« Des zigzags sont évidemment chose importante pour se délasser. Jean-Louis Barrault m'a raconté qu'ayant travaillé toute une journée à Brangues avec Claudel, le poète avait soudain demandé : “qu'on fasse venir la voiture automobile et qu'on me fasse faire des zigzags. ” »
1.
29 mars 2016.- Temps maussade (16 °C) hier « vie sociale », trop de vin, les quelques lignes qui suivent seront donc encore nimbées de volutes alcoolisées, cela expliquera certainement leur faiblesse (voilà une bonne excuse).
(Les années anglaises, Canetti) Les chutes et autres fonds de tiroirs consacrés aux années anglaises d'Elias Canetti me semblent avoir été rassemblées à la diable, sans vrai sens éditorial et avec la sourde volonté de gaver le lecteur avec de l'inédit. Il y a bien deux trois éclairs, une page sur Dylan Thomas, une autre sur le balayeur du coin de la rue, quatre sur Bertand Russell, mais pour l’essentiel on s'ennuie beaucoup dans cette galerie de portrait qui ne nous apprend rien et manque du plus élémentaire croquignolet (pas d'analyse en profondeur, pas d’anecdotes croustillantes, non rien que du constat dans un genre assez : « Tenez, j'ai croisé X, figurez vous que c'est un grand philosophe! », ou encore : « Tenez, j'ai croisé Y, figurez vous qu’il ne vaut pas tripette ! »). Bref le moins musical hall des frères Canetti, mérite mieux.30 mars 2016.- Ciel bleu et douceur puis, insidieusement, un vent de plus en plus conséquent et une armée de nuages noirâtres sur l'horizon. J'en suis là (21°C). Les conditions climatiques étant assez favorables j'ai poursuivi la lecture de mon Canetti en extérieur. Eh bien figurez-vous qu'en extérieur je suis mieux entré dedans ! Oh c’est toujours ce machin remémorant échafaudé de guingois avec des fragments plus ou moins solides, mais j'y ai trouvé plus à picorer que je ne le pensais de prime abord (en extérieur il me prend des airs de poule pensante inspirée). Certes Canetti ne semble connaître l’Angleterre que superficiellement, mais il connaît par contre assez bien Hampstead cette entité bucolique du Grand Londres peuplée d’intellectuels de tous poils où il aura passé l’essentiel de ses années anglaises. Plus que toute autre chose il fait donc le portrait de ses voisins : Fred Uhlman, Henry Moore, Franz Steiner ou Oskar Kokoschka … Rien de puissamment littéraire, encore moins de philosophique, nous sommes un peu au raz de l’anecdote, mais du factuel et parfois de belles vacheries (Sur T.S.Eliot ou Iris Murdoch, cette ex-compagne dont il dresse un portrait quand même un peu désamouré). On dehors d'Hampstead et du voisinage on n'apprend pas grand-chose sur la vie du Canetti « anglais » (il y paraît il pourtant matière à…). Les avions de la Luftwaffe passent dans un ciel un peu embrasé et Margaret Thatcher s’invente des guerres exotiques pour mieux se faire oublier, rien de plus ou presque : « Lorsque je le revis au début de la guerre – deux ou trois ans après notre première, rencontre à Prague -, nous étions pas ensemble depuis plus d'une demi-heure qu'il me confessa une faute véritablement monstrueuse commise par lui. Il estimait que la guerre avait eu lieu par sa faute, et cela tenait à ce que Hitler, qui voulait initialement devenir peintre, avait dû se lancer dans la politique. Car tous deux, Kokoschka et Hitler avaient concouru pour la même bourse offerte par l'Académie de Vienne. Kokoschka avait été admis, Hitler recalé. Si Hitler avait été admis à la place de Kokoschka, il ne serait pas entré en politique, il n'y aurait pas eu de parti national-socialiste et la guerre n'aurait pas eu lieu. Et c'était donc la faute de Kokoschka si l’on était en guerre… »Les Années anglaises de Canetti aussitôt finies et refermées, entamé un recueil de W.G.Sebald dans la foulée (La description du malheur – À propos de la littérature autrichienne). Je l'envisage très bien, en tous les cas les cinquante premières pages m'ont déjà plus apporté que les deux cent cinquante du Canetti anglais. Il faut dire que le menu est alléchant : Grillparzer, Stifter, Schnitzler, Hofmannsthal, Roth, Bernhard… Des enterrés vivant, des dépressifs, des dépersonnalisés, des suicidés. Bref des habitués du malheur, mais des habitués du malheur qui font quelque chose de leur habitude, le malheur est parfois un drôle de ciment : « Il n'est aujourd’hui plus possible de balayer d'un revers de main la constatation de Kafka écrivant que toutes nos inventions ont été faites une fois la chute déclenchée. Le dépérissement d'une nature qui continue de nous maintenir en vie en est le corollaire chaque jour plus évident. Mais la mélancolie, autrement dit la réflexion que l’on porte sur le malheur qui s'accomplit, n'a rien de commun avec l'aspiration à la mort. Elle est une forme de résistance. Et au niveau de l'art, éminemment, sa fonction n'a rien d'une simple réaction épidermique, ni rien de réactionnaire… »1er avril 2016.- Averses, chute des températures, le printemps n'est déjà plus là (8°C). (Sebald, le malheur, l’Autriche) Pour Sebald les « grands Viennois » sont tous plus ou moins saisis par de lourds problèmes de sexualité (tout du moins leurs personnages). Stifter est fasciné par de bien trop jeunes filles au cœur blême (aujourd’hui on le regarderait vraiment de travers), Schnitzler valse entre syphilis et nécrophilie tandis qu'Hofmannsthal éprouve un peu de mal à vouloir regarder la sexualité de ses personnages en face. Bisexualité refoulée, fétichisme (ah les pieds!) et pornographie latente. Nous voilà en pleine féerie turpide et Sebald, bien aidé par le père Freud, tire de belles et sourdes conclusions (La symbolique de la mort est le signe d'une pratique de l'amour comprise entre légalité et illégitimité. L'amour est un « désir de voir » archaïque et frémissant d'horreur qui peut s'exercer sur un « objet mort »)… …(plus tard) Canetti et la puissance (et donc la violence), Bernhard, faux réactionnaire et vrai satiriste (dans les pas de Swift). Ces mots de Bernhard : « … c'est une erreur de croire que les gens mettent des enfants au monde. C'est trop facile. C'est des adultes qu'ils ont, pas des enfants. Ils engendrent un cafetier ou un monstrueux tueur en série, qui sue, qui est abominable et qui a un gros ventre, c'est ça qu'ils engendrent, et non des enfants. Ils parlent de chérubin, mais en réalité ils se retrouvent avec un octogénaire qui fuit de partout, qui pue et qui est aveugle, qui boite et qui ne peut plus se remuer à cause de la goutte, c'est ça qu'ils mettent au monde. Mais celui-là, ils ne le voient pas, pour que la nature continue de s'imposer et que toute cette merde puisse continuer. Mais je m'en fous. Ma position ne peut être que celle d'un grotesque… je ne dirais même pas perroquet, ce serait déjà bien trop grandiose, d'un grotesque petit oiseau qui piaffe et récrimine. Çà piaille quelque chose et ça disparaît et puis c'est plus là. La forêt est grande, l'obscurité aussi. Parfois on y trouve un drôle d'oiseau du genre chat-huant qui ne vous laisse pas de répit. Je ne suis rien de plus. Et je ne demande rien de plus non plus. »2 avril 2016.- Temps maussade, trois timides micros éclaircies (12°C). (Sebald, le malheur, l'Autriche) Les pages consacrées à Peter Handke me sont tombées des mains (Handke ne m'a jamais vraiment intéressé). Celles consacrées à Ernst Herbeck , pas du tout. Il faut dire que s'agissant de ce poète-brut je ne savais pas grand-chose. Sa jeunesse morne et aphasique, son bec de lièvre que l'on tente d'opérer, sa schizophrénie, sont internement en hôpital psychiatrique jusqu'à sa mort. Voilà un type incapable de communiquer avec autrui qui lorsqu’on lui prête une feuille et un crayon se transforme en dynamiteur de syntaxe, les des plus singuliers (des plus grands?) poètes en langue allemande du 20e siècle. Le rêve est un papier le rêve est à la nuit alors vint le portier qui ouvre les huis.le rêve est claire lumière la mort est la femme et Le jour est le rêve et l’arbre est le rêve.3 avril 2016.- Trop de nuages !(15°C). Retour dans le Journal de Maurice Garçon c'est toujours cet extraordinaire document sur le temps de l'occupation. Garçon à beau être un grand bourgeois hautain, on sent qu'il est du côté du majoritaire, de cette France silencieuse qui ne collabore pas avec l'ennemi, n'aime pas le régime de Vichy mais qui s'offusque lorsque quelques actes de résistances viennent à survenir. Pour un attentat, un assassinat, les Allemands raflent cinquante personnes, les passent par les armes (Guy Moquet sera du nombre), la majorité silencieuse tremble puis devient paranoïaque, elle a bien raison de le devenir. Par ailleurs toujours le petit monde littéraire et ses petites compromissions avec l'occupant. Les voyages plus ou moins forcés que feront de nombreux artistes français en Allemagne. Une visite à Georges Mandel détenu dans la forteresse du Portalet : « Comme j’avais quitté le fort et passé le petit pont jeté sur le torrent, j’ai entendu un appel. Au-dessus de moi, à mi-flanc du rocher, s’élevait le fort. À une fenêtre, Mandel me hélait pour me saluer de la main. Le bruit a dû attirer l’attention des autres. Plusieurs fenêtres s’ouvrirent et j’aperçus, se tenant aux grilles et me faisant des signes, outre Mandel, Daladier, Blum et Paul Reynaud. Quatre présidents du Conseil comme des singes au zoo ! »5 avril 2016.- It is still raining, another day without sun, where’s the sun ? (16°C) Back to work. Too tired to hope to turn any page. Then write one !7 avril 2016.- Quelques belles éclaircies (16°C). Longue sieste réparatrice face au soleil. À mon réveil rouvert les Greguerias de l'ami Ramón Gómez de la Serna. Elles sont toujours pleines de choses mignonnes et obsolètes, celle-ci par exemple : « La personne en visite qui vous demande un verre d'eau est un conférencier frustré » , ou encore cette autre : « Les paquebots on la cheminé penchée comme s'il portaient le haut-de-forme de façon canaille ». Dernières acquisitions : Morceaux de prose (Walser), Être sans destin et L'ultime auberge (Kertesz), Le dehors et le dedans (Bouvier), Le fichier parisien (Montherlant).8 avril 2016.- Météo maussade voire plus (12°C). Sans envie et très las de moi-même je ne suis plus vraiment à ma psychogégraphie indoor et ce n'est pas ces quelques mots pêchés chez le très peu sautillant Étienne Pivert de Senancour qui feront quelque chose pour m'extirper d'une morosité que j'espère passagère : « Très inquiets et plus ou moins malheureux, nous attendons sans cesse l'heure suivante, le jour suivant, l'année suivante. Il nous faut à la fin une vie suivante. Nous avons existé sans vivre… » 2.
26 avril 2016.- Toujours ce printemps automnal aussi sympathique qu'une cris d'urticaire (10°C). Le Journal de Stendhal ne se lasse pas d'être glutineux dans le coquin, pour preuve ces quelques lignes écrites le 18 août 1811 : « J'ai trouvé dans mes courses (Au Raincy), the little π. Je lui ai parlé par désœuvrement. Elle manque de tétons et d'esprit, two great wants ! Par désœuvrement aussi j'ai hasardé quelques libertés, il n'y a pas de résistance. De manière que, hier, ne sachant que faire, je suis monté en cabriolet et ai paru à Villemomble. Il y avait grand monde ; j'ai passé sur la terrasse, la petite m'y a suivi, je lui ai pris le bras et un peu la taille, ensuite, dans le salon, les genoux et la cuisse. Ses yeux m'en ont remercié par l'air de l'amour, à cela près c'est l'innocence même. Mais je reconnus sur la terrasse une grande vérité. La nouveauté est une grande source de plaisir, il faut s'y livrer. J'étais sûr de coucher le soir avec la jolie Ang[éline] auprès de laquelle je ne b[ande] qu'avec effort et ne d[écharge] qu'en songeant à une autre femme. π , au contraire, inférieure de toutes manières, me mettait dans un état superbe. »
Nothing else…28 avril 2016.- Quelques velléités de beau temps gâchées par une armée de cumulus patibulaires. Ce printemps est décidément bien loin à venir. (15°C). Stendhal toujours coquin et anglomane entame un long périple en Italie. Nous sommes en 1811, ce long périple sera crucial, est-il utile de le préciser ? (diary).29 avril 2016.- Ciel Klein/Matisse. Un peu de tiédeur suspendue nous y voilà enfin, ou presque (3 °C-> 20 °C). Still in Stendhal diary. Une comète, des diligences et des compagnons de voyage pas toujours reluisants, l'Italie est encore loin. On notera les nombreux, dessins, croquis et autres crobards qui agrémentent le texte de l'ami Beyle de façon tout à fait charmante.« Dijon est, suivant [moi et] une plate expression, une grande villasse. Position plate, pas de rivière, un ruisseau nommé Douche… »30 avril 2016.- Averses et grande fraîcheur. La journée d'hier n'était elle donc qu'un leurre ? (10°C). En 1910 les États Unis sont en crise et la viande vient à manquer. Devant ce constat un brin perturbant, comment vivre sans un bon steak ? Une petite troupe d'hommes trouve une solution et un drôle de plan tout à la fois : il suffit d'importer des hippopotames, de les faire paître dans les bayous de la Louisiane et de convaincre les Américains de les manger. Rien de bien compliqué en somme ! C'est cette histoire qui est racontée dans l’Hippo d'Amérique un long reportage — et un petit bouquin — que j'ai lu dans la journée (l’auteur un certain Jon Mooallem est journaliste pour le New York Times). Rien de puissamment littéraire, mais quelque chose de formidable qui flotte partout. Il faut dire qu'il y a de la matière, l'hippopotame est épatant, l'histoire racontée est passionnante et ses protagonistes encore plus. C'est ainsi que j'ai découvert l'existence de Fritz Duquesne (Aventurier Boers, chasseur de fauves, espion qui travaillera pour l'Allemand par haine de l'Anglais, plus encore…) et Frederick Russell Burnham (Roi des éclaireurs, héros des guerres indiennes source d'inspiration du scoutisme, plus encore…)