq (19%) a déclaré un épisode d'ivresse en 2014, près d'un sur dix (9%) au mois trois fois l'an. Les ivresses répétées sont ainsi de plus en plus fréquentes, notamment chez les femmes.
Quels sont les " profils " des consommateurs ?
Les profils des consommateurs divergent fortement en fonction de l'âge mais on peut néanmoins dégager plusieurs tendance fortes :
- la consommation quotidienne d'alcool est quasiment inexistante avant 25 ans (1%) et devient significative après 65 ans (1/4 de la population)
- Les abus ponctuels (ou API) diminuent au contraire avec l'âge : les 2/3 des 25 - 34 ans en ont connu au moins un dans l'année, plus d'un tiers (37%) tous les mois et près de la moitié ont déclaré une ivresse dans l'année (47%)
- Les femmes connaissent des abus essentiellement avant 25 ans : 43% des 15-24 ans déclarent une API dans l'année, 19% tous les mois et 34% une ivresse dans l'année. Au-delà de 55 ans, ce comportement devient rarissime (3% ont connu une ivresse dans les douze derniers mois)
- L'augmentation des API chez les 18-25 ans constitue désormais une donnée constante depuis 2005 : ce comportement est même devenu la norme dominante au sein de cette tranche d'âge, avec 57% d'entre eux dans ce cas de figure chaque année, 32% tous les mois et 11% toutes les semaines. Cette augmentation est d'ailleurs particulièrement marquée chez les jeunes filles, lorsqu'elles sont étudiantes (28% sont concernées par des API mensuelles contre 11% en 2005)
- Les ivresses répétées sont également en hausse chez les jeunes : près d'un tiers d'entre eux (29%) sont dans ce cas de figure
La " recherche d'ivresse ", concerne avant tout les jeunes
" La consommation importante d'alcool dans le but de rechercher l'ivresse ", périphrase qui correspond assez bien à la notion de " binge drinking " reste un comportement de " jeunes " : ce comportement est rarissime chez les plus de 45 ans.
Quelles conséquences en matière de politique publique ?
Si la consommation d'alcool a globalement fortement diminué depuis 50 ans, du fait de la baisse de la consommation de vin, on voit que certaines poches de résistance se situent auprès de populations cibles et que de nouveaux comportements à risque sont apparus. Les femmes constituent les nouvelles victimes (ou coupables ?) de ces attitudes et tendent à " rattraper " le comportement des hommes en la matière. D'une manière générale, on constate en Europe une homogénéisation des attitudes de consommation, notamment chez les jeunes, faisant voler en éclat la précédente segmentation entre un modèle latin où la consommation était régulière et relativement modérée et un modèle nordique et anglo-saxon où prédominait une consommation plus rare mais à ces occasions plus importantes.
On a vu également que cette consommation aboutissait à un coût social important, tant en matière de détresse que d'un point de vue financier et que le suivi après des abus ayant abouti à une hospitalisation restait encore trop rare, laissant la porte ouverte à une véritable dépendance.
Les populations cibles deviennent ainsi les étudiants où règnent pourtant déjà un nombre important d'outils de préventions. De nombreuses mesures semblent pourtant avoir prouvé leur efficacité et sont probablement amenées à être développées