#MontreuilGRÉGORY MARIN
MERCREDI, 13 JUILLET, 2016L'HUMANITÉ
Photo : Jérôme Chatin/Expansion/RéaLa justice a invalidé les soupçons d’agression sur un enfant de quatre ans. Mais ses parents, influencés par une association communautaire au jeu trouble, crient au complot. La municipalité, qui a tout mis en oeuvre pour protéger les enfants, en appelle à la « raison ».Les observateurs attentifs vous le diront : à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), tout prend des proportions inimaginables ailleurs. Depuis trois semaines, la ville est en proie aux plus folles rumeurs dénonçant un complot pédophile impliquant enseignants et mairie. Rassemblements, pétitions et vidéos sur Internet. Un emballement irrationnel qui rappelle la « rumeur d’Orléans » (1) ou les pires heures de l’affaire Outreau, dont on connaît aujourd’hui les conclusions.Le 21 juin, le petit Caïs (2), quatre ans, rentre de l’école Jules Ferry en se plaignant de douleurs. « Il nous a dit qu’il avait été seul dans une pièce et que trois enfants avaient rentré un jouet dans ses fesses », raconte son père au site Internet Buzzfeed. Mais lui met en doute la version de son fils. Le garçonnet souffre, les médecins de l’hôpital Robert-Debré qui l’examinent décèlent une « fissure anale », et le père n’envisage qu’une explication : l’agression sexuelle.
Les médecins excluent a priori le viol, la procureure a classé l’affaire
Avant toute demande d’explications à l’équipe enseignante, la famille porte plainte, le 23 juin, au commissariat de Montreuil. S’ensuit, comme toujours dans ce cas, une expertise, menée par l’unité médico-légale de l’hôpital Jean-Verdier, dans la ville voisine de Bondy, qui conclut que la blessure peut avoir été causée par l’introduction d’un jouet, voire une constipation. Mais la famille n’entend déjà plus. Aiguillonnée par des avis extérieurs, elle dénonce la collusion des autorités (administrative, policière, médicale) pour cacher l’existence d’un « réseau pédophile ». D’ailleurs, les propositions de dialogue après le classement par la procureure sont restées lettre morte : « Ils n’ont même pas rappelé. Pour eux, personne ne dit la vérité », se désole-t-on à la mairie.Sous influence, les parents de Caïs ? La mère parle peu, sinon dans une vidéo postée sur le site du M-UDC (pour « Marrons unis dignes et courageux »), une association communautariste. Visiblement touchée, mais sous le contrôle du porte-parole du M-UDC, Mwazulu Diyabanza, qui conclut d’ailleurs l’enregistrement. Le même, présent à chaque vidéo de soutien, qui invitait « frère Stéphane », le père du garçon, à parler – après lui – au rassemblement devant l’école, le 4 juillet. Un orateur qui n’hésite pas à brandir des menaces, des « mises en garde », aux agents municipaux, au maire, à la police, aux syndicats d’enseignants, mais aussi à la FCPE, qui a eu le tort à ses yeux de dénoncer dans un communiqué l’intrusion d’hommes dans l’école qui ont « proféré des accusations sans preuves – pédophilie, racisme – devant les élèves et les parents atterrés ». Le même, devant la mairie un autre jour, qui pérorait : « Là on est gentil, on est calme, on est poli, mais on sait comment le faire d’une autre manière… »Le M-UDC a trouvé sa croisade. « Nous pouvons certifier que quand il s’agit d’un enfant d’origine africaine, on voit comment ça se passe. » Petit mouvement de 300 adhérents (dont le père de Caïs, « frère Stéphane ») basé à Courbevoie (Hauts-de-Seine), il invoque dans sa « charte pour l’homme marrons (sic) d’Afrique », sous couvert de lutte contre la domination occidentale en Afrique, des thèses aussi malheureuses que « la suprématie et l’infériorité raciale » ou le fait « d’apprendre et comprendre le nationalisme ». Et n’hésite pas à employer des mots troublants à l’encontre de l’école et de l’équipe pédagogique : « terrorisme sexuel », « centre de concentration de pédophiles ». Il accuse même le maire, Patrice Bessac, d’avoir « recruté tous ces pédophiles » !Du côté de la municipalité, qui a reçu la famille le 1er juillet, et a porté plainte auprès du procureur (et, depuis, en diffamation contre le M-UDC – NDLR), dès les faits connus, « pour protéger l’enfant », on en appelle à la « raison ». Les services médicaux excluent a priori le viol, l’enquête de police n’a rien démontré, la procureur a classé l’affaire… « On entend l’inquiétude légitime des parents », explique Lucas Benech, chef de cabinet du maire, qui pointe néanmoins la « manipulation » dont la mère est semble-t-il victime. Après avoir « réuni le personnel », « renforcé les équipes » et la présence d’un psychologue scolaire dans l’intérêt des enfants, une lettre explicative sera distribuée vendredi aux Montreuillois. Même si la rumeur est « difficilement maîtrisable une fois que les mots de “pédophilie” et “racisme” sont prononcés », regrette Lucas Benech.(1) En 1969, le bruit courait que des femmes disparaissaient, victimes de la traite des Blanches, dans des cabines d’essayage de magasins tenus par des juifs orléanais.(2) C’est sa famille qui la première a livré son nom à la presse.http://www.humanite.fr/montreuil-le-venin-de-la-rumeur-se-repand-611817