Les désorientés, roman d'Amin Maalouf

Par Mpbernet

Encore un carnage, dans la foule des spectateurs du feu d'artifice du 14 juillet sur la promenade des Anglais : plusieurs messages entremêlés, de haine contre la liberté, au milieu de l'insouciance des familles, l'annonce le jour même de la fin prévue de l'Etat d'urgence, le tourisme, l'action de la France au Moyen-Orient. Et devant cette oeuvre de mort, comment réagir ?  simplement résister ?

Je souhaitais justement ce matin parler d'un excellent livre d'Amin Maalouf, permettant de comprendre un tout petit peu l'incompréhensible, l'innomable de cette folie meurtrière se situant aux racines du conflit moyen-oriental, commencer à pénétrer les abîmes de ressentiment des acteurs de ces drâmes.

Signification du titre : il s'agir de ceux qui ont perdu leur Orient, c’est-à-dire leur patrie. En l’espèce, le Levant : ce que l’on appelle de Grand Liban, ou encore la Grande Syrie, selon le point de vue auquel on se place … Cette terre contestée depuis des millénaires entre des communautés qui ont oublié pourquoi elles se combattent : chrétiens, orthodoxes, musulmans, juifs, maronites, arabes … en un conflit sans fin, clan contre clan.

Le héros est Adam : il retranscrit ses notes, recopie les mails qu'il envoit et reçoit, jour par jour. Il a quitté son Liban natal à cause de la guerre civile qui déchire son pays depuis 1975. Professeur d’histoire, il a entrepris une biographie d’Attila, qui reste en panne en ce moment. Il a émigré en France où il a une chaire d'histoire ancienne à l'Université mais n’était pas revenu au pays de ses ancêtres depuis 25 ans. Un ancien ami, Mourad, lui demande de revenir car il se sent mourir. Malgré leurs profondes divergences de vues politiques, Adam prend l’avion, mais Mourad est mort avant qu’il n’arrive. A cette occasion, Adam va renouer le fil avec chacun de ses amis de jeunesse, ceux qui s’étaient réunis à l’université sous le vocable de Byzantins …

Ils ont presque tous émigré dans le vaste monde mais promettent de se retrouver pour parler de Mourad, mais aussi de leur parcours personnel. Il y a Naïm, Albert, Ramez et Ramzi, Nidal, le frère de Bilal, Tania la veuve de Mourad et puis la belle Sémiramis qui loge tout le monde dans son auberge. Chacun raconte son histoire personnelle. Chacun exprime à sa façon l’exil, l’humiliation, la condition d’émigré, le choc des cultures. Comment les Arabes se sentent meurtris par la colonisation, pourquoi ils n’ont pas été en capacité de résister ni à la main-mise des puissances étrangères sur leurs richesses minérales ni à l’installation des Juifs en Palestine, comment ils se sont conformés aux idéologies : communisme, anticommunisme, nassérisme, islamisme … Pourquoi le pétrole a constitué une malédiction, pourquoi chacun raisonne d’abord en termes de communauté et de religion – où tout commence avec le prénom …

Pourquoi les Révolutions ont été catastrophiques, d’où qu’elles viennent, comment les souvenirs d’enfance refluent, comment l’avenir de la région apparaît sans issue, comment la violence – telle qu’on la voit aujourd’hui en Syrie – contamine les meilleures intentions.

Le Levant – où les puissances coloniales ont tracé des frontières qui ne signifient pas grand-chose pour les populations – est une terre de passage. C’est aujourd’hui – comme hier – un champ de bataille que les plus intelligents ont réussi à fuir pour s’établir avec succès partout dans le monde, avec leur patrie lumineuse restée dans le cœur …

Ni roman épistolaire, ni thèse de géopolitique, Les Désorientés est une parabole dont la lecture permet d’approcher les questions philosophiques qui nous préoccupent aujourd’hui. En aucun cas une simplification manichéenne, mais la confrontation de points de vues sincères – y compris celle des islamistes radicaux – tout à fait éclairante pour les profanes.

Les désorientés, roman d'Amin Maalouf, de l'Académie Française, au Livre de poche, 552 p., 8,10€

Et pour le moment, restons unis et solidaires, aidons les victimes, sans indulgence pour les criminels et tous leurs complices avec tous les moyens disponibles.