Lors du premier contre-la-montre entre Bourg-Saint-Andéol et La Caverne du Pont-d’Arc (37,5 km), victoire pour le Néerlandais Tom Dumoulin. Christopher Froome creuse de nouveaux écarts sur ses autres prétendants. Beaucoup n’avaient pas la tête à la course…
Minute de silence.
La Caverne du Pont-d’Arc (Ardèche), envoyé spécial.
Les crêpes noirs, les messages de solidarité et même, par-delà la route du Tour, toutes les pensées les plus vibrantes n’y suffirent pas. La treizième étape, disputée entre Bourg-Saint-Andéol et La Caverne du Pont-d’Arc (37,5 km), était endeuillée. Et rien, absolument rien, ne put extirper de nos cerveaux les images d’horreur des heures précédentes. Le chronicoeur – comme nombre de ses collègues suiveurs – avait les yeux creusés d’une nuit sans sommeil, loin des tourments du vélo, fussent-ce sur la plus grande épreuve du monde, la plus belle, la plus mythique, la plus onirique de l’histoire. C’était jour sombre, ce vendredi 15 juillet. Un jour si sombre sous un soleil limpide mais des températures assez timides, un jour si puissamment déplacé que les pédalées des uns et des autres nous parurent sinon dérisoires, du moins facultatives.
Au matin, nous apprenions pourtant que l’étape serait officiellement « maintenue » mais dépourvue de «son caractère festif», annonçait le directeur du Tour, Christian Prudhomme après une réunion avec le préfet de l’Ardèche. Le chronicoeur se gratta la tête longuement. Show must go on. Pourquoi pas. Mais lorsque le même Prudhomme ajouta que la caravane publicitaire ne serait pas entravée dans son petit commerce quotidien et pourrait, silencieusement certes (ce qui était bien le moins), défiler sur le parcours du contre-la-montre, une sorte de haut-le-cœur nous remonta jusqu’à la gorge. Pas de trêve pour la publicité. Circulez, tout reste à voir pour les généreux sponsors d’ASO, jamais à un déshonneur près. Rassurez-vous, une minute de silence fut observée au départ et à l'arrivée. «Nous souhaitons que cette journée soit digne, en hommage aux victimes de Nice», déclara Prudhomme avant le départ. Nous avions déjà pris le large.
Nous étions à mille lieux, en effet, des polémiques de la veille et de ces scènes surréalistes de l’arrivée à mi-pente du Ventoux, jeudi 14 juillet. Les spécialistes es-cyclisme en étaient encore à Christopher Froome courant dans les lacets du Géant de Provence, dépourvu de monture, perdant tous ses espoirs avant d’être réintégré dans sa tunique jaune après une sentence plutôt inattendue des commissaires. Pourquoi donc cette décision avait-elle été prise, alors que la chute du Britannique, provoquée indirectement par des spectateurs, était une espèce de «fait de course» comme il s’en produit souvent. Les explications de Bruno Valcic, le président du jury des Commissaires, nous laissa quelque peu incrédule: «L’écart au moment de l’incident, à 1,2 km de l’arrivée, était pratiquement le même que celui constaté sur la ligne entre Mollema et le groupe d’Adam Yates : 18 ou 19 secondes. La décision devenait normale. Au moment de l’accident, Froome et Porte étaient avec Mollema tandis que Quintana, Valverde et d’autres étaient dans le groupe Yates. On a regardé le film et à mon avis c’était la meilleure solution possible. Cela n’aurait pas été normal que Froome, qui avait 19 secondes à 1,2 km de l’arrivée, perde 2 minutes au final.» A la question: le patron du Tour est-il intervenu dans cette décision?, Bruno Valcic se montra formel: «Non!Toutes les décisions sont prises par le collège des commissaires. Mais avant de donner la décision définitive, on en informe l’organisateur, A.S.O. pour expliquer les choses. On a convoqué le directeur sportif de la Sky, on a appelé les Movistar, on a parlé avec le manager d’Orica. Pour expliquer que Yates ne pouvait pas prendre le Maillot Jaune considérant la situation exceptionnelle qui a eu lieu.» Une version légèrement contredite par Christian Prudhomme en personne: «J'ai vu le jury. Ce que j'ai pu leur dire, c'est qu'une décision exceptionnelle pouvait s'expliquer, compte tenu des circonstances absolument exceptionnelles.» Fin de l’épisode. Du moins pour l’instant… Le peloton français souffre, lui aussi. A l’image du leader de la FDJ, défaillant depuis une semaine. Et pour cause. Tôt le matin, nous lisions: «Malade, Thibaut Pinot ne prendra pas le départ de la 13e étape du TDF 2016», tweetait son équipe. Une information que nous attendions, hélas. Le champion de France du contre-la-montre abandonnait au moment de disputer la première épreuve chronométrée, spécialité pour laquelle il a été sélectionné pour les jeux Olympiques en août. «Il a de la toux et de la fièvre, ça ne lui servait à rien de continuer», précisait son directeur sportif Yvon Madiot. Le Franc-Comtois a immédiatement passé un examen médical dont il attend les résultats. En fin d’après-midi, il était sur le chemin de son domicile, à Mélisey (Haute-Saône). Tour raté, gâché. Regrets. Revenons brièvement à la course. En mode sourdine, si vous le voulez bien. Le contre-la-montre, remporté par le rouleur néerlandais Tom Dumoulin, a été favorable au maillot jaune, le Britannique Chris Froome. Le porteur du précieux paletot en or a frappé un grand coup par rapport à ses rivaux pour la victoire finale, surtout le grimpeur colombien Nairo Quintana, qu'il a distancé de plus de deux minutes. Froome, deuxième de l'étape à 1’03’’ de Dumoulin, a porté son avance au classement général à 1’47’’ sur le Néerlandais Bauke Mollema, désormais deuxième, et à 2’45’’ sur le Britannique Adam Yates. Signalons que les «poids légers» ont payé cher sur un parcours balayé par le vent, souvent de côté et de face dans la dernière côte. Le Français Romain Bardet, par exemple, a cédé près de trois minutes à Froome, et l'Italien Fabio Aru, vainqueur de la Vuelta, près de trois minutes et demie… Des minutes. Des secondes. Si futiles.